Qu’est-ce que l’expérience du Chat de Schrödinger ?

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La mécanique quantique permet la description de phénomènes qui paraissent souvent contre-intuitifs. La difficulté de concevoir ces derniers provient du fait qu’à l’échelle quantique, les objets se comportent tout à fait différemment par rapport au monde macroscopique et ne peuvent être décrits par des notions de la physique classique. C’est pour démontrer l’existence de ces paradoxes qu’en 1935, Erwin Schrödinger propose une célèbre expérience : le Chat de Schrödinger.

Au cours du XXème siècle, la mécanique quantique connaît un essor important. De Ludwig Boltzmann à Werner Heisenberg en passant par Max Plank, Albert Einstein ou encore Wolfgang Pauli, de nombreux physiciens œuvrent au développement d’une théorie quantique rigoureuse, élégante et cohérente. Mais la construction de la mécanique quantique et son interprétation n’ont pas toujours été consensuelles au sein de la communauté scientifique – et elles ne le sont d’ailleurs toujours pas.

La mécanique quantique et l’interprétation de Copenhague

Entre les années 1925 et 1927, les physiciens Niels Bohr et Werner Heisenberg proposent une interprétation cohérente des postulats de la mécanique quantique. Cette dernière est, en effet, radicalement différente du monde macroscopique décrit par la mécanique classique, et repose donc sur six postulats particuliers censés couvrir l’ensemble du monde quantique. Bohr et Heisenberg admettent une vision positiviste de la mécanique quantique : ces postulats ne permettent pas de décrire la réalité elle-même, mais décrivent uniquement ce que nous percevons et observons de cette dernière.

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L’école de Copenhague offre une interprétation positiviste de la mécanique quantique. Ici, trois de ses représentants : Bohr, Heisenberg et Pauli. Crédits : American Institute of Physics

À partir de ce constat, les deux physiciens vont placer l’appareil de mesure – et plus globalement la mesure en elle-même – au centre de la mécanique quantique. Pour eux, l’origine probabiliste de celle-ci provient de l’interaction entre l’objet quantique et l’appareil de mesure. Là où en mécanique classique l’objet et l’appareil qui le mesure sont totalement indépendants, en mécanique quantique ils ne peuvent être séparés, il existe une profonde relation entre les deux. Un système quantique en dehors d’une mesure est tout simplement indescriptible. Ce courant de pensée sera adopté par d’autres physiciens tels que Max Born et Pascual Jordan, et portera le nom d’« École de Copenhague » (ville où l’institut de physique était dirigé par Bohr).

Les paradoxes de la mécanique quantique : le problème de la mesure

En 1932, le mathématicien John Von Neumann, dans son livre « Les Fondements mathématiques de la mécanique quantique », décrit un ensemble de problèmes liés aux postulats de la mécanique quantique. Le premier consiste à se demander pour quelle raison, l’évolution de la fonction d’onde (calculée par l’équation de Schrödinger) étant déterministe, le résultat d’une mesure quantique est-il indéterministe ? Le second consiste à se demander, au regard de la linéarité et l’unitarité de la mécanique quantique, pourquoi les états quantiques non-choisis disparaissent lors de la mesure au lieu d’être préservés. Ces deux problèmes constituent le « problème de la mesure ».

Pour certains physiciens, la résolution du problème de la mesure nécessite de remettre en cause certains postulats à l’origine de ces paradoxes, notamment le postulat sur l’état quantique et celui sur la disparition des états non-choisis. En revanche, l’interprétation de Copenhague ne nécessite aucune remise en cause car pour elle, les lois quantiques ne décrivent pas la réalité, mais ce que nous en percevons ; dès lors qu’elles permettent de calculer et prédire des résultats expérimentaux corrects, peu importe qu’ils soient paradoxaux ou non puisque, encore une fois, ils ne sont pas une représentation exacte de la réalité.

Une particule dans tous ses états : le principe de superposition

En 1935, le physicien autrichien Erwin Schrödinger propose une expérience de pensée visant à mettre en évidence les défauts de l’interprétation de Copenhague. Plus particulièrement, Schrödinger souhaite montrer le paradoxe posé par le principe de superposition. En mécanique quantique, un objet est décrit entièrement par son état quantique ; celui-ci est contenu dans sa fonction d’onde, elle-même calculée grâce à l’équation de Schrödinger. Cette équation a la propriété d’être linéaire, c’est-à-dire que la combinaison de deux solutions de l’équation forme elle aussi une solution (on appelle cela une « combinaison linéaire »).

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L’équation de Schrödinger est linéaire, c’est-à-dire que la combinaison de deux solutions est également une solution. Une particule peut ainsi être dans plusieurs états simultanément : c’est le principe de superposition. Crédits : SIRTEQ

S’il existe deux états possibles pour une particule, alors la combinaison de ces deux états est également un résultat admissible. Combiner deux états donne un troisième état pour la particule ; les différents états de la particule se retrouvent alors « superposés » (ils existent simultanément) et cette dernière est ainsi dans un « état de superposition » : c’est le principe de superposition. Cependant, lorsque la particule est mesurée, c’est-à-dire lorsqu’elle interagit avec l’appareil de mesure, alors le système est perturbé et un seul état est choisi.

Ce détermination d’un état unique par la mesure s’appelle la « réduction du paquet d’onde » ou « l’effondrement de la fonction d’onde », car l’état superposé est réduit à un seul ; la fonction d’onde s’effondre et il ne reste plus qu’un seul état. L’état déterminé correspond aux probabilités contenues dans la fonction d’onde. Ainsi, même si le résultat de la mesure est fondamentalement indéterministe, c’est la fonction d’onde qui donne les probabilités de trouver la particule dans un état X ou Y. Bien que pour l’École de Copenhague l’effondrement de la fonction d’onde soit nécessairement liée à la mesure, cette dernière n’apparaît jamais concrètement dans le formalisme mathématique de la mécanique quantique.

Une boîte, un atome, un chat et Schrödinger

C’est cette apparente contradiction que Schrödinger a la volonté de pointer du doigt avec son expérience de pensée. Cette dernière consiste à enfermer un chat dans une boîte hermétique contenant une fiole d’acide cyanhydrique. Un dispositif doit briser la fiole et libérer l’acide (tuant ainsi le chat) lorsqu’il détecte la désintégration d’un atome d’un composé radioactif à l’aide d’un compteur Geiger. Considérons maintenant que, en calculant la fonction d’onde de l’atome, celui-ci a une probabilité de 50% de se désintégrer au bout de deux minutes. L’on pourrait donc s’attendre à ce que si la probabilité se réalise, le chat meurt au terme des deux minutes, indépendamment que l’on vérifie ou non si cela est bien le cas.

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Dans l’expérience du chat de Schrödinger, tant qu’aucun observateur ne regarde à l’intérieur de la boîte, le chat est simultanément mort et vivant, car l’atome est simultanément intact et désintégré. Crédits : astronimate.com

Toutefois, selon le principe de superposition, tant que la boîte n’est pas ouverte, c’est-à-dire tant qu’un observateur n’a pas mesuré (avec ses yeux) la situation, l’atome est dans un état superposé : il est simultanément intact et désintégré. Mais puisque le destin du chat est directement lié à l’état de l’atome, si celui-ci est en superposition, alors le chat l’est aussi ; il est simultanément mort et vivant. Ce n’est qu’en ouvrant le couvercle et en regardant (mesure) à l’intérieur de la boîte que la fonction d’onde s’effondre et qu’un état unique est déterminé : l’atome est intact et le chat vivant, ou l’atome est désintégré et le chat mort. Avant l’observation, il est donc impossible de connaître la situation du chat.

Bien entendu, cette expérience n’a jamais été véritablement réalisée pour des raisons évidentes tenant au fait qu’il est, par définition, impossible d’observer directement un état de superposition, car celui-ci s’effondrerait alors immédiatement. Il s’agissait simplement pour Schrödinger de démontrer que si la mécanique quantique permet théoriquement à un chat d’être à la fois mort et vivant, alors celle-ci est nécessairement lacunaire ou nécessite une réinterprétation.

Einstein proposera lui aussi une expérience de pensée impliquant un chat et un baril de poudre avec le même objectif que Schrödinger. Pour le père de la relativité, la situation du chat est parfaitement définie avant l’observation, ce n’est pas elle qui détermine son état. En effet, celui-ci refusait toute notion d’indéterminisme et affirmait que si le chat était mort ou vivant lors de l’ouverture de la boîte, c’était qu’il était soit mort soit vivant déjà avant d’y être placé. Il répondait ainsi à ses détracteurs en disant « le mystique positiviste va rétorquer qu’on ne peut spéculer sur l’état du chat tant qu’on ne regarde pas, sous prétexte que cela ne serait pas scientifique ».

Les autres solutions au problème de la mesure

Pour beaucoup de physiciens, l’expérience du chat de Schrödinger ne démontre pas l’incohérence de la mécanique quantique mais seulement l’impossibilité de vouloir traduire un phénomène quantique en termes classiques. Cependant, au-delà de l’approche positiviste de l’interprétation de Copenhague (dont Stephen Hawking était un fervent défenseur), plusieurs autres solutions ont été proposées afin de résoudre le problème de la mesure.

Ainsi, des physiciens comme Murray Gell-Mann ont proposé la théorie de la décohérence, qui propose que l’effondrement de la fonction d’onde n’est pas provoquée par l’observation directe mais par les différentes interactions de la particule avec son environnement. Plus ces interactions sont nombreuses, plus l’effondrement est rapide. La rupture de l’état superposé ne nécessite aucune mesure ou observateur, elle est simplement fonction des interactions environnementales physiques. Avec la décohérence, l’état du chat est donc déjà fixé avant même d’ouvrir la boîte.

Une autre solution a été apportée par le physicien Hugh Everett en 1957 et propose, contrairement à l’approche positiviste, que la mécanique quantique décrit entièrement la réalité. Lorsqu’une mesure est effectuée et que la fonction d’onde s’effondre, les états non-choisis ne disparaissent pas mais se réalisent dans des univers sous-jacents. Toutes les réalités se produisent donc mais dans des univers différents, à partir de la mesure. Cette théorie appelée « théorie des mondes multiples d’Everett », séduit un certain nombre de physiciens.

D’autres solutions comme l’onde pilote proposée par De Broglie en 1927, l’intervention de la conscience proposée par Eugene Wigner en 1963 ou encore l’équation de Schrödinger à variables cachées, proposent également de solutionner le problème de la mesure avec cependant moins de succès que les propositions précédentes.

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