Comment la conscience est-elle fondée ? Cette question, parmi les plus profondes et complexes en sciences, fascine depuis des siècles philosophes, neuroscientifiques et physiciens. Une théorie, suggérant un lien entre la physique quantique et la conscience humaine, a émergé il y a plusieurs décennies. Longtemps controversée, elle a gagné en crédibilité à mesure que des études récentes en révélaient des éléments de preuve.
Depuis Platon, Aristote et Marc Aurèle, de nombreux penseurs ont tenté de percer le mystère de la conscience humaine. Mais ce n’est qu’au fil des siècles que les sciences modernes ont entrepris de lui donner un cadre méthodologique. Si les résultats obtenus sont souvent fragmentaires, certaines contributions se sont démarquées. Parmi elles, celles de Stuart Hameroff, professeur d’anesthésiologie à l’Université d’Arizona.
Ses recherches sur les effets des anesthésiques l’ont conduit à s’intéresser aux microtubules, ces structures cytosquelettiques formées de protéines de tubuline alpha et bêta. Selon Hameroff, ces microtubules pourraient jouer un rôle dans les mécanismes de la conscience.
Cependant, malgré ses investigations, le scientifique n’est pas parvenu à démontrer précisément comment ces structures contribueraient à l’émergence de la conscience. De son côté, bien avant de recevoir le prix Nobel de physique en 2020, Roger Penrose, dans son ouvrage The Emperor’s New Mind, publié en 1989, avançait l’idée que la conscience humaine a une nature quantique. Cette hypothèse se heurtait toutefois à un obstacle majeur : l’absence d’un mécanisme biologique expliquant comment l’effondrement de la fonction d’onde quantique pourrait générer des expériences conscientes. Intrigué par cette théorie, Hameroff suggéra que les processus quantiques à l’œuvre dans les microtubules pourraient en être l’origine.
Une théorie unissant biologie et physique quantique
De leur collaboration dans les années 1990 est née la théorie de la conscience quantique, baptisée « réduction objective orchestrée » (Orch OR). Selon leurs travaux, publiés en 1996 dans la revue Mathematics and Computers in Simulation, l’effondrement de la fonction d’onde quantique serait orchestré par les microtubules, identifiés comme les mécanismes biologiques manquants dans les hypothèses initiales de Penrose. Les chercheurs ont avancé que ces structures seraient capables de maintenir des états quantiques superposés, permettant un traitement de l’information fondé sur des principes non classiques.
Malgré sa complexité et son originalité, la théorie Orch OR reste un sujet de controverse depuis près de trente ans. Une critique récurrente concerne l’environnement du cerveau, décrit comme trop chaud et humide pour permettre des phénomènes quantiques, lesquels sont généralement observés à des températures proches du zéro absolu (-273,15 °C). Les partisans de cette objection soutiennent que, dans ces conditions, les lois de la physique classique reprennent le dessus. Hameroff et Penrose ont néanmoins répondu en affirmant que la conscience dépasse le cadre des simples calculs mécaniques et pourrait échapper, dans une certaine mesure, à notre compréhension actuelle de la mécanique quantique. « Je pense que notre théorie est solide du point de vue de la physique, de la biologie et de l’anesthésie », déclarait récemment Hameroff à Popular Mechanics.
Un débat scientifique qui persiste
Malgré le scepticisme, certaines recherches semblent soutenir l’idée d’une dimension quantique de la conscience. En 2021, une équipe dirigée par Xian-Min Jin, de l’Université Jiaotong de Shanghai, a étudié la dynamique des particules quantiques dans des structures complexes telles que le cerveau. Les résultats ont révélé des comportements distincts entre fractales quantiques et classiques, nourrissant l’hypothèse d’une interaction quantique au sein des microtubules.
Plus récemment, des travaux menés à l’Université Howard ont mis en lumière des effets quantiques directement liés aux microtubules, tandis qu’une autre équipe, sous la direction de Michael Wiest, a cherché à confirmer leur rôle dans les états de conscience en examinant leur interaction avec des anesthésiques volatils.
Par ailleurs, des chercheurs comme Zefei Liu, Yong-Cong Chen et Ping Ao explorent la communication quantique entre neurones en se penchant sur les propriétés de la myéline. Ils postulent que les vibrations des liaisons C-H dans cette gaine pourraient générer des photons intriqués, ouvrant ainsi une nouvelle piste sur les bases physiques de la conscience.
Si ces travaux relancent le débat, la théorie Orch OR reste loin de faire l’unanimité. « Je ne pense pas que tout le monde soit d’accord, mais je crois que notre théorie sera prise au sérieux », conclut Stuart Hameroff, laissant entrevoir un avenir où biologie et physique quantique pourraient enfin éclairer l’un des plus grands mystères de l’humanité.