Face à l’urgence climatique, des scientifiques explorent diverses méthodes visant à augmenter la capacité des océans à absorber davantage de dioxyde de carbone (CO₂). L’ingénierie océanique, bien que controversée, pourrait offrir une solution potentielle pour atténuer les effets du changement climatique. Une des techniques les plus étudiées consiste à fertiliser les océans avec du fer pour stimuler la croissance du phytoplancton, ce qui pourrait avoir un impact majeur sur la séquestration du carbone. C’est précisément le projet du consortium Exploring Ocean Iron Solutions (ExOIS), qui vise à évaluer cette approche à grande échelle.
Le projet ExOIS prévoit de fertiliser une partie de l’océan Pacifique avec du fer pour déclencher une floraison de phytoplancton à la surface. Cette initiative, qui pourrait commencer dès 2026, vise à quantifier la quantité de CO₂ que cette technique pourrait séquestrer dans les eaux profondes et à évaluer son impact sur les écosystèmes marins.
Les activités du projet incluent des études de terrain dans le Pacifique Nord-Est, une modélisation informatique de haute précision, un suivi et une vérification des impacts écologiques ainsi que le développement de nouvelles sources de fer pour améliorer l’efficacité et réduire les coûts de ce genre d’opération.
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Des technologies émergentes pour sauver le climat ?
Outre la « fertilisation » au fer, d’autres technologies émergentes d’ingénierie océanique sont explorées. Par exemple, des chercheurs du MIT ont développé un processus électrochimique en deux étapes, présenté en 2023, pour éliminer le CO₂ de l’eau de mer, augmentant ainsi la capacité des océans à absorber ce gaz. De même, des startups comme Ebb Carbon utilisent des technologies électrochimiques pour retirer l’acidité de l’eau de mer, permettant une absorption accrue du CO₂ sans aggraver l’acidification des océans.
Pour continuer la liste, l’amélioration de l’alcalinité océanique (OAE), une autre technique innovante, vise à augmenter la capacité de l’eau de mer à absorber le CO₂ en ajoutant des minéraux alcalins. Cette méthode pourrait temporairement accroître la capacité d’absorption du CO₂ des océans, comme le montre une expérimentation récente menée par le Woods Hole Oceanographic Institution. En effet, lors de la photosynthèse, le phytoplancton consomme du CO₂, de la lumière et des nutriments (incluant le fer), ce qui permet une séquestration naturelle du carbone.
Avec quel impact environnemental ?
Bien que prometteuses, ces technologies soulèvent des préoccupations environnementales. On sait que l’acidification des océans, résultant de l’absorption accrue de CO₂, menace les écosystèmes marins, notamment les coraux et les coquillages. Cependant, des expérimentations de désacidification antérieures ont montré des résultats variés, comme la prolifération d’espèces de phytoplancton toxiques, ce qui soulève des craintes de création de « zones mortes » où la consommation d’oxygène par les algues étoufferait en quelques sortes la vie marine.
Plusieurs autres projets pilotes sont en cours pour tester ces technologies. Par exemple, un nouveau système de l’US Department of Energy’s Pacific Northwest National Laboratory utilise l’eau de mer pour capturer et stocker le CO₂. En outre, des chercheurs de l’Université de Pittsburgh développent des membranes pour capturer le CO₂ directement de l’eau de mer.
Lumière sur le projet ExOIS
Le projet ExOIS quant à lui, dont les détails ont été publiés le 9 septembre 2024 dans la revue Frontiers in Climate, utilisera un nouveau concept appelé « tonne centenaire » pour mesurer l’efficacité de la séquestration du carbone. Une tonne centenaire représente 1 000 kg de carbone isolé du contact atmosphérique pendant au moins 100 ans. Cette métrique vise à quantifier la durabilité du stockage de carbone et à évaluer si la fertilisation des océans au fer est une méthode d’élimination du dioxyde de carbone en milieu marin viable et responsable. Les études de terrain prévues dans le Pacifique Nord-Est permettront de suivre la création et l’évolution des floraisons de phytoplancton, ainsi que l’exportation et le sort du carbone supplémentaire capturé en profondeur.
Les avis des experts concernant l’efficacité et la sécurité de l’ingénierie océanique semblent partagés. Selon un rapport du World Resources Institute (WRI), « les océans ont déjà absorbé 30 % des émissions de CO₂ d’origine humaine, mais les technologies émergentes pourraient augmenter cette capacité ». Cependant, d’autres experts soulignent la nécessité de régulations strictes et de recherches approfondies pour évaluer les impacts à long terme de ces méthodes, avant de se lancer dans des expériences à grande échelle telles que le projet ExOIS.
En outre, l’ingénierie océanique doit surmonter plusieurs défis majeurs, notamment le manque de gouvernance, une base de connaissances limitée et des systèmes de surveillance sous-développés. De plus, les coûts élevés et l’acceptation sociale des technologies de séquestration du CO₂ restent des obstacles importants à leur mise en œuvre à grande échelle. Les précédentes tentatives, comme celle du controversé entrepreneur Russ George en 2012, ont suscité une forte opposition publique — ce dernier aurait déversé 100 tonnes de poussière de fer au large des côtes du Canada, mais en partie pour favoriser la pêche au saumon.
De façon globale cependant, l’ingénierie océanique pourrait avoir de fortes implications économiques. Selon une étude d’Economist, le marché émergent de la séquestration du carbone océanique pourrait générer des milliards de dollars en investissements et créer de nombreux emplois dans les technologies vertes. Du côté d’ExOIS, le consortium tente de lever 160 millions de dollars pour financer l’ensemble du programme et a déjà reçu une subvention initiale de 2 millions de dollars de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).