Une équipe de chercheurs américains est parvenue à concevoir un nouveau ligand protéique qui, selon les modifications qu’on lui applique, est capable de régénérer des cellules neuronales ou d’inhiber la croissance de tumeurs pulmonaires. En d’autres termes, ils ont créé un « super-ligand » capable de guérir l’organisme…
Tout notre corps est constitué de cellules. Les différents processus biologiques qui régulent notre santé reposent sur divers messagers, des ligands, qui se lient aux récepteurs se trouvant en surface des cellules. Mais lorsque les messages se brouillent, l’organisme peut tomber malade…
Des modifications qui influent sur les messages cellulaires
Les ligands – qui peuvent être de petites molécules, des ions ou des protéines – sont des substances capables de former un complexe avec une molécule de l’organisme, à des fins biologiques. Typiquement, lors d’une liaison protéine-ligand, ce dernier envoie un signal lorsqu’il se fixe au récepteur de la protéine cible ; la plupart du temps, cette dernière change alors de conformation (son orientation et sa forme tridimensionnelle).
Dans son laboratoire, Jennifer Cochran, bio-ingénieure à l’Université de Stanford, étudie comment les ligands et les récepteurs cellulaires s’associent pour transmettre les messages aux cellules. Surtout, son équipe cherche à comprendre comment manipuler ces interactions, de manière à pouvoir créer de puissants agents thérapeutiques. « Ces protéines peuvent, espérons-le, être utilisées un jour pour traiter les maladies neurodégénératives, ainsi que les cancers et autres troubles tels que l’ostéoporose et l’athérosclérose », a déclaré la spécialiste.
Dans ce but, l’équipe de Cochran a entrepris de modifier un ligand de manière à entraîner des modifications particulières au niveau des cellules. Leurs résultats ont fait l’objet d’un article dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Ils ont ainsi réalisé une série d’expériences sur des cellules de rat et humaines, puis sur des souris malades, dans le but d’observer comment leur ligand pouvait contribuer à la guérison des organes vitaux.
Comment ont-ils procédé ? Comme toutes les protéines, les ligands et les récepteurs sont constitués de nombreux acides aminés différents, liés les uns aux autres tel un collier de perles, et repliés en diverses formes tridimensionnelles distinctes. Chacun doit ensuite trouver chaussure à son pied : seul le ligand avec la bonne forme peut s’adapter au récepteur correspondant, tel qu’il existe une seule clé pour chaque serrure.
Or, via des techniques d’ingénierie moléculaire, les chercheurs peuvent modifier la série d’acides aminés qui constituent le ligand ; de cette manière, ils créent des millions de ligands différents, et analysent ensuite leurs interactions avec les différents récepteurs. Le ligand qui s’adapterait parfaitement et plus efficacement à un récepteur particulier – une sorte de « super ligand », dénommé « superagoniste » par les scientifiques – pourrait ainsi transmettre des messages aux cellules de façon plus efficace, plus robuste.
Inversement, la manipulation peut permettre de transformer des ligands en « antagonistes », autrement dit, des clés correspondant bien à la serrure du récepteur, mais capables de bloquer le signal émis (ce qui permettrait, par exemple, de retarder une fonction particulière, telle que la croissance cellulaire). La technique a largement inspiré Cochran dans ses recherches d’une nouvelle thérapie contre le cancer.
Un ligand régénérant et anti-cancer !
Cochran a d’ailleurs déjà publié un article sur le sujet l’année dernière, en collaboration avec Alejandro Sweet-Cordero, cancérologue à l’UC San Francisco. Leur étude révélait comment une version modifiée d’une protéine réceptrice (CNTFR) avait permis de bloquer la croissance de tumeurs pulmonaires chez les souris. Bien avant cela, en 2014, elle avait également développé une thérapie protéique expérimentale, avec Amato Giaccia, pour traiter les cancers métastatiques : leur thérapie consistait à stopper le développement des métastases en empêchant deux protéines d’initier la propagation du cancer.
L’experte et son équipe se sont appuyés sur ces précédentes recherches pour élaborer un ligand superagoniste, baptisé CLCF1, capable de se lier au récepteur CNTFR. Introduit dans une culture tissulaire de cellules neuronales endommagées, il se trouve que ce ligand a amplifié les signaux messagers favorisant la croissance des axones (les longues fibres qui transportent l’influx nerveux), comme s’il aidait les neurones défaillants à se régénérer !
Autre résultat très encourageant : via quelques modifications supplémentaires au niveau des acides aminés de CLCF1, l’équipe a montré que ce ligand devenait un puissant antagoniste capable d’inhiber la croissance des tumeurs pulmonaires chez la souris. Deux variantes d’une même molécule présentaient ainsi deux intérêts thérapeutiques majeurs !
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Cela fait plusieurs années que Jennifer Cochran s’intéresse à la thérapie via des protéines modifiées. « Je suis depuis longtemps fascinée par le fonctionnement des protéines en tant que machines moléculaires de la nature et par la façon dont les outils d’ingénierie nous permettent de façonner la structure et le fonctionnement des protéines avec la créativité d’un artiste », confie-t-elle.
La technique pourrait en effet être d’un grand recours en oncologie et en médecine régénérative. Plusieurs de ses découvertes ont débouché à des développements précliniques ; des essais sur l’homme, liés à un traitement potentiel du cancer de l’ovaire et du rein, sont en cours. En attendant, cette nouvelle étude vient confirmer que les ligands et récepteurs modifiés constituent une piste prometteuse pour lutter contre certaines maladies.