Les hommes possèdent généralement un meilleur sens de l’orientation que les femmes. Selon l’hypothèse la plus populaire, il s’agirait d’un trait évolutif spécifiquement masculin découlant de la sélection naturelle. Cependant, cette hypothèse comporte de nombreuses incohérences. Une nouvelle étude comparative incluant 21 espèces animales distinctes (dont l’Homme) suggère qu’il s’agit davantage d’une compétence acquise liée à l’éducation ou à la culture.
Chez les animaux, humains y compris, il existe des différences sexuelles marquées à la fois morphologiques, physiologiques et comportementales. Ces différences sont généralement considérées comme étant le résultat de la sélection naturelle, visant à attribuer et à optimiser des fonctions spécifiques à chaque sexe. Parmi les compétences couramment attribuées à la sélection naturelle figurent la navigation spatiale, connue pour être plus développée chez les mâles. De nombreuses études ont démontré que les mâles surpassent les femelles de manière statistiquement significative pour de nombreuses tâches spatiales.
L’une des explications évolutives de la différence des compétences de navigation spatiale serait liée au fait que les mâles parcourent généralement de plus grands espaces (par exemple pour chasser ou pour se reproduire). Cela aurait notamment pu provoquer une pression de sélection naturelle, les obligeant à développer un meilleur sens de l’orientation. Une autre hypothèse avance que la sélection a principalement agi sur les femelles, car elles se déplaceraient moins que les mâles pour économiser de l’énergie et éviter le danger au cours des périodes critiques de reproduction.
Cependant, l’hypothèse évolutive comporte de nombreuses incohérences. En effet, si la compétence de navigation était un trait évolutif chez les mâles, le gène qui l’exprime devrait en toute logique être également transmis à leurs progénitures femelles, à moins qu’il ne se trouve sur le chromosome Y. En d’autres termes, si la sélection chez les mâles favorise un allèle en particulier, leurs progénitures femelles devraient normalement en hériter. En général, dans la nature, la sélection d’un trait complexe chez un sexe induit une réponse corrélée chez l’autre, excepté en cas de sélection sexuellement antagoniste, où l’apparition d’un trait chez l’un des sexes défavorise l’autre.
En l’absence de sélection sexuellement antagoniste, des chercheurs de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign (aux États-Unis) suggèrent que la différence sexuelle de compétences de navigation chez les humains pourrait découler de l’éducation ou de la culture. En effet, les différences de caractéristiques entre les sexes peuvent aussi être liées à la plasticité phénotypique. C’est-à-dire que plutôt que d’être inné, le sens de l’orientation pourrait être acquis et perfectionné par le biais de l’apprentissage et de l’expérimentation.
Dans la culture occidentale par exemple, les hommes et les femmes sont socialisés dès leur plus jeune âge de manière très spécifique. Les garçons sont par exemple davantage encouragés à effectuer des activités en plein air que les filles. Cela impliquerait que les hommes sont plus entraînés depuis leur plus jeune âge aux exercices d’orientation au sein de grands espaces, ce qui pourrait conduire à des différences dans les compétences de navigation par rapport aux femmes. « Cela est cohérent avec le fait indéniable que la performance peut être entraînée et que l’expérience conduit à de meilleures performances », ont écrit les experts de l’Université d’Illinois dans leur nouvelle étude, publiée dans la revue Royal Society Open Science.
Un sens de l’orientation similaire dans les cultures égalitaires
Afin de tester leur hypothèse, les chercheurs de la nouvelle étude ont compilé des données provenant de 66 études concernant la taille du domaine vital (la distance moyenne parcourue depuis le domicile) et les compétences de navigation spatiale de 21 espèces différentes. Ces espèces incluent l’Homme ainsi que d’autres mammifères, dont le chimpanzé (Pan troglodytes), la souris sylvestre (Peromyscus maniculatus) et le lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus). D’autres animaux tels que la grenouille venimeuse Oophaga sylvatica et l’écrevisse à taches rouges (Faxonius rusticus) ont également été étudiés.
Si les compétences de navigation tenaient de la sélection naturelle, on devrait s’attendre à ce que le sexe parcourant généralement de plus longues distances en possède de meilleures. Cependant, bien que l’équipe a constaté que les mâles étaient généralement meilleurs en orientation chez toutes les espèces étudiées, les femelles de certaines espèces, comme l’écrevisse à taches rouges et la petite grenouille venimeuse O. sylvatica, ont un domaine vital plus étendu que les mâles. Cela suggère que l’acquisition des compétences de navigation tient davantage de l’expérience que d’un trait évolutif, ce qui concorde avec l’hypothèse de la plasticité phénotypique.
Ces résultats sont alignés à ceux de récentes études suggérant une forte influence culturelle dans les différences de compétences de navigation chez l’Homme. Dans les cultures où les hommes s’engagent davantage dans la recherche de nourriture que les femmes (comme chez les Twe et les Temnés), l’avantage en matière de navigation spatiale est attribué au sexe masculin. En revanche, dans celles où les deux sexes participent activement et également à la recherche de nourriture (comme les Inuits et les Chimane), aucune différence notable dans les compétences d’orientation n’a été relevée.
Une analyse comparant le sens de l’orientation de résidents de Salt Lake City (dans l’Utah) et de Padoue (en Italie) a également montré que les seconds sont meilleurs en navigation, quel que le soit leur sexe. La raison serait que la plupart des villes américaines sont organisées en réseau, tandis que les vieilles villes européennes ne le sont pas.
Toutefois, les variations biologiques (comme les taux hormonaux) entre mâles et femelles pourraient également influencer les compétences de navigation spatiale, selon les experts de l’Université d’Illinois. Une précédente étude connexe sur des animaux, menée par la même équipe, a en effet montré que les mâles possèdent toujours un meilleur sens de l’orientation que les femelles, même en étant élevés en laboratoire — ce qui montre qu’il n’y a aucun lien avec la taille du domaine vital.