La physique quantique prévaut dans le monde microscopique, tandis que la physique classique gouverne le domaine macroscopique. Le « passage de relais » entre ces deux domaines demeure un mystère pour les scientifiques en termes d’échelle et de mécanismes. Une récente expérience réalisée avec un résonateur acoustique a permis de mettre en évidence la superposition quantique — l’occupation simultanée de deux états quantiques distincts — dans un ensemble de 1016 atomes pesant environ un microgramme. Ces résultats repoussent les frontières du « quantique » pour des objets presque macroscopiques et pourraient révolutionner l’informatique quantique.
Les atomes et autres objets microscopiques obéissent aux lois de la mécanique quantique, tandis que les objets plus volumineux, tels qu’un vase ou même un grain de sable, suivent les règles de la mécanique classique établies par Isaac Newton il y a près de 340 ans.
En termes simples, la mécanique quantique implique qu’un atome peut se comporter comme une onde et ainsi se trouver simultanément à plusieurs endroits, tandis qu’en mécanique classique, un vase tombant se brise sans autres alternatives possibles. Une particule peut également se trouver dans deux états quantiques en même temps (superposition).
De nombreuses expériences ont confirmé les propriétés étranges des particules quantiques au cours des cent dernières années. Cependant, la raison sous-jacente de la différence de comportement entre les objets microscopiques et macroscopiques reste inconnue.
Récemment, Matteo Fadel de l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH) et ses collègues ont réussi à mettre un cristal d’un microgramme dans un état de superposition quantique pour tester la validité de la mécanique quantique dans le monde macroscopique. Les résultats de leurs recherches ont été publiés dans la revue Physical Review Letters. Ces travaux devraient permettre de tester la mécanique quantique et ses éventuelles modifications à l’aide d’objets plus massifs et de taille macroscopique.
États quantiques d’un cristal vibrant
Pour étudier la mécanique quantique sur des objets plus massifs, Matteo Fadel et son équipe ont utilisé des résonateurs à ondes acoustiques. Il s’agit de petites plaques de saphir conçues pour vibrer, et dont ces vibrations sont ensuite mesurées.
Afin de générer des vibrations représentant des états de superposition en mécanique quantique — équivalent à un atome ou une molécule se trouvant simultanément en deux endroits — le cristal est couplé par effet piézoélectrique (qui génère un champ électrique lorsqu’un matériau est déformé) à un circuit supraconducteur agissant comme un bit quantique, ou qubit — utilisé dans les ordinateurs quantiques.
Un qubit peut prendre l’un des deux états quantiques possibles ou une superposition des deux. En couplant le qubit au cristal, il est possible de transférer l’état de superposition du qubit aux vibrations collectives des atomes dans le cristal. De plus, le qubit peut ensuite être utilisé pour détecter l’état vibratoire du cristal.
Grâce à cette procédure, les chercheurs ont pu créer des états de superposition mécaniques quantiques pour un cristal de saphir composé de dix mille milliards d’atomes (un nombre avec 16 zéros). Ils ont refroidi le cristal, qui vibrait environ six milliards de fois par seconde, jusqu’à un centième de degré au-dessus du zéro absolu afin de minimiser les fluctuations thermiques.
Après avoir placé le cristal dans un état quantique spécifique, les chercheurs ont détecté son état après une période variable à l’aide du qubit. Cela leur a permis de déterminer si l’état vibratoire du cristal relevait véritablement de la mécanique quantique ou s’il pouvait être décrit par la mécanique classique. Au cours de leur expérience, ils ont observé des caractéristiques quantiques dans la vibration du cristal pendant près de 40 microsecondes.
Une révolution en mécanique quantique ?
Dans un communiqué, Fadel explique : « Combiné à la grande masse du cristal, ce temps de cohérence indique un test du principe de superposition quantique à un niveau proche de ce qui peut actuellement être atteint avec les interféromètres [instrument permettant de créer des interférences d’ondes électromagnétiques et d’étudier la superposition des ondes] ». Il ajoute : « Avec quelques améliorations, nous devrions être en mesure d’étudier d’autres objets macroscopiques dans un avenir proche, dépassant les résultats obtenus avec des molécules et testant ainsi la mécanique quantique dans des régimes encore inexplorés ».
L’objectif ultime de Fadel est de découvrir ce qui se passe avec les effets quantiques dans le régime de masse intermédiaire entre les atomes ou les molécules d’une part et les objets véritablement macroscopiques d’autre part. Certaines théories actuelles supposent que la perte de cohérence quantique à mesure que les objets deviennent plus grands est en quelque sorte intégrée à la mécanique quantique.
Déterminer si l’équation de Schrödinger (illustrée par le célèbre chat à la fois vivant et mort dans une boîte) doit être modifiée n’est pas seulement d’un grand intérêt pour la science fondamentale, comme le souligne Fadel : « Cela aurait des implications importantes, par exemple, pour les ordinateurs et les capteurs quantiques ».
Alors que le nombre de qubits dans ces dispositifs quantiques devient de plus en plus important, les effets de décohérence dus à leur taille même pourraient imposer des contraintes encore imprévues à leur fonctionnalité.