Pourquoi le séisme qui a touché la Turquie et la Syrie a-t-il été si dévastateur ?

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| AFP
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Le séisme majeur (l’un des plus forts de la décennie) qui a frappé le sud de la Turquie et la Syrie voisine tôt ce lundi matin, causant d’importants dégâts et tuant plus de 5000 personnes, a été ressenti jusqu’au Groenland. Le travail des secouristes se poursuit malgré les nombreuses répliques qui continuent de secouer le pays. Cet événement rare par son intensité semble s’expliquer par la situation tectonique même de la région et souligne l’importance d’établir et d’appliquer des règles de construction antisismiques dans l’espoir de limiter les dégâts des prochains tremblements de terre, malheureusement inévitables.

Le séisme de magnitude 7,8 qui a frappé la Turquie et la Syrie lundi sera probablement l’un des plus meurtriers de cette décennie, selon les sismologues, avec une rupture de plus de 100 km (62 miles) entre les plaques anatolienne et arabe.

Le 6 février, vers 4h15 heure locale, un séisme de magnitude 7,8 a frappé le centre-sud de la Turquie, près de la frontière entre la Turquie et la Syrie. À peine 11 minutes plus tard, il a été suivi d’une réplique de magnitude 6,7. La réplique la plus importante a ébranlé les deux pays, déjà meurtris, quelques heures plus tard avec une magnitude de 7,5 à 95 km au nord. Les observations et les analyses indiquent que tous ces événements se produisent dans le système de failles de l’Anatolie orientale.

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Le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie si violemment fait suite à une multitude de plus petits séismes 24h avant, le long du système de faille. Au soir du 6 février (22h30 heure locale), environ 30 répliques de magnitude 4,5 et plus ont été enregistrées entre la mer Méditerranée (à 100 km au sud-ouest) et la ville de Malatya, à 200 km au nord-est.

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Carte localisant l’épicentre d’un séisme de magnitude 7,8 qui a frappé la Turquie lundi. © AFP

Les répliques devraient se poursuivre dans les environs. En effet, Roger Musson, associé de recherche honoraire au British Geological Survey, déclare à Reuters : « Ce que nous voyons maintenant, c’est que l’activité se propage aux failles voisines. Nous nous attendons à ce que la sismicité continue pendant un certain temps ». D’ailleurs, une nouvelle réplique de magnitude 5,6 a été signalée ce mardi matin dans le centre de la Turquie, alourdissant les pertes et les dommages.

Une situation géologique et tectonique très instable

Selon l’USGS, depuis 1970, trois tremblements de terre de magnitude 6 ou plus ont été enregistrés dans cette région. Le premier fut un tremblement de terre de magnitude 7,4 dans la même région le 13 août 1822, le deuxième similaire (magnitude 7,2) en 1999, faisant plus de 10 000 morts. Un autre s’est produit en 2020, avec une magnitude de 6,7.

Mais la Turquie est connue comme étant l’un des pays les plus sismiques au monde, car située entre deux grandes plaques tectoniques. Le pays est lui-même situé sur la plaque anatolienne, qui est formée par la faille nord-anatolienne et la faille est-anatolienne.

La faille nord-anatolienne s’étend sur le côté nord de la Turquie et provoque traditionnellement la majorité des tremblements de terre dans le pays. Elle fait près de 1500 km de long, allant d’une jonction avec la faille de l’Anatolie orientale jusqu’à la mer Égée.

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Carte montrant les principales structures tectoniques autour de la plaque anatolienne, sur une base tirée d’un instantané du logiciel World Wind de la NASA. Les flèches montrent les vecteurs de déplacement des plaques anatolienne et arabe par rapport à la plaque eurasienne. © MIKENORTON

La faille nord-anatolienne est similaire à bien des égards à la faille californienne de San Andreas. Elles sont de taille similaire. De plus, ce sont toutes deux des failles décrochantes latérales droites, avec des longueurs et des taux de mouvement à long terme similaires. Le sol à travers une faille décrochante est déplacé latéralement, et le glissement latéral droit signifie que le côté opposé de la faille se déplace vers la droite.

Le cadre tectonique de la Turquie est plus complexe que celui de la Californie. La faille de San Andreas marque la frontière de transformation entre les plaques nord-américaine et pacifique, deux des douze principales plaques mobiles composant la mosaïque de la croûte terrestre. La faille nord-anatolienne est la limite nord de la petite microplaque turque, qui est coincée entre la plaque eurasienne au nord et la plaque arabique au sud. La microplaque turque est pressée vers l’ouest alors que les plaques arabe et eurasienne convergent.

Enfin, dernier paramètre à prendre en compte, la profondeur de l’épicentre. Les deux plus grands tremblements de terre de la série récente sont relativement peu profonds, avec le choc principal à environ 17,9 kilomètres de profondeur, près de la ville turque de Gaziantep, qui abrite environ deux millions de personnes, et la réplique de magnitude 7,5 à 10 kilomètres de profondeur. Parce que les tremblements de terre sont relativement peu profonds, l’intensité de la secousse est sévère.

Pour Musson, étant donné que beaucoup de temps s’est écoulé depuis le dernier grand tremblement de terre, « beaucoup d’énergie » se serait accumulée, théorie soutenue par la force des répliques de lundi et mardi.

Des infrastructures fragiles face aux séismes

Bien qu’un tremblement de terre de cette magnitude soit rare partout dans le monde, ce type d’événement est généralement attendu sur de longues failles décrochantes à la limite des plaques. Par exemple, les scientifiques ont enregistré en 1975 un séisme de la même intensité à Hawaï, mais il n’avait pourtant pas causé tant de désolation et de morts.

Car les conséquences d’un séisme ne découlent pas uniquement de son intensité. Les aménagements du pays y jouent un grand rôle. Un séisme dans une zone désertique ne causera en lui-même aucun problème mis à part la déstabilisation du terrain, mais en Turquie, le séisme a touché une région densément peuplée. Sans compter qu’il s’est produit à 04h17 (heure locale), ce qui signifie que les personnes endormies ont été « piégées lorsque leurs maisons se sont effondrées », explique à l’AFP Roger Musson dans un article de Phys.org.

De plus, la principale explication à ce bilan humain dramatique est la façon dont les bâtiments ont été conçus, et les pratiques de construction. Comme le souligne David Wald, un scientifique de l’USGS : « Il est difficile de regarder cette tragédie se dérouler, d’autant plus que nous savons depuis longtemps à quel point les bâtiments de la région ont tendance à mal réagir aux tremblements de terre ». Il ajoute : « Un tremblement de terre de cette ampleur a le potentiel d’être dommageable n’importe où dans le monde, mais de nombreuses structures dans cette région sont particulièrement vulnérables ».

Kishor Jaiswal, un autre scientifique de l’USGS, explique que la zone touchée, contrairement à des villes aux infrastructures plus modernes comme Istanbul, répondant à des normes parasismiques strictes, comprend « des bâtiments plus vulnérables, comme des types plus anciens de cadres en béton qui n’ont pas été conçus à partir de considérations sismiques pour absorber autant de mouvement du sol ».

Le récent séisme en Turquie témoigne du potentiel destructeur de ces phénomènes. Ils ne peuvent pas être évités, mais les dommages aux structures peuvent être atténués par le biais d’une conception parasismique et de bonnes pratiques de construction. Cependant, traduire la science en politique publique peut être difficile, en particulier dans les pays en développement, soumis à des instabilités politiques majeures et dont les infrastructures sont affaiblies par une décennie de guerre.

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