La plupart des efforts mondiaux visant à atteindre la neutralité, voire la négativité, en carbone, se concentrent sur la séquestration du CO2 via des approches chimiques ou physiques. Une start-up californienne, nommée Living Carbon, entreprend de miser sur les capacités naturelles des plantes : elle propose d’améliorer le processus de photosynthèse des arbres pour qu’ils poussent plus rapidement et séquestrent davantage de carbone de l’atmosphère.
L’une des stratégies explorées pour lutter contre le réchauffement climatique consiste à capter et à stocker le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. Quelques solutions de séquestration industrielle sont déjà mises en place : elles consistent à capter le CO2 directement aux points d’émission (usines, centrales électriques, etc.), puis à le transporter jusqu’à un site géologique de stockage. L’avantage de la séquestration naturelle, prise en charge par les végétaux, est qu’elle permet de cibler les émissions plus diffuses et surtout, qu’elle est beaucoup moins coûteuse. Encore faut-il disposer de suffisamment de forêts…
La déforestation et les grands incendies en ont malheureusement déjà détruit une bonne partie, et l’impact des efforts de reboisement est limité : les terres ne sont pas forcément aptes à accueillir des forêts, tandis que le taux de croissance des arbres et la durée de stockage du carbone sont loin d’être optimaux. C’est là qu’intervient Living Carbon. Leur objectif est à la fois d’améliorer le captage du carbone grâce à une photosynthèse plus efficace, et de ralentir la libération du carbone grâce à un bois plus résistant à la décomposition. Les premiers résultats sont très encourageants.
Une modification génétique pour contourner la photorespiration
« Nous envisageons un avenir dans lequel les processus naturels qui ont évolué dans tout le règne végétal peuvent être utilisés pour maximiser le potentiel des plantes à séquestrer le carbone et à rééquilibrer les écosystèmes », annonce le site officiel de la start-up. Cette approche semble porter ses fruits : après avoir génétiquement modifié des semis de peupliers hybrides (issus d’un croisement entre le peuplier tremble et le peuplier blanc), l’équipe rapporte une augmentation de 53% de la biomasse sèche aérienne par rapport aux plants témoins sur une période de croissance de cinq mois (en environnement contrôlé). L’accumulation de biomasse est un indicateur fort de l’assimilation du carbone, qui constitue environ la moitié de cette masse organique.
Pour rappel, la réaction de photosynthèse est un processus qui conduit à la production de glucides ; grâce à l’énergie de la lumière solaire, le dioxyde de carbone réagit avec l’eau selon la réaction suivante : 6CO2 + 6H2O → C6H1206 + 6O2.
Cette réaction produit également des sous-produits toxiques, que les plantes éliminent grâce à un autre processus appelé photorespiration. Ce dernier est cependant particulièrement énergivore et de ce fait, ralentit la croissance de la plante et provoque la libération rapide du carbone capturé. Les chercheurs ont donc utilisé une voie de contournement, qui permet de consacrer davantage d’énergie à la croissance des arbres, augmentant ainsi l’accumulation de biomasse et l’assimilation du carbone.
Lors de la photorespiration, les déchets sont habituellement exportés du chloroplaste vers plusieurs organites (les peroxysomes et les mitochondries) chargés d’accomplir le cycle métabolique. L’approche de Living Carbon permet au chloroplaste de décomposer les déchets en interne et de les transformer en glucose et en cellulose, riches en énergie. Cette stratégie s’inspire en réalité d’un processus naturel, appelé fixation du carbone C4, dont sont capables certaines plantes, telles que le maïs, le sorgho ou la canne à sucre. Les plantes qui subissent la photorespiration sont appelées « plantes C3 ».
Des arbres plus résistants, qui assimilent d’avantage de CO2
Les chercheurs ont ainsi modifié l’ADN de peupliers en y ajoutant des gènes d’autres plantes et d’algues vertes de type C4, leur conférant des taux de photorespiration plus faibles. Ils ont également ajouté un trait génétique permettant aux racines d’absorber davantage de métaux — ce qui ralentit la décomposition du bois et l’aide à retenir le carbone plus longtemps ; cette modification génétique permet potentiellement aux arbres de pousser dans un sol où il y a une forte concentration de métaux lourds (due aux activités minières ou industrielles).
« Notre objectif est de puiser 1 GT de carbone dans des terres où les arbres ne poussent pas actuellement ; nous travaillons donc à restaurer des écosystèmes qui ont déjà subi les conséquences de l’intervention humaine, plutôt que d’intégrer nos arbres dans des forêts sauvages déjà florissantes », précise l’équipe de Living Carbon.
Les semis à photosynthèse améliorée ont affiché une nette augmentation de la hauteur de la plante, de la croissance du volume de la tige, du taux d’assimilation du carbone et de l’accumulation de la biomasse. Ces résultats sont reproductibles : l’équipe a en effet obtenu des résultats similaires à partir de boutures de tiges des semis modifiés.
À noter que ces jeunes arbres ont été cultivés dans une serre, en environnement contrôlé. Mais la start-up a également planté plus de 600 arbres, dont plus de 400 à photosynthèse améliorée, dans le cadre d’un partenariat de quatre ans avec l’Oregon State University et prévoit d’autres plantations sur des terres privées dans le sud-est des États-Unis et les Appalaches. « Notre fenêtre de lancement pour les solutions d’élimination du carbone est courte, et les enjeux ne pourraient pas être plus élevés, mais cela nous donne de l’espoir de voir ces jeunes pousses grandir dans notre laboratoire et au-delà », conclut l’équipe.