Tout ce qu’il faut savoir sur la chloroquine et la promesse derrière ce traitement expérimental

Didier Raoult, directeur de l'IHU Méditerranée Infection. | Gérard Julien/AFP
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Dans le cadre de la pandémie à coronavirus SARS-CoV-2, les virologues, infectiologues et immunologistes travaillent activement au développement d’un vaccin ainsi qu’à la mise au point de traitements. La chloroquine, et plus précisément l’hydroxychloroquine, est présentée depuis quelques semaines comme un traitement révolutionnaire. En France, le professeur Didier Raoult a présenté récemment des résultats certes prometteurs, mais plutôt contestés par la communauté scientifique. Qu’en est-il réellement ?

Il y a quelques jours, Didier Raoult, professeur en microbiologie et infectiologie à l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranéen de Marseille, présentait une vidéo dans laquelle il exposait les résultats obtenus par lui et son équipe dans le cadre d’essais cliniques menés sur 26 patients atteints du coronavirus SARS-CoV-2 et traités par de l’hydroxychloroquine. Suite à ces résultats, le gouvernement français a pris la décision d’étendre ces essais cliniques sur le territoire.

Lors de cette première intervention, Didier Raoult annonçait en effet des résultats que l’on pourrait qualifier de spectaculaires. Sur l’ensemble des patients, 75% auraient montré des améliorations significatives de leur état en seulement six jours de traitement, tandis que les 25% restants étaient encore porteurs du virus à la fin des essais. L’annonce de ces résultats a profondément divisé l’opinion. Que sait-on réellement aujourd’hui des résultats obtenus par Raoult et son équipe ?

Chloroquine : utilisations thérapeutiques et essais sur les virus

La chloroquine et l’hydroxychloroquine (HCQ) sont des molécules thérapeutiques utilisées principalement dans le traitement contre le paludisme ; l’HCQ est commercialisée sous les noms Plaquenil, Axemal et Dolquine. Elle peut également être prescrite sous forme de sulfate ou phosphate de chloroquine. La différence entre chloroquine et HCQ réside dans la présence de groupes hydroxyle (OH) en bout de chaîne moléculaire (bêta-hydroxylation de l’extrémité N-éthyl).

L’HCQ est également utilisée dans le traitement de certaines maladies inflammatoires auto-immunes telles que le lupus, la polyarthrite rhumatoïde et la porphyrie aiguë. Son mécanisme d’action contre le paludisme passe par l’augmentation du pH des lysosomes au sein des cellules présentatrices d’antigènes. Concernant son action sur les maladies inflammatoires, elle inhibe les récepteurs de type Toll 9, entraînant la neutralisation du processus inflammatoire par la réduction d’activité des cellules dendritiques (réduction des interférons).

Au début des années 1968, la chloroquine, sous forme d’hydroxychloroquine et de sels, est testée in vitro sur un certain nombre de virus connus pour provoquer des infections sévères. Ainsi, plusieurs essais ont été menés afin d’étudier les potentiels effets antiviraux de la chloroquine (la liste suivante n’est pas exhaustive) :

Les essais effectués sur plusieurs virus au cours des 40 dernières années ont donc montré, dans certains cas, une action antivirale positive (totale ou partielle) in vitro sur des cellules cultivées en boite de Pétri. Mais dans la totalité des cas, il a été impossible (ou très partiellement) de reproduire ces résultats in vivo, entraînant même des aggravations (réplication accélérée du virus, inhibition de l’immunité cellulaire, perturbation du système immunitaire, etc.) et des complications cliniques chez plusieurs modèles d’animaux.

Essais de la chloroquine dans le traitement du COVID-19

Les tests concernant une potentielle action antivirale de la chloroquine sur les coronavirus ont débuté dès 2004 lorsque des virologues belges montrent que l’usage de chloroquine permet, dans une certaine mesure, de réduire le taux de réplication virale du virus du SRAS (SARS-CoV) in vitro. L’année d’après, ce sont des virologues chinois qui montrent une réduction de l’inflammation chez des souris infectées par le SARS-CoV. Fin 2009, une étude belge montre une réduction de la réplication virale in vivo concernant le coronavirus humain OC43.

Pendant près de dix ans, les chercheurs vont arrêter de s’intéresser aux effets antiviraux de la chloroquine sur les coronavirus en raison de résultats partiellement concluants. Il faut attendre janvier 2020, et l’apparition de l’épidémie à coronavirus SARS-CoV-2, pour que des chercheurs chinois de l’université de pharmacologie de Qingdao mènent des essais cliniques sur une centaine de patients hospitalisés, en concluant que le phosphate de chloroquine a permis une amélioration nette des conditions cliniques des patients.

Cependant, ces premiers résultats sont entachés d’incomplétude méthodologique. Aucune donnée ni indicateur clinique ne sont publiés. Ainsi, les protocoles cliniques, les dosages, les états cliniques des patients, la sévérité de leurs symptômes, la composition des groupes de contrôle, la randomisation en double aveugle ou non des essais, les molécules utilisées, les conditions physiques, les antécédents médicaux, etc., sont inconnus. Sur la simple présentation de ces résultats, il était donc impossible de statuer sur l’effet réel de la chloroquine.

Un mois après, mi-février 2020, une nouvelle fois, une équipe chinoise affirme que la chloroquine (ainsi que le Remdésivir) inhibe efficacement la réplication virale du SARS-CoV-2 in vitro. Cependant, là encore, les données expérimentales sont relativement parcellaires. Les dosages et les méthodes utilisées pour comptabiliser la réplication virale sont indiqués de manière incomplète. La communauté scientifique exhorte dès lors les chercheurs chinois à publier en peer-review l’ensemble des données manquantes pour statuer.

Malgré le manque de données cliniques et expérimentales brutes concernant les effets antiviraux de la chloroquine, le gouvernement chinois préconise l’utilisation de chloroquine (et dérivés) comme traitement dans le cadre des complications pulmonaires à SARS-CoV-2. Cette déclaration oblige l’OMS ainsi que la communauté scientifique à rappeler que sans études évaluées par les pairs et sans données concrètes vérifiables et reproductibles, la chloroquine ne doit pas être prescrite dans ce cadre thérapeutique.

L’essai clinique du professeur Didier Raoult

Sur la base des résultats des essais cliniques chinois menés en janvier 2020, le professeur Didier Raoult et son équipe de l’IHU de Marseille décident de mener leurs propres essais. Le protocole clinique utilisé est le suivant : un protocole ouvert (open-label) non randomisé incluant une cohorte de 26 patients. Ceux-ci ont été répartis en deux groupes : 14 patients traités par hydroxychloroquine et 6 patients traités par une combinaison HCQ+azithromycine (antibiotique à spectre large). Le groupe de contrôle était quant à lui constitué de 16 personnes.

En outre, plusieurs détails sont précisés sur la déclaration d’essais publiée dans le Registre des Essais Cliniques de l’Union Européenne concernant les essais cliniques relatifs au SARS-CoV-2 : la durée de suivi des patients et de l’essai dans sa totalité est fixée à 14 jours. Des critères cliniques sont imposés : test au coronavirus SARS-CoV-2 positif, aucun participant âgé de moins de 12 ans n’est admis, aucune allergie aux traitements administrés (HCQ, azithromycine) ne doit être présente et les femmes enceintes sont exclues.

Ces essais, toujours selon Raoult et son équipe, ont pour objectif principal l’évaluation de la charge virale respiratoire chez les patients au bout de six jours. En d’autres termes, les auteurs souhaitent évaluer le nombre de particules virales présentes dans les voies respiratoires inférieures au cours du traitement. Mais la publication liste d’autres objectifs de suivi clinique : température corporelle (fièvre), mortalité, fréquence respiratoire, temps d’hospitalisation et effets secondaires.

Biais, défauts et erreurs méthodologiques : les critiques du protocole clinique de Raoult


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