Des chercheurs du Département de psychiatrie de l’Indiana University School of Medicine ont mis au point un nouveau test sanguin permettant d’évaluer de manière objective les troubles de l’humeur. Ceci pourrait permettre de limiter les erreurs de diagnostic et développer des traitements plus ciblés, donc plus efficaces.
Les troubles de l’humeur (dépression, bipolarité) sont fréquents et invalidants. Ils sont également hautement co-morbides. Selon l’Inserm, au cours de sa vie, une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’une dépression, qui mène au suicide dans 5 à 20% des cas. Jusqu’à présent, le diagnostic repose uniquement sur des évaluations cliniques, effectuées par des médecins, des psychologues et des psychiatres.
En raison du manque de tests objectifs, les troubles de l’humeur sont souvent sous-diagnostiqués ou mal diagnostiqués (diagnostic de dépression au lieu de trouble bipolaire par exemple). Une nouvelle étude, menée par des chercheurs de l’Indiana University School of Medicine, suggère que certains biomarqueurs sanguins associés aux troubles de l’humeur pourraient conduire à une nouvelle méthode de diagnostic plus précise, voire à une nouvelle approche de traitement beaucoup plus ciblée.
Une analyse de sang pour un traitement plus ciblé
Les tests sanguins sont parfois utilisés en parallèle des évaluations cliniques, notamment pour vérifier que les symptômes dépressifs ne sont pas dus à d’autres facteurs. Mais ils ne sont jamais utilisés pour établir le diagnostic de la maladie en tant que tel.
Or, dans leur étude, les chercheurs ont identifié 26 biomarqueurs sanguins liés de manière variable à l’incidence des troubles de l’humeur, notamment la dépression, le trouble bipolaire et le trouble maniaque. Une découverte qui ouvre la voie à une méthode de diagnostic plus fiable selon le psychiatre et neuroscientifique Alexander B. Niculescu, qui a dirigé l’étude : « Les biomarqueurs sanguins sont en train de devenir des outils importants dans les troubles où l’auto-évaluation subjective d’un individu ou l’impression clinique d’un professionnel de la santé ne sont pas toujours fiables », affirme-t-il.
Cela fait plusieurs années maintenant que Niculescu s’intéresse au sujet, à savoir la recherche de nouveaux moyens d’établir des diagnostics plus objectifs, à partir de données biologiques précises ; il a notamment travaillé au développement de tests sanguins permettant de prédire le risque suicidaire des patients, de diagnostiquer une douleur intense ou d’évaluer les niveaux de stress post-traumatique. Comme le souligne ce spécialiste, les analyses de sang peuvent ouvrir la voie à une médicamentation précise et personnalisée, ainsi qu’à un suivi objectif de la réponse au traitement. Car à ce jour, les traitements disponibles ne fonctionnent malheureusement pas chez toutes les personnes atteintes.
Dans le cadre de cette nouvelle étude, menée sur quatre ans, les chercheurs ont effectué régulièrement des prélèvements sanguins sur des centaines de patients souffrant de dépression (plus ou moins sévère), afin d’étudier les biomarqueurs d’expression génique liés aux troubles de l’humeur. Après avoir identifié une première série de biomarqueurs candidats, ils ont effectué des tests supplémentaires auprès d’une seconde cohorte de patients pour affiner cette liste. Ils ont finalement retenu 26 biomarqueurs pertinents pour l’évaluation.
Enfin, ce set de biomarqueurs a fait l’objet d’un test ultime au sein d’un dernier groupe de patients ; l’objectif étant de confirmer qu’ils permettaient de déterminer l’humeur, les troubles dépressifs et maniaques chez les participants, mais aussi de prédire l’évolution de ces maladies (telle que de futures hospitalisations).
Intégrer la médecine de précision pour sauver des vies
À l’issue de ces expérimentations, les chercheurs ont pu conclure que 12 des biomarqueurs retenus étaient étroitement liés à la dépression, dont six permettaient de suivre et prédire à la fois la dépression et la manie (soit le trouble bipolaire) et deux probablement associés au trouble maniaque. Les chercheurs soulignent par ailleurs que ces biomarqueurs s’avèrent particulièrement pertinents pour mieux faire la distinction entre la dépression et le trouble bipolaire.
Selon les chercheurs, leur approche de la médecine de précision n’identifie pas seulement la propension à la dépression et à d’autres troubles de l’humeur chez les patients, mais peut également contribuer à mettre en évidence, grâce à la bio-informatique, les médicaments les plus adaptés à chacun — qu’ils soient déjà utilisés ou non dans le traitement des troubles. En effet, les principaux biomarqueurs identifiés étaient des cibles de médicaments existants, ce qui permet d’apparier les patients aux médicaments de manière ciblée et de mesurer la réponse au traitement.
Les résultats suggèrent par exemple que le pindolol, le ciprofibrate, la pioglitazone et l’adiphénine, ainsi que deux composés naturels, l’asiaticoside et l’acide chlorogénique, pourraient être des antidépresseurs efficaces — les trois derniers avaient d’ailleurs déjà été identifiés lors de recherches antérieures de l’équipe sur le risque suicidaire.
Enfin, parmi les principaux biomarqueurs liés aux troubles de l’humeur, les chercheurs en ont identifié huit qui sont impliqués dans le fonctionnement du cycle circadien, ce qui pourrait potentiellement apporter une explication de niveau moléculaire aux liens existant entre des conditions telles que la dépression et les troubles du sommeil observés en parallèle. « Cela explique pourquoi certains cas s’aggravent avec les changements saisonniers et les altérations du sommeil qui accompagnent les troubles de l’humeur », précise Niculescu.
Pour le spécialiste, il est essentiel de « moderniser » la psychiatrie pour améliorer la qualité de vie des patients, voire sauver des vies. « Les méthodes existantes évaluées par les médecins pour diagnostiquer la dépression et d’autres troubles de l’humeur sont insuffisantes, elles sont en retard par rapport aux types de systèmes de tests objectifs qui sont courants dans d’autres spécialités médicales », souligne l’équipe. Le test sanguin qu’ils ont mis au point n’est qu’au stade de la preuve de concept, mais les chercheurs espèrent que leurs résultats convaincront la communauté psychiatrique que la médecine de précision a sa place dans le diagnostic et le traitement de la dépression.