Le 14 janvier 2019, le télescope MAGIC (ou Grand télescope Tcherenkov d’imagerie des rayons gamma atmosphériques) a détecté un sursaut de rayons gamma exceptionnel ; il s’agissait des photons les plus énergétiques jamais observés lors d’une explosion de rayons gamma. Avec ces nouvelles données, il est possible de confirmer que la vitesse de la lumière est constante dans le vide et ne dépend pas de l’énergie. Un élément qui vient appuyer la théorie de la relativité générale d’Einstein.
Les sursauts gamma (notés GRB pour gamma-ray burst) sont des explosions hautement énergétiques (ce sont les événements les plus énergétiques de l’univers), des flashs de photons gamma, très éloignés de notre galaxie. La plupart sont observés suite à des collisions d’étoiles à neutrons ou à des explosions de supernova. Le sursaut gamma détecté l’an dernier, baptisé GRB 190114C, dépassait les 0,2 TeV (soit 200 milliards d’électrons-volts).
Un phénomène qui ouvre la voie à des tests inédits
La relativité générale d’Einstein est une théorie datant de 1915, qui explique comment la masse et l’énergie interagissent avec l’espace-temps, créant un phénomène communément appelé « gravité ». Depuis sa publication, cette théorie a été maintes fois testée dans diverses situations et à de nombreuses échelles différentes, en considérant que la vitesse de la lumière demeure constante ; il se trouve qu’elle a toujours permis de prédire de manière exceptionnelle les résultats expérimentaux.
Les physiciens soupçonnent toutefois que la théorie de la relativité générale ne soit pas la théorie la plus fondamentale et qu’il pourrait exister une description mécanique sous-jacente de la gravité, appelée « gravité quantique ». Or, selon certaines théories de gravité quantique, la vitesse de la lumière pourrait être dépendante de l’énergie, ce qui remet en question la théorie d’Einstein.
Ce phénomène hypothétique, désigné par « violation de l’invariance de Lorentz », est particulièrement difficile à mettre en évidence. Ses effets sont trop faibles, à moins qu’ils ne s’accumulent sur une très longue période. Pour y parvenir, une solution consiste à utiliser des signaux provenant de sources astronomiques de rayons gamma. Les GRB sont donc d’excellents laboratoires pour les tests expérimentaux de gravité quantique, dont les effets devraient être particulièrement visibles sur ces photons de haute énergie, qui voyagent des milliards d’années avant d’atteindre la Terre. Les scientifiques espèrent y trouver des photons plus rapides ou plus lents que la vitesse de la lumière…
Les GRB sont détectés quotidiennement grâce aux instruments embarqués sur les satellites, mais aussi via des télescopes au sol comme MAGIC. En janvier 2019, ce dernier a détecté le tout premier GRB de l’ordre du téraélectronvolt (noté TeV), soit 1000 milliards de fois plus énergétique que la lumière visible ! Situé à 4,5 milliards d’années-lumière, ce GRB est beaucoup plus « proche » que les GRB qui ont été utilisés jusqu’alors pour contraindre les théories de la gravité quantique.
De multiples analyses ont alors été réalisées pour étudier la nature de cet objet et le rayonnement émis. Une aubaine pour les chercheurs. « Aucune étude de violation de l’invariance de Lorentz n’a jamais été réalisée sur des données GRB dans cette gamme d’énergie, simplement parce qu’il n’y avait pas de telles données jusqu’à présent », souligne Tomislav Terzic, chercheur de l’Université de Rijeka, en Croatie, et coauteur de l’étude.
De nouvelles contraintes de gravité quantique
Les scientifiques voulaient exploiter cette observation unique pour rechercher les effets de la gravité quantique. Ils se sont cependant heurtés à un obstacle : le signal enregistré avec le télescope MAGIC s’est dégradé avec le temps, il n’était donc pas favorable aux tests envisagés. En comparant les temps d’arrivée de deux rayons gamma d’énergie différente, les chercheurs supposent qu’ils ont été émis instantanément par la source. « Cependant, notre connaissance des processus dans les objets astronomiques n’est pas encore suffisamment précise pour déterminer le temps d’émission d’un photon donné », précise Daniel Kerszberg, chercheur à l’Institut de physique de haute énergie de Barcelone.
Traditionnellement, les astrophysiciens s’appuient sur des variations notables du signal pour contraindre le temps d’émission des photons. Or, un signal à variation continue n’offre pas les mêmes possibilités. Les chercheurs ont donc utilisé ici un modèle théorique, décrivant l’émission attendue de rayons gamma avant que les télescopes MAGIC ne commencent à l’observer. Ce modèle comprend une montée rapide du flux, des pics d’émission et une décroissance monotone, comme celle observée par MAGIC. Ceci a fourni aux scientifiques une porte d’entrée vers la recherche d’éventuelle violation de l’invariance de Lorentz.
Une analyse minutieuse n’a pourtant révélé aucun retard lié à l’énergie parmi les temps d’arrivée des différents rayons gamma, ce qui semble confirmer à nouveau la théorie d’Einstein selon laquelle la vitesse de la lumière est indépendante de l’énergie. Néanmoins, l’équipe ne ressort pas bredouille de l’expérience. « Nous avons pu fixer de fortes contraintes sur l’échelle énergétique de gravité quantique », souligne Giacomo D’Amico, chercheur à l’Institut Max Planck de physique à Munich.
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En outre, l’équipe se réjouit de la primeur de cette étude : il s’agit en effet du tout premier test de ce type jamais réalisé sur un signal GRB de l’ordre du TeV. Les chercheurs ont ainsi jeté les bases de futures recherches et de tests encore plus rigoureux autour de la théorie d’Einstein. « Cette fois, nous avons observé un GRB relativement proche. Nous espérons bientôt détecter des événements plus brillants et plus éloignés, ce qui permettrait des tests encore plus sensibles », déclare Oscar Blanch, porte-parole de la collaboration MAGIC.