Les origines du langage humain ont toujours suscité la curiosité des scientifiques. Contrairement aux fossiles, les mots et les structures linguistiques ne laissent pas de traces tangibles. Pourtant, une étude récemment publiée dans Nature Communications apporte de nouveaux indices sur cette énigme. Les chercheurs ont identifié une mutation clé dans le gène NOVA1, impliquée dans l’émergence de la communication vocale complexe propre aux humains. Cette modification génétique, survenue il y a plusieurs centaines de milliers d’années, aurait transformé la communication vocale de nos ancêtres. Pour mieux comprendre son impact, les scientifiques l’ont introduite chez des souris, modifiant ainsi leur « voix ».
Depuis des décennies, les scientifiques tentent d’identifier les gènes ayant favorisé l’évolution de la parole. Parmi eux, les équipes de l’Université Rockefeller et du Cold Spring Harbor Laboratory à New York se sont distinguées par leurs travaux sur l’un des plus grands mystères de l’évolution humaine : l’origine du langage.
Un premier indice important a émergé il y a 24 ans avec la découverte du gène FOXP2, qui code un facteur de transcription jouant un rôle clé dans le développement cérébral. Les mutations affectant ce gène provoquent des troubles sévères du langage, notamment une incapacité à coordonner les mouvements des lèvres pour produire des sons.
Cette découverte a conduit certains chercheurs à formuler l’hypothèse selon laquelle FOXP2 influencerait des zones cérébrales spécifiques impliquées dans la production de sons complexes. L’humain présente en effet deux mutations d’acides aminés dans ce gène, absentes chez les autres primates. Toutefois, ces mêmes mutations ont été retrouvées chez les Néandertaliens, suggérant qu’elles étaient déjà présentes chez un ancêtre commun aux deux lignées. Ces résultats ont alimenté les débats scientifiques, certains chercheurs remettant en question l’idée que FOXP2 ait joué un rôle central dans l’émergence du langage.
En 2012, l’analyse des génomes des Néandertaliens et des Denisoviens a révélé que ces espèces partageaient plusieurs variantes génétiques avec les humains modernes. L’une d’entre elles, une variation du gène NOVA1, a particulièrement retenu l’attention de Robert Darnell, neurologue et neuroscientifique, directeur du laboratoire de neuro-oncologie moléculaire à l’Université Rockefeller.
Étudiant ce gène depuis 1993, Darnell a découvert qu’il code une protéine impliquée dans la liaison de l’ARN au sein des neurones, un mécanisme essentiel au développement cérébral et au contrôle neuromusculaire, deux fonctions fondamentales pour la parole. L’humain présente une particularité dans ce gène : une différence unique, marquée par le remplacement d’un acide aminé — l’isoleucine — par une valine en position 197 (I197V).
NOVA1 : un gène clé dans l’émergence du langage humain ?
« Dans mon laboratoire, nous étudions la protéine NOVA1 depuis plus de 30 ans. C’est l’une des protéines de liaison à l’ARN spécifiques aux neurones sur laquelle nous nous concentrons », a déclaré Darnell dans un communiqué. « Nous explorons ses liens avec les fonctions cognitives et les maladies neurologiques. Il y a plusieurs décennies, mes collègues et moi avons découvert que NOVA1 était la cible d’une maladie neurologique auto-immune appelée POMA, provoquant des troubles moteurs sévères », a-t-il ajouté.
Ces découvertes ont conduit son équipe à s’interroger sur la raison pour laquelle l’humain possède une version unique de cette protéine. Au début de l’étude, dirigée par Yoko Tajima, chercheuse postdoctorale dans le laboratoire de Darnell, les scientifiques ont entrepris une série d’expériences sur des modèles murins. À l’aide de la technologie CRISPR, ils ont remplacé la version murine de la protéine NOVA1 par la variante humaine I197V.
Pour localiser les sites de liaison de l’ARN de NOVA1 dans le mésencéphale des souris, les chercheurs ont utilisé des techniques avancées, dont l’immunoprécipitation croisée (CLIP), une méthode développée par Darnell. Les résultats ont montré que la variante humaine n’altérait pas la liaison de l’ARN dans les processus liés au développement neuronal ou au contrôle moteur. La protéine modifiée remplissait les mêmes fonctions que la version originelle. Cependant, les chercheurs ont constaté que les sites de liaison modifiés par la variante humaine concernaient des gènes impliqués dans la vocalisation.
L’équipe s’est ensuite associée au laboratoire de neurogénétique du langage de l’Université Rockefeller, dirigé par Erich D. Jarvis, spécialiste des mécanismes moléculaires et génétiques de l’apprentissage de la vocalisation. Ensemble, ils ont étudié l’impact de la mutation du gène NOVA1 sur les vocalisations des souris à différents âges et dans divers contextes.
Ils ont constaté des modifications dans les schémas vocaux des jeunes souris, mâles et femelles, ainsi que des mâles adultes. Les souris porteuses de la variante humaine du gène NOVA1 émettaient des sons plus aigus et variés. Lorsqu’ils ont séparé les bébés souris génétiquement modifiés de leur mère, ces derniers ont émis des cris de détresse plus aigus et variés que ceux de leurs congénères non modifiés.
Forts de ces résultats, les scientifiques ont ensuite cherché à déterminer à quel moment la mutation I197V était apparue chez l’humain. Pour cela, ils ont comparé des génomes humains avec trois génomes néandertaliens et un génome de Denisoviens. Comme prévu, les deux lignées archaïques possédaient la version ancestrale du gène NOVA1.
Les chercheurs ont alors exploré la base de données dbSNP, qui recense plus de 650 000 génomes humains modernes, afin d’identifier d’éventuelles variantes similaires à I197V. Parmi les 650 058 individus analysés, seuls six ne possédaient pas la version humaine du gène. Ces derniers portaient une variante archaïque, mais en raison de l’anonymat des échantillons, aucune information supplémentaire n’a pu être obtenue sur ces cas isolés.
« Nos données montrent qu’une population ancestrale d’humains modernes en Afrique a développé la mutation I197V, qui s’est ensuite répandue, probablement parce qu’elle conférait un avantage dans la communication vocale », conclut Darnell.