Sommes-nous, oui ou non, dans une simulation informatique ?

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Depuis que le philosophe suédois Nick Bostrom a émis, en 2003, l’hypothèse que nous pourrions en réalité tous vivre dans une grande simulation informatique, beaucoup se sont penchés sur la question. Des physiciens et des philosophes tentent depuis quelques années de déterminer si nous sommes ou non des êtres simulés. Une nouvelle étude suggère que nos chances de vivre dans la réalité et celles d’exister sous forme d’entités virtuelles sont à peu près égales.

En 2003, Bostrom a suggéré qu’une civilisation technologiquement avancée, possédant une immense puissance de calcul, pourrait avoir eu l’idée de faire « revivre » ses ancêtres en simulant de nouvelles réalités incluant des êtres « conscients » (nous).

Des réalités dans les réalités

Dans son célèbre article, Bostrom soutient qu’au moins l’une des propositions suivantes est vraie : (1) l’espèce humaine est très susceptible de s’éteindre avant d’atteindre un stade « post-humain » ; (2) toute civilisation post-humaine est extrêmement peu susceptible d’exécuter un nombre significatif de simulations de son histoire évolutive (ou de ses variations) ; (3) nous vivons presque certainement dans une simulation informatique.

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La trilogie The Matrix, dont le premier film est sorti en 1999, illustre parfaitement les bases d’un tel scénario, dans lequel l’humanité a accès à un environnement simulé, indirectement lié au monde réel et contrôlé par les machines. Nos vies humaines ne seraient ainsi que des simulacres et nous serions en réalité le fruit d’un simple divertissement d’une entité supérieure. Plus récemment, lors d’une conférence dédiée à la question qui s’est tenue à New York en 2016, Elon Musk a donné un nouvel élan au concept, déclarant que « les chances que nous soyons dans la réalité de base sont d’une sur des milliards ».

David Kipping, astronome de l’Université de Columbia, confirme que Musk a raison, si l’on suppose que les deux premières propositions formulées par Bostrom sont fausses. Le scientifique a donc décidé de recourir au raisonnement bayésien pour le vérifier. Autrement dit, il a calculé la probabilité de chacune des propositions.

Pour commencer, Kipping a transformé le trilemme de Bostrom en dilemme : il a ainsi regroupé les propositions (1) et (2) en un seul énoncé, car dans les deux cas, le résultat final est qu’il n’y a pas de simulations. Par conséquent, le dilemme se résume à opposer l’hypothèse physique « il n’y a pas de simulations » à « il y a une réalité de base, depuis laquelle sont pratiquées des simulations ». Kipping a alors attribué une probabilité préalable à chacun de ces deux postulats. Ne disposant d’aucune donnée, il attribue à chaque hypothèse une probabilité de 1/2.

L’étape suivante de l’analyse a nécessité une réflexion sur les réalités « pares » — celles qui peuvent générer d’autres réalités — et les réalités « nullipares » — celles qui ne peuvent pas simuler les réalités de la progéniture. Si l’hypothèse physique était vraie, alors la probabilité que nous vivions dans un univers nullipare serait facile à calculer : elle serait de 100%. Kipping a ensuite montré que même dans l’hypothèse de simulation, la plupart des réalités simulées seraient nullipares. En effet, à mesure que les simulations génèrent plus de simulations, les ressources informatiques disponibles pour chaque génération suivante diminuent ! Par conséquent, la grande majorité des réalités ne disposeraient pas de la puissance de calcul nécessaire pour simuler les réalités de la progéniture, capables d’héberger des êtres conscients.

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Représentation d’un cadre hiérarchique hypothétique de réalités simulées imbriquées, issues d’une civilisation de base. Selon Kipping, dans l’hypothèse d’une simulation, la grande majorité des réalités ne disposeraient pas de la puissance de calcul nécessaire pour simuler les réalités de la progéniture, capables d’héberger des êtres conscients. Crédits : David Kipping

Ainsi, la probabilité postérieure que nous vivions dans la réalité de base est presque la même que la probabilité postérieure que nous fassions partie d’une simulation. Or, ces probabilités changeraient radicalement si les humains créaient une simulation incluant des êtres conscients, car un tel événement modifierait les chances attribuées auparavant à l’hypothèse physique. « Selon ces calculs, le jour où nous inventerons cette technologie, cela fera basculer les chances que nous soyons réels de quasiment une sur deux vers la quasi-certitude que nous ne le sommes pas », explique Kipping.

Bostrom conteste toutefois le choix de Kipping d’attribuer des probabilités préalables identiques à l’hypothèse physique et à l’hypothèse de simulation au début de son analyse. « On pourrait aussi bien l’invoquer sur mes trois propositions originales, ce qui leur donnerait alors une troisième chance chacune », fait-il remarquer.

À la recherche d’une faille dans la matrice

Au final, seule la preuve concrète d’une simulation permettrait de trancher. Houman Owhadi, expert en mathématiques computationnelles au California Institute of Technology, a réfléchi à la question. « Si la simulation a une puissance de calcul infinie, il n’y a aucun moyen de voir que vous vivez dans une réalité virtuelle, car elle pourrait calculer tout ce que vous voulez avec le degré de réalisme que vous voulez », dit-il. Il considère ainsi que pour détecter une éventuelle preuve, il faut forcément partir du principe que les ressources de calcul sont limitées.

Ainsi, pour Owhadi, le moyen le plus prometteur de rechercher les paradoxes potentiels consiste à effectuer des expériences de physique quantique. Les systèmes quantiques peuvent exister dans une superposition d’états, décrite par une fonction d’onde. En mécanique quantique standard, l’acte d’observation provoque l’effondrement aléatoire de cette fonction d’onde dans l’un des nombreux états possibles. Or, selon Owhadi, « s‘il ne s’agit que d’une simulation pure, il n’y a pas d’effondrement ». Dans ce contexte, ses collaborateurs et lui ont travaillé sur cinq variantes conceptuelles de l’expérience à double fente, chacune conçue pour déclencher une simulation. Ces travaux ont fait l’objet d’un article publié en 2017 dans l’International Journal of Quantum Foundations. Owhadi reconnaît cependant qu’il est impossible de savoir si de telles expériences peuvent fonctionner.

Zohreh Davoudi, physicienne de l’Université du Maryland, a également eu l’idée qu’une simulation réalisée avec des ressources informatiques finies pourrait être mise en évidence. Son travail se concentre sur les interactions fortes, l’une des quatre forces fondamentales qui régissent l’univers. Pour comprendre les interactions fortes, les physiciens sont obligés de faire des simulations numériques. Pour ce faire, ils doivent s’appuyer sur des raccourcis pour rendre ces simulations viables sur le plan informatique — généralement en considérant l’espace-temps comme discret plutôt que continu.

Selon elle, si notre réalité est une simulation, alors le simulateur discrétise probablement aussi l’espace-temps pour économiser des ressources de calcul, ce qui pourrait potentiellement être observé au niveau des directions des rayons cosmiques de haute énergie : elles adopteraient une direction préférée dans le ciel en raison de la rupture de la symétrie de rotation. Mais là encore, ce n’est pas si simple : même si un tel effet devait être observé, cela ne constituerait pas une preuve sans équivoque ; la réalité de base elle-même pourrait avoir des propriétés similaires.

Malgré sa propre étude sur le sujet, Kipping doute lui aussi de la possibilité de déterminer avec certitude si oui ou non nous vivons dans une simulation. Il se tourne finalement vers le rasoir d’Occam, un principe de raisonnement selon lequel les hypothèses les plus simples doivent être préférées. En d’autres termes, en l’absence de preuves comme ici, l’explication la plus simple a le plus de chances d’être correcte. Or, l’hypothèse de la simulation suggère une simulation particulièrement élaborée, impliquant des réalités imbriquées dans d’autres réalités et des entités simulées incapables de comprendre qu’elles sont dans une simulation. Un modèle bien trop compliqué en somme… « D’après le rasoir d’Occam, cette hypothèse devrait vraiment être défavorisée par rapport à la simple explication naturelle », conclut Kipping.

Source : MDPI, David Kipping

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