Un groupe de chercheurs belges a établi une théorie qui permettrait de créer des vêtements régulateurs de température. Réversibles, ces pièces de tissu maintiendraient leur porteur au chaud lorsqu’il fait froid, et au frais en cas de chaleur.
L’innovation vient d’un groupe de chercheurs de l’Institut de recherche en Sciences et Ingénierie des Matériaux de l’Umons. L’idée paraît plutôt simple, de prime abord. Pourtant, l’enjeu d’une telle technologie est loin d’être négligeable. « La gestion de la chaleur radiative pour le confort personnel à l’aide de textiles d’ingénierie photonique a le potentiel de fournir un avantage substantiel pour une société économe en énergie et durable », affirment ainsi d’entrée de jeu les chercheurs dans le résumé du document d’étude.
Ils ne sont d’ailleurs pas les premiers à se lancer sur cette piste de recherche. Avant eux, d’autres recherches ont été effectuées sur ces textiles dits « de Janus », qui comme le dieu à plusieurs visages, peuvent changer de propriétés en étant simplement retournés. Il s’agissait cependant souvent de membranes peu confortables, puisqu’elles avaient tendance à retenir l’humidité. Le tissu imaginé par les chercheurs belges serait au contraire « tissé » avec les matériaux nécessaires pour permettre une certaine circulation de l’air.
Il serait composé de deux matériaux différents. D’un côté, des fibres métalliques, plus précisément de l’or dans le cadre de leurs expérimentations. De l’autre, des fibres dites diélectriques, c’est-à-dire qui ne contiennent pas de charges électriques susceptibles de se déplacer de façon macroscopique. Ce sont des matériaux qui ne peuvent pas conduire le courant électrique. Pour ce côté, leur choix s’est porté sur du carbure de silicium.
Réguler le rayonnement infrarouge
Pour comprendre pourquoi ces matériaux peuvent limiter ou augmenter la perte de chaleur de notre corps, il faut revenir à la façon dont nous régulons naturellement notre température. Au repos, le corps humain perd en effet de la chaleur de plusieurs manières différentes.
- La conduction : c’est la chaleur transmise par le corps à un matériau directement en contact avec lui, comme un vêtement.
- La convection : c’est la chaleur emportée par des mouvements d’air qui se produisent près du corps. D’où l’intérêt d’un ventilateur en été !
- La radiation : c’est le rayonnement de chaleur émis naturellement par notre corps vers l’extérieur, qui est un rayonnement infrarouge.
Il est assez facile, avec les moyens du bord, d’agir sur la perte de chaleur par conduction ou par convection. On peut par exemple porter un coupe-vent lorsque la brise est un peu forte, ou rajouter des couches de vêtements. En revanche, il est a priori plus difficile d’agir sur le rayonnement infrarouge de notre corps. Pourtant, celui-ci représente environ 50% de notre perte de chaleur. Puisqu’on ne peut modifier directement le corps, il faudrait pour cela changer la façon qu’ont les vêtements d’émettre des radiations vers l’extérieur. C’est à cette problématique que se sont attaqués les chercheurs.
Des fibres qui réfléchissent… ou pas
Pour résoudre la délicate équation, les chercheurs se sont penchés sur l’étude de matériaux possédant des propriétés particulières en termes d’absorption et d’émission de rayonnements. Ils ont ainsi calculé la transmission, la réflexion et l’absorption du rayonnement pénétrant le matériau. Pour choisir les matériaux idéaux, ils se sont basés sur un principe simple : la capacité à absorber le rayonnement d’un côté doit être équivalente à la capacité d’émettre un rayonnement de ce même côté.
Cette capacité à émettre est appelée « émissivité ». Si le choix des chercheurs s’est porté sur le métal et le carbure de silicium, c’est par rapport à cette émissivité. D’un côté du vêtement, le métal, qui est un matériau réfléchissant, absorbe donc peu de lumière. Cela signifie qu’il va avoir un rayonnement faible. Son indice d’émissivité, sur une échelle de 0 à 1, a été calculé à 0.02. De l’autre côté, le carbure de silicium est au contraire hautement absorbant : il aura donc une forte capacité de rayonnement. Son indice d’émissivité a été calculé à 0.74.
Résultat : si l’on porte un vêtement composé de ces deux matériaux sur les deux faces, il devient possible de faire plus confortablement face à des milieux frais ou chauds. L’équipe a ainsi déterminé qu’une personne portant un vêtement avec la partie métallique tournée vers l’extérieur pouvait rester au chaud jusqu’à une température de 11 °C. À l’inverse, en portant le vêtement de l’autre côté, exposant la partie en fibres de carbure de silicium, la température resterait confortable pour le porteur du fameux textile jusqu’à 25 °C.
Des vêtements à prix d’or ?
Les chercheurs souhaitent maintenant concevoir un prototype pour mettre leur théorie à l’épreuve. Pour eux, un succès pourrait avoir un réel impact sur notre quotidien. De tels vêtements permettraient en effet d’avoir moins recours au chauffage, ou à la climatisation, en amenant la régulation thermique au niveau individuel.
Pour l’heure, deux obstacles de taille demeurent, qui devront être surmontés d’une manière ou d’une autre : le prix des matériaux utilisés et le coût de fabrication (découlant de la complexité du tissu à produire). En effet, un tee-shirt tissé de fils d’or et de fibres de carbure de silicium risque de ne pas être accessible à tous…