La perte d’audition peut engendrer, selon la gravité, d’importants impacts négatifs sur la vie en société. Pourtant, les difficultés que vivent quotidiennement les personnes malentendantes sont parfois minimisées. Privées d’un sens qui leur est physiquement et psychologiquement essentiel, ces personnes sont facilement sujettes à la frustration et ont souvent tendance à se réfugier dans leurs bulles. Pour améliorer l’audition, des implants ou d’autres dispositifs auditifs sont disponibles. Cependant, à ce jour, aucun traitement n’est proposé à ce jour pour inverser la perte des cellules ciliées, cruciales pour l’audition et responsables de la majorité des problèmes d’audition. Des chercheurs du MIT, recrutés par la start-up Frequency Therapeutics, ont peut-être réalisé une découverte révolutionnaire qui permettrait la régénération de ces cellules. Il s’agit d’une piste innovante basée sur l’utilisation d’une molécule capable de stimuler les cellules progénitrices de l’oreille interne pour qu’elles se différencient en cellules ciliées.
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la déficience auditive incapacitante touche près de 466 millions de personnes dans le monde. Elle peut être due à divers facteurs, dont des traumatismes acoustiques (sons trop forts), des accidents (comme la dépressurisation trop rapide après une plongée), des antibiothérapies prolongées (en cas d’otite chronique, de tumeurs, …), ou encore à des facteurs génétiques influant sur la sensibilité aux sons.
Ainsi, les cellules ciliées peuvent être endommagées de façon irréversible. Ces dernières jouent un rôle fondamental dans la transmission des sons au cerveau. Situées dans la cochlée (le petit organe creux dans l’oreille interne en forme de coquille d’escargot), ces cellules perçoivent les vibrations sonores et les transforment en signaux électriques, qui sont ensuite envoyés au cerveau (pour traitement) via le nerf auditif. La perte de ces cellules entraîne alors des difficultés auditives souvent accompagnées d’acouphènes (des très désagréables sifflements ou bourdonnements provenant de l’intérieur de l’oreille).
Les conséquences des déficits auditifs sur la vie sociale varient selon les cas. Chez les enfants, la surdité moyenne peut par exemple entraîner des difficultés d’apprentissage scolaire, de développement cognitif et d’adaptation sociale. Chez les personnes âgées, la perte d’audition engendre des déclins cognitifs (mémorisation, capacité d’attention, …), et est également étroitement liée à la démence. Ces incapacités sont d’autant plus aggravées par l’isolement social provoqué par la difficulté à entendre.
Inverser la perte d’audition pourrait peut-être briser la barrière psychologique séparant ces personnes malentendantes du reste de la société. « L’ouïe est un sens tellement important car il relie les gens à leur communauté et cultive le sentiment d’identité », explique dans un communiqué Jeff Karp, l’un des fondateurs de Frequency Therapeutics et membre du corps professoral affilié au Harvard-MIT Health Sciences and Technology. « Je pense que le potentiel de restauration de l’audition aura un impact énorme sur la société », ajoute-t-il.
Le nouveau traitement de Frequency Therapeutics ambitionne de régénérer les cellules ciliées et inverser des dommages que l’on croyait irréversibles. Le médicament est notamment directement injecté dans l’oreille interne afin d’atteindre la cochlée. Les essais cliniques montrent des résultats significatifs dans l’amélioration de l’audition (mesurée par des tests de perception/compréhension de la parole).
Des résultats prometteurs
Comme mentionné au préalable, les molécules contenues dans le nouveau traitement stimulent les cellules progénitrices (descendantes des cellules-souches, qui elles ont la capacité de se différencier en n’importe quelle cellule spécialisée et fonctionnelle) de l’oreille interne pour une différenciation en cellules ciliées. D’après les chercheurs, cette différenciation s’effectue naturellement in utero (dans l’utérus) mais s’arrête cependant avant la naissance. Chaque personne naît ainsi avec environ 15 000 cellules ciliées dans la cochlée qui disparaissent avec l’âge sans jamais se régénérer. Parallèlement, une réserve de cellules progénitrices « dormantes » réside encore dans l’oreille interne. Il suffit alors de les stimuler pour engendrer la création de nouvelles cellules ciliées.
Les fondateurs de Frequency Therapeutics pensent également que leur approche d’injection directe offre des avantages par rapport aux thérapies géniques, qui reposent le plus souvent sur l’extraction des cellules d’un patient, leur programmation en laboratoire, puis leur injection régionale.
Pour tester la thérapie, la société a sélectionné 200 patients. Tous ont montré des améliorations significatives de la perception de la parole, dans trois études cliniques distinctes. Dans la première étude, ces améliorations ont été particulièrement marquées chez certains participants après une seule injection — durant près de deux ans dans certains cas. « La perception de la parole est l’objectif principal pour améliorer l’audition, et le besoin principal émis par les patients », souligne Chris Loose, co-fondateur et directeur scientifique de la start-up.
Par contre, une autre étude n’a pas montré d’amélioration de l’audition par rapport au groupe témoin (ayant reçu un placebo). Selon les scientifiques, ce résultat est dû à des défauts en amont de la conception des tests. Malgré tout, les experts estiment qu’ils ont réussi un exploit en provoquant la production du plus grand nombre de cellules ciliées à ce jour via une thérapie.
De plus, des impacts sociaux positifs sur le quotidien des patients qui ont participé aux tests sont également visibles. « Certaines de ces personnes n’ont pas pu entendre pendant 30 ans, et pour la première fois, elles ont dit qu’elles pouvaient entrer dans un restaurant bondé et entendre ce que leurs enfants disaient », raconte Robert Langer, professeur au MIT et co-fondateur de Frequency Therapeutics. La start-up table alors sur ce succès pour lancer pleinement ses activités et compte effectuer de nouveaux essais sur 124 personnes. Les résultats préliminaires devraient être disponibles au début de l’année prochaine.