Dans le désir de marier l’art et la science, un artiste néerlandais a développé un système innovant visant à stimuler les cultures agricoles en les éclairant temporairement à l’aide de faisceaux lumineux spécifiques, aux rythmes et couleurs soigneusement étudiés.
Les premiers essais du système, sur un champ de poireaux de 20 000 mètres carrés de Lelystad, aux Pays-Bas, ont laissé place à un spectacle lumineux d’une durée de quelques heures. En tout, quatre unités d’éclairage de « type projecteur », alimentées par l’énergie solaire, émettent un spectre sur mesure à travers les légumes-feuilles.
L’aboutissement du projet « Grow » est le fruit de deux années de collaboration entre l’artiste et designer néerlandais Daan Roosegaarde et des botanistes. Comme les concepteurs aiment le dire, Grow présente une « recette lumineuse » qui aide les cultures à mieux se développer, en prolongeant efficacement les heures d’ensoleillement. « La lumière est une question de communication, et les plantes y sont super sensibles », explique Roosegaarde.
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Dès que la situation le permettra (après la crise de COVID-19), quarante nouvelles installations seront mises sur pied dans d’autres pays. Grow a été développé en partenariat avec l’université de Wageningen et la Rabobank.
Une idée basée sur l’existant
La lumière rouge et bleue est utilisée depuis des décennies dans les serres et, plus récemment, dans les exploitations agricoles verticales (ou fermes verticales) pour améliorer la croissance des plantes et maximiser les rendements. Dans ce projet, elle est appliquée aux cultures traditionnelles.
Le professeur Jason Wargent, photobiologiste spécialisé dans les plantes, travaille avec Roosegaarde pour préprogrammer les plantes à l’aide de la lumière. « La lumière agit comme un signal d’information », explique Wargent, directeur scientifique et fondateur de la start-up néo-zélandaise BioLumic. En fournissant des combinaisons sur mesure de types spécifiques d’UV, de semences ou de plants, des mécanismes internes peuvent être déclenchés pour augmenter la productivité à un stade ultérieur tout en améliorant la capacité des plantes à se protéger contre les parasites et les maladies, explique-t-il.
« L’UV est très spécifique en matière de biologie qu’il cible à l’intérieur de la plante, donc il déclenche des mécanismes que d’autres longueurs d’onde ne peuvent pas déclencher. C’est un traitement secret, invisible, mais puissant », ajoute Wargent.
Avec une population mondiale estimée à 9 milliards d’habitants à nourrir d’ici 2050, selon les Nations unies, la pression pour augmenter la productivité agricole est intense, mais de nombreux pesticides et engrais peuvent entraîner une pollution non négligeable une fois qu’ils sont libérés dans le sol et les cours d’eau. Wargent suggère que ce type de systèmes de stimulation lumineuse pourraient être « la prochaine grande révolution dans l’agriculture ».
« Les agriculteurs ont besoin d’un ensemble d’outils diversifiés dès maintenant pour augmenter les rendements. Cette alternative propre pourrait contribuer à réduire le besoin de produits chimiques agricoles qui sont coûteux et longs à développer, et qui peuvent polluer l’environnement une fois appliqués », déclare Wargent. « Nous débloquons la capacité de la plante à progresser, à mieux fleurir et pousser, avec une ‘recette lumineuse’ programmable, mais sans les inconvénients ».
Dans le laboratoire BioLumic, les traitements UV sont appliqués au tout début de la vie d’une plante. Ils peuvent être appliqués pendant sept jours pour un semis ou seulement quelques minutes pour une graine, mais « une fois exposés à cet éclat de rayonnement, les effets secondaires dureront toute la vie de la plante », explique Wargent. D’ailleurs, il envisage qu’une étape supplémentaire de traitement à la lumière pourrait être intégrée dans le traitement agricole des semences avant qu’elles ne soient envoyées au cultivateur. Cette année, BioLumic réalise des essais en plein champ sur des cultures de soja américaines et compte mettre son système sur le marché.
Aucune perturbation de la faune et respect du ciel nocturne
En prenant l’exemple du champ de poireaux de Lelystad, la conception précise du dispositif d’éclairage dirige parfaitement les faisceaux horizontalement, là où il faut. Rien ne rayonne ailleurs que sur les plantes et la lumière est envoyée pendant une courte durée chaque soir afin de ne pas perturber la faune, selon Roosegaarde, qui soutient le mouvement « Dark Sky » visant à réduire la pollution lumineuse au niveau mondial.
Roosegaarde espère qu’une tournée future dans les 40 premiers pays dans lesquels il recréera son œuvre poussera la « science de la lumière » à se développer davantage. « Des rizières en Chine aux champs de blé aux États-Unis, nous pouvons créer des dispositifs adaptés à la production alimentaire locale et fournir une expérience qui reconnecte les gens avec la provenance de leur nourriture », déclare-t-il.
Chaque jour, ce sont des centaines de courriels d’agriculteurs des quatre coins du monde que reçoit Roosegaarde, dont le Pérou et l’Italie, qui veulent s’engager dans le projet. Son invention ne suffira pas à résoudre les problèmes de sécurité alimentaire, mais il espère qu’elle pourra s’ajouter à la boîte à outils. « En suscitant la curiosité pour l’avenir, cela pourrait accélérer la transition nécessaire », déclare-t-il.
Le projet Grow est le dernier d’une série d’œuvres de Roosegaarde qui s’attaquent aux problèmes environnementaux, notamment une tour de filtrage du smog, une autoroute intelligente qui se recharge le jour et brille la nuit, et une installation artistique qui permet aux visiteurs d’interagir avec des algues luminescentes. Son studio travaille actuellement sur un projet appelé Urban Sun, qui vise à « éliminer le coronavirus dans les espaces publics ». « Il y a tellement de ‘bonne science’ et de technologies, mais elles sont ‘cachées’ », déclare Roosegaarde. « Mon travail consiste à les activer et à les éclairer », conclut-il poétiquement.
Présentation du projet Grow en vidéo :