Au cours des dernières années, le génie génétique a connu un essor considérable comme moyen de traitement de plusieurs pathologies complexes. C’est notamment le cas de l’outil de modification génétique CRISPR, dont les inventrices ont reçu le prix Nobel de chimie 2020. Ces ciseaux moléculaires, capables de couper, remplacer ou modifier des séquences génétiques, ont déjà fait l’objet de très nombreuses études concernant leur potentiel thérapeutique. Et récemment, une équipe de chercheurs israéliens est venue conforter ce potentiel en montrant que CRISPR peut être utilisé pour cibler et détruire les cellules cancéreuses des formes les plus meurtrières de cancers, augmentant considérablement le taux de survie. Bien qu’obtenus sur des souris, ces résultats sont extrêmement encourageants concernant la lutte contre le cancer.
Des chercheurs de l’Université de Tel Aviv (TAU) ont démontré que le système CRISPR/Cas9 est très efficace dans le traitement des cancers métastatiques, une étape importante sur la voie de la recherche d’un remède universel contre le cancer. Les chercheurs ont développé un nouveau système de vecteur à base de nanoparticules lipidiques qui cible spécifiquement les cellules cancéreuses et les détruit par modification génétique. L’étude a été publiée dans la revue Science Advances. Le système, appelé CRISPR-LNP, porte un messager génétique (ARN messager) qui code pour l’enzyme CRISPR/Cas9, qui agit comme un ciseau moléculaire modifiant l’ADN des cellules.
« Il s’agit de la première étude au monde à prouver que le système d’édition du génome CRISPR peut être utilisé pour traiter efficacement le cancer chez un animal vivant. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas de chimiothérapie. Il n’y a pas d’effets secondaires, et une cellule cancéreuse traitée de cette manière ne redeviendra jamais active. Les ciseaux moléculaires de Cas9 coupent l’ADN de la cellule cancéreuse, la neutralisant ainsi et empêchant définitivement la réplication », explique Dan Peer, chercheur en nanomédecine au TAU.
Un taux de survie augmenté pour les cancers les plus meurtriers
Pour examiner la faisabilité de l’utilisation de la technologie pour traiter le cancer, Peer et son équipe ont choisi deux des cancers les plus meurtriers : le glioblastome et le cancer de l’ovaire métastatique. Le glioblastome est le type de cancer du cerveau le plus agressif, avec une espérance de vie de 15 mois après le diagnostic et un taux de survie à cinq ans de seulement 3%. Les chercheurs ont démontré qu’un seul traitement avec CRISPR-LNPs doublait l’espérance de vie moyenne des souris atteintes de glioblastome, améliorant leur taux de survie global d’environ 30%.
Le cancer de l’ovaire est une cause majeure de décès chez les femmes et le cancer le plus mortel du système reproducteur féminin. La plupart des patients sont diagnostiqués à un stade avancé de la maladie, lorsque les métastases se sont déjà propagées dans tout le corps. Malgré les progrès des dernières années, seul un tiers des patients survivent à cette maladie. Le traitement avec CRISPR-LNP dans un modèle de souris métastatique de cancer de l’ovaire a augmenté leur taux de survie de 80%.
Vers une utilisation clinique plus répandue de CRISPR
« La technologie d’édition du génome CRISPR, capable d’identifier et de modifier n’importe quel segment génétique, a révolutionné notre capacité à inhiber, réparer ou même remplacer les gènes de manière personnalisée. Malgré son utilisation intensive dans la recherche, la mise en œuvre clinique en est encore à ses balbutiements, car un système d’administration efficace est nécessaire pour délivrer en toute sécurité et avec précision CRISPR aux cellules cibles », indique Peer.
Le système d’administration développé par les chercheurs cible l’ADN responsable de la survie des cellules cancéreuses. Il s’agit d’un traitement véritablement innovant pour les cancers agressifs qui n’ont pas de traitement efficace aujourd’hui. Les chercheurs notent qu’en démontrant son potentiel dans le traitement de deux cancers agressifs, la technologie ouvre de nombreuses nouvelles possibilités pour traiter d’autres types de cancer ainsi que des maladies génétiques rares et des maladies virales chroniques comme le SIDA.
L’essor progressif des traitements à base d’ARNm
« Nous avons maintenant l’intention de passer à des expériences avec des cancers du sang très intéressants sur le plan génétique, ainsi que des maladies génétiques comme la dystrophie musculaire de Duchenne. Il faudra probablement un certain temps avant que le nouveau traitement puisse être utilisé chez l’Homme, mais nous sommes optimistes. Toute la scène des médicaments moléculaires qui utilisent l’ARN messager (messagers génétiques) est en plein essor », ajoute Peer.
« La plupart des vaccins anti-COVID-19 actuellement en développement sont basés sur ce principe. Lorsque nous avons parlé pour la première fois de traitements par ARNm il y a douze ans, les gens pensaient que c’était de la science-fiction. Je crois que dans un proche avenir, nous verrons de nombreux traitements personnalisés basés sur des messagers génétiques — à la fois pour le cancer et les maladies génétiques », conclut Peer.