En collaboration avec Boeing, l’US Navy développe discrètement des sous-marins autonomes armés, les « Orca ». Contrôlés par un système d’intelligence artificielle embarqué, ils seraient aussi capables d’éliminer des cibles sans intervention humaine. Le modèle de sous-marin autonome sur lequel se base la technologie, Echo Voyager, avait été présenté en 2018 par Boeing.
Le projet, lancé par l’Office of Naval Research, porte le nom de CLAWS (« griffes »). Il a été décrit dans un document budgétaire comme un système d’arme sous-marin autonome pour une « utilisation clandestine ». CLAWS « augmentera les zones de mission à effets cinétiques », peut-on lire. En langage militaire, cela signifie « augmenter le déploiement des armes destructrices ».
Le système CLAWS consistera principalement à équiper les sous-marins Orcas avec des capteurs et des systèmes d’algorithmes permettant de mener à bien des missions militaires complexes de façon entièrement autonome, comme éviter les systèmes anti-sous-marins et identifier des cibles, tout comme le ferait un commandant de sous-marin humain.
Les détails du projet sont tenus secrets et ne sont communiqués qu’aux commissions du Congrès américain. La marine américaine n’a même pas expliqué ce que signifie l’acronyme CLAWS, et a refusé de commenter lorsqu’elle a été approchée par des journalistes.
Il est évident que pour l’armée américaine, de tels sous-marins représentent une avancée majeure par rapport aux capacités actuelles, qui comprennent deux types principaux d’embarcations. Il y a notamment les petits véhicules sous-marins sans équipage (UUV), largement utilisés pour l’exploration et l’élimination des mines. Ils sont directement contrôlés par un opérateur via un câble de communication, car les signaux radio ne peuvent pas voyager dans l’eau.
Il existe également des sous-marins autonomes, mais ces derniers ne possèdent qu’une intelligence limitée et ne peuvent donc effectuer que des tâches autonomes simples, comme placer un capteur au fond de la mer à un endroit précis. Les tâches plus complexes nécessitent un opérateur à distance et une liaison de communication.
12 tubes lance-torpilles commandés par un système entièrement autonome
Pour « remédier » à cela, la marine américaine a donc récemment commandé à Boeing des sous-marins robotisés à longue portée et beaucoup plus grands, baptisés Orcas. Les images du nouveau véhicule suggèrent qu’il mesurera environ 25 mètres de long pour plus de 50 tonnes. Il pourra effectuer des missions de 90 jours sans ravitaillement.
Le projet CLAWS a déjà été révélé en 2018, lorsque la marine américaine a demandé des propositions pour « améliorer l’autonomie et la capacité de survie des grands et très grands véhicules sous-marins sans équipage », dont l’Orca ferait partie. Mais il n’était alors pas question d’armes, seulement d’une exigence de détection et de prise de décision, donnant l’impression que les sous-marins CLAWS seraient utilisés pour la collecte de données océaniques. Mais ce n’est finalement pas le cas.
En effet, une image des futurs plans du sous-marin Orca révèle qu’il sera armé de 12 tubes lance-torpilles. Au départ, il était supposé que ces dernières seraient uniquement sous contrôle humain, mais avec le système IA de CLAWS, Orca pourrait identifier et éliminer des cibles de façon autonome. En d’autres termes, il pourrait essentiellement agir comme une mine navale intelligente dans une zone fréquentée par des navires ennemis.
Stuart Russell, informaticien à l’Université de Californie à Berkeley et militant contre les robots tueurs, considère CLAWS comme un projet dangereux. « Contrairement aux mines, les sous-marins robots ont une portée potentiellement illimitée » déclare-t-il.
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Une avancée majeure pour les systèmes armés autonomes
« Équiper un véhicule entièrement autonome d’armes mortelles est une étape importante, qui risque de s’intensifier accidentellement d’une manière qui ne s’applique pas aux mines marines », déclare Russell.
L’expert en sous-marins H.I. Sutton, rédacteur du site de guerre sous-marine Covert Shores, y voit également un danger potentiel. « L’un des défis de l’armement des UUV sera d’identifier la cible », déclare Sutton, ce qui signifie un risque accru d’éliminer des forces amies ou des non-combattants. « Ce problème existe déjà avec les mines, mais sera exacerbé par les niveaux d’autonomie accrus ».
Le projet CLAWS se voit allouer 26 millions de dollars dans le budget de la marine américaine de cette année et 23 millions de dollars supplémentaires l’année prochaine. Cela devrait permettre d’atteindre le niveau d’un prototype fonctionnel. En cas de succès, CLAWS pourrait alors être déployé sur des Orcas et d’autres grands sous-marins autonomes, qui devraient être livrés à partir de juin 2022.
Vidéo de présentation du modèle « Echo Voyager » de Boeing :