Des chercheurs révèlent que le cerveau est maintenu dans un état critique au sein duquel il est proche d’une transition de phase de sa structure. Cela signifie que cette dernière est maintenue dans un délicat équilibre entre un état et un autre. Cette propriété est observée non seulement pour le cerveau humain, mais également pour celui des souris et des mouches à fruits, suggérant qu’il pourrait s’agir d’une caractéristique universelle.
Récemment, d’importants progrès ont été réalisés dans la cartographie des structures anatomiques et connectomiques (se concentrant sur les connexions nerveuses) du cerveau. Des reconstructions complètes à l’échelle nanométrique pour les petits systèmes nerveux sont désormais disponibles, notamment pour le nématode Caenorhabditis elegans, la larve de têtard Ciona intestinalis, l’annélide marin Platynereis dumerilii et la larve de mouche à fruits (Drosophila melanogaster). Pour les cerveaux plus volumineux, des cartographies partielles ont été élaborées, y compris pour les souris et les humains.
Cependant, alors que sa dynamique est étudiée depuis longtemps par le biais de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et de l’électroencéphalogramme (EEG), sa structure n’a commencé à être véritablement explorée que récemment. Or, contrairement aux ordinateurs, qui peuvent fonctionner à l’aide de différents matériaux, pour le cerveau, la dynamique et les matériaux sont étroitement liés. En d’autres termes, la structure influence la dynamique et vice versa, et les lacunes de compréhension de l’une entravent celle de l’autre.
« Le cerveau humain est l’un des systèmes les plus complexes connus, et de nombreuses propriétés des détails régissant sa structure ne sont pas encore comprises », explique dans un communiqué de l’Université Northwestern (aux États-Unis) István Kovács. Afin de combler ces lacunes, Kovács et ses collègues ont quantifié certains des aspects de cette complexité. Ils ont découvert que le cerveau est maintenu en équilibre dans un état de criticité, un point au niveau duquel les matériaux effectuent leur transition de phase.
« Nous étudions la criticité au niveau structurel afin, à terme, de comprendre comment elle sous-tend la complexité de la dynamique cérébrale. C’est une pièce manquante dans notre façon de concevoir la complexité du cerveau », a déclaré le chercheur en faisant référence à une nouvelle étude publiée lundi dans la revue Communications Physics.
Une caractéristique universelle ?
Dans le cadre de leur étude, les chercheurs ont analysé les données de structures nanométriques tridimensionnelles de cerveaux humains, de mouches à fruits et de souris. Ils ont découvert des propriétés de type fractal qui sont associées au point de criticité. Ces structures émergent notamment lorsqu’un système est proche de sa transition de phase. Cela se produit par exemple lorsque la glace est en train de fondre pour devenir liquide. Il s’agit toujours des mêmes molécules d’eau, mais qui subissent une transition de l’état solide à liquide.
Cependant, « nous ne disons certainement pas que le cerveau est sur le point de fondre. En fait, nous n’avons aucun moyen de savoir entre quelles phases le cerveau pourrait passer », précise le coauteur principal de la recherche, Helen Ansell. En effet, « s’il se trouvait de part et d’autre du point critique, ce ne serait pas un cerveau », a-t-elle ajouté.
Afin de déterminer si cet état est valable à différentes échelles, les chercheurs ont utilisé une modélisation statistique de type fractal. En réduisant l’échelle d’observation, ils ont constaté que les fractales étaient auto-similaires, c’est-à-dire que les caractéristiques observées à petite échelle sont transposables à l’échantillon entier. À l’échelle nanométrique, cette auto-similarité est présente au niveau des ramifications dendritiques des neurones individuels.
Selon les chercheurs, l’auto-similarité des fractales indique également un état de criticité. « Ce sont des choses que nous voyons dans tous les systèmes critiques en physique [et] il semble que le cerveau se trouve dans un équilibre délicat entre deux phases », indique Kovács.
D’autre part, les caractéristiques de criticité sont présentes à la fois dans les cerveaux humains ainsi que ceux des mouches et des souris. Bien qu’a priori très différents d’un point de vue structurel, les chercheurs ont constaté que ces propriétés émergentes sont étonnamment similaires pour tous les échantillons. Ils en ont déduit qu’il pourrait s’agir d’une caractéristique cérébrale universelle, ce qui pourrait expliquer pourquoi les cerveaux des animaux ont pour la plupart de nombreuses propriétés en commun.
L’équipe estime que ces résultats pourraient contribuer à améliorer les futures modélisations dynamiques du cerveau. Ils pourraient également servir à optimiser le développement des réseaux de neurones soutenant l’IA. En prochaine étape, les chercheurs prévoient d’étendre leur étude à des échantillons plus volumineux et à davantage d’organismes — ce qui permettrait de confirmer l’universalité de la criticité cérébrale.