Les forêts tropicales humides australiennes sont désormais les premières à passer du statut de puits de carbone à celui de source d’émissions, selon une analyse s’étendant sur plusieurs décennies. Ce basculement serait lié à des températures toujours plus extrêmes et à des épisodes de sécheresse plus intenses, entraînant une hausse notable de la mortalité des arbres. Ces observations pourraient annoncer la trajectoire que suivront les forêts tropicales du monde au cours des prochaines décennies.
Les arbres stockent du carbone tout au long de leur croissance et le libèrent lorsqu’ils tombent, meurent ou se décomposent. Longtemps considérées comme l’un des principaux puits de carbone de la planète, les forêts tropicales absorbent plus de CO2 qu’elles n’en rejettent. Certaines études ont également suggéré que la hausse de la concentration de CO2 atmosphérique pourrait stimuler leur croissance, augmentant ainsi la biomasse de stockage du carbone.
Cependant, si certains modèles laissaient espérer que cet effet de rétroaction contribuerait à atténuer le réchauffement climatique, la hausse de la mortalité des arbres observée ces dernières années laisse penser que la capacité des forêts tropicales à jouer ce rôle s’affaiblit. En effet, les chaleurs extrêmes et la sécheresse prolongée provoquent un stress thermique et hydraulique susceptible d’altérer la productivité forestière.
Les tempêtes et cyclones tropicaux — dont la fréquence et l’intensité devraient augmenter à mesure que le climat se réchauffe — contribuent eux aussi à ce déséquilibre, en détruisant de vastes zones boisées. Il est donc nécessaire de mieux comprendre la sensibilité et la résilience des forêts tropicales en tant que puits de carbone dans un climat en mutation rapide.
Dans cette optique, des chercheurs de l’Université nationale australienne, de l’Université Western Sydney, de l’Université d’Édimbourg et de l’Institut national de recherche pour le développement durable (INRD) ont analysé, sur plusieurs décennies, les effets cumulés du stress thermique et hydrique sur les forêts tropicales humides d’Australie.
Bien que réparties sur une aire relativement petite (environ 1 million d’hectares), ces forêts comptent parmi celles abritant la biomasse la plus élevée de la planète. Leur dépendance accrue à l’humidité atmosphérique et leur exposition aux sécheresses et aux cyclones en font des écosystèmes particulièrement vulnérables. Leur réaction face au réchauffement climatique pourrait ainsi préfigurer celle de forêts plus vastes, telles que l’Amazonie.
« Nous savons que les tropiques humides d’Australie occupent une zone climatique légèrement plus chaude et plus sèche que les forêts tropicales d’autres continents. Par conséquent, ils pourraient servir d’analogue futur à ce que connaîtront les forêts tropicales dans d’autres régions du monde », explique Hannah Carle, autrice principale de l’étude à l’Université Western Sydney, citée par le Guardian.
Une transition en tant que source nette de carbone à partir de 2000
Pour mener leur enquête, Carle et ses collègues ont analysé les données à long terme de près de 11 000 arbres répartis sur 20 sites forestiers de l’État du Queensland, dans le nord-est de l’Australie. Ils ont suivi la croissance de ces arbres et évalué l’influence du changement climatique sur leur capacité à capter et à stocker le carbone.
« Les ensembles de données écologiques à long terme comme celui-ci sont extrêmement rares, mais essentiels à la compréhension de notre environnement futur », souligne dans un communiqué de l’Université d’Édimbourg Patrick Meir, de l’École des géosciences et coauteur principal de l’étude. « Leur préservation et leur développement doivent devenir une priorité scientifique majeure, mais leur avenir demeure très incertain », ajoute-t-il.
Les résultats — détaillés dans la revue Nature — mettent en évidence une hausse significative de la mortalité des arbres liée aux épisodes de chaleur extrême et de sécheresse. La biomasse aérienne, c’est-à-dire les branches et les feuilles, est ainsi devenue une source nette de carbone à partir de l’an 2000.
Plus précisément, les données montrent que les forêts étudiées ont perdu près de 0,9 tonne de carbone par hectare de leur biomasse aérienne chaque année entre 2010 et 2019. Cette transition vers un rôle d’émettrice de carbone s’est apparemment opérée il y a environ 25 ans, les forêts absorbant encore plus de carbone qu’elles n’en émettaient avant 2000.
« Ce sont les premières forêts tropicales de ce type à présenter ce symptôme de changement », indique Carle au Guardian. Leur capacité de puits de carbone avait atteint son maximum entre 1970 et 1980, lorsque chaque hectare absorbait une quantité équivalente de carbone chaque année, portée par la croissance rapide de la biomasse.

Des prévisions climatiques sous-estimées ?
Aucune preuve claire d’une croissance de la biomasse liée à l’augmentation des concentrations de CO2 atmosphérique n’a par ailleurs été observée, contredisant les hypothèses antérieures. Cela laisse penser que la capacité des forêts tropicales à continuer d’absorber le CO2 pourrait avoir été surestimée.
De plus, la proportion de carbone capturée par les forêts est restée relativement stable au cours des dernières décennies à l’échelle mondiale, et la plupart des modèles climatiques reposent sur cette tendance. Or, si les forêts deviennent des sources d’émissions, ces modèles pourraient sous-estimer la vitesse à laquelle le climat se réchauffera dans les prochaines décennies.
« Notre constatation selon laquelle le changement climatique provoque le passage du rôle de puits de carbone à celui de source dans ces forêts souligne l’urgence d’agir pour réduire les émissions, afin de permettre à ces écosystèmes irremplaçables de continuer à ralentir le réchauffement climatique », conclut David Bauma, de l’IRD, coauteur de l’étude.