L’évolution des trous noirs est un processus encore mal connu, car la dynamique de ces objets implique l’émergence d’effets quantiques au sein du champ gravitationnel lorsqu’il s’agit de décrire leur structure centrale. La gravité quantique à boucles (LQG) est l’une des théories de la gravité quantique actuelles se proposant d’unifier relativité générale et mécanique quantique, pour proposer un cadre théorique à la description de ces phénomènes. La LQG suggère notamment que les trous noirs évoluent ultimement en trous blancs.
Abhay Ashtekar et Javier Olmedo de la Pennsylvania State University sont à l’origine de ce nouveau modèle. Ils ont montré que la gravitation quantique à boucles — une théorie de la gravité quantique visant à unifier relativité générale et mécanique quantique — prédit que l’espace-temps se poursuit au centre du trou, dans une nouvelle région du futur présentant la géométrie de l’intérieur d’un trou blanc. Les éléments du nouveau modèle ont été publiés dans la revue Physical Review Letters.
Un trou blanc est l’image inversée d’un trou noir : la matière ne peut que se déplacer vers l’extérieur. Le passage « à travers le centre » dans une future région est contre-intuitif ; cela serait possible grâce à la forte distorsion de la géométrie de l’espace-temps à l’intérieur du trou, permise par la relativité générale. Ce résultat conforte une hypothèse à l’étude par de nombreux groupes de recherche : l’avenir de tous les trous noirs peut être celui de se convertir en un véritable trou blanc, à partir duquel la matière qui est « tombée » à l’intérieur peut rebondir.
Cependant, les théories existantes n’ont pas été en mesure de montrer pleinement la voie à suivre pour que ce rebond se produise. Le fait que la gravité quantique à boucles parvienne à le faire, indique l’état d’avancement de la théorie, qui est désormais capable de répondre à des questions soulevées par des situations physiquement réalistes.
La raison pour laquelle certains aspects de la physique des trous noirs sont encore inconnus, réside dans le fait que les phénomènes quantiques dominent au centre et dans le futur de ces objets. La relativité générale prédit qu’au centre des trous noirs se trouve une « singularité », où l’espace et le temps se terminent. Ces prévisions ne sont pas réalistes car elles ne tiennent pas compte des effets quantiques.
Pour décrire ces effets, une théorie de la gravité quantique est nécessaire. La gravité quantique à boucles, qui a une structure conceptuelle épurée et une formulation mathématique bien définie, basée sur la représentation du tissu de l’espace en tant que réseau de spins évoluant dans le temps, est l’une de ces théories.
Au cours des dernières années, plusieurs groupes de recherche ont utilisé la LQG pour explorer l’évolution des trous noirs. Ces efforts permettent de construire une image convaincante basée sur un scénario de transition de trou noir à trou blanc, qui peut être résumé comme suit : au centre du trou noir, l’espace et le temps ne se terminent pas par une singularité, mais se poursuivent dans une courte région de transition, où les équations d’Einstein sont violées par des effets quantiques.
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De cette région, l’espace et le temps émergent avec la structure d’un trou blanc, une possibilité suggérée dans les années 1930 par le physicien John Lighton Synge. À mesure que le centre du trou évolue, sa surface externe, ou « horizon », se rétrécit lentement à cause de l’émission de radiations — un phénomène décrit pour la première fois par Stephen Hawking.
Ce rétrécissement se poursuit jusqu’à ce que l’horizon atteigne la taille de Planck (l’échelle caractéristique de la gravité quantique) ou plutôt, au moment auquel une transition quantique (« effet de tunnel quantique ») se produit à l’horizon, le transformant en horizon d’un trou blanc. Grâce à la géométrie relativiste déformée particulière, l’intérieur du trou blanc né au centre rejoint l’horizon blanc, complétant ainsi la formation du trou blanc.
Le phénomène complet est analogue au rebond d’une balle. Une balle tombe au sol, rebondit, puis remonte. Le mouvement ascendant après le rebond est la version inversée de la balle en chute. De la même manière, un trou noir « rebondit » et apparaît comme sa version inversée dans le temps : un trou blanc. La matière qui s’effondre ne disparaît pas au centre : elle rebondit à travers le trou blanc. L’énergie et les informations tombées dans le trou noir émergent du trou blanc.
La configuration où la compression est maximale, qui sépare le trou noir du trou blanc, est appelée « étoile de Planck ». En raison de la distorsion temporelle énorme permise par la relativité, le temps nécessaire au processus peut être court (microsecondes) lorsque mesuré de l’intérieur du trou, mais long (milliards d’années) lorsqu’il est mesuré de l’extérieur. Les trous noirs peuvent être des étoiles qui rebondissent, vues au ralenti extrême.
C’est une image convaincante car elle supprime la singularité au centre du trou noir et résout le paradoxe de la disparition apparente de l’énergie et de l’information dans un trou noir. Jusqu’à présent, cette image d’un trou noir à un trou blanc n’était pas dérivée d’une théorie quantique de la gravité ; elle était simplement conjecturée — et mise en œuvre avec des modifications ad hoc des équations de relativité générale d’Einstein.
Ashtekar, Olmedo et Singh ont montré qu’un ingrédient crucial de ce scénario, la transition au centre, découle d’une véritable théorie de la gravité quantique, à savoir la gravité quantique à boucles. Le résultat a été obtenu par une approximation des équations de la gravité quantique à boucles complète, semblables à celles utilisées dans des travaux antérieurs visant à résoudre la singularité du Big Bang.
Il est important de noter que le modèle Ashtekar-Olmedo-Singh ne traite que de la transition au centre du trou. Pour compléter le tableau, le calcul du tunneling à l’horizon doit être également effectué. Il n’est pas invraisemblable que des observations empiriques soutiennent ce scénario. Les modèles suggèrent que plusieurs phénomènes astrophysiques observés pourraient être liés à la transition entre trous noirs et trous blancs.
Parmi ceux-ci figurent les sursauts radios rapides (FRB) et certains rayons cosmiques de haute énergie. Les deux pourraient être produits par la matière et les photons emprisonnés dans des trous noirs produits au début de l’Univers, et libérés par la transition trou noir à trou blanc.
Pour le moment, toutefois, les données astrophysiques sont insuffisantes pour déterminer si les propriétés statistiques des FRB et des rayons cosmiques observés confirment cette hypothèse. Une autre possibilité intéressante est que les petits trous produits par la transition trou noir à trou blanc puissent être stables : dans ce cas, ces « restes » pourraient être un composant de la matière noire.