Chaque année dans le monde, entre 250 000 et 500 000 personnes subissent des lésions de la moelle épinière. Pendant des décennies, les scientifiques ont cherché des traitements efficaces pour restaurer la moelle épinière, souvent avec peu de succès. Récemment, de nouvelles recherches, menées par des scientifiques de l’Université Northwestern, ont abouti à une innovation qui porte l’espoir d’un traitement réparateur : une injection utilisant des « molécules dansantes » pour réparer le tissu rachidien et inverser la paralysie. Nous vous en parlions déjà en novembre 2021, mais aujourd’hui une demande d’autorisation auprès de la FDA (États-Unis) va être faite pour commencer les essais cliniques. Retour sur une révolution médicale.
La moelle épinière, faisceau de nerfs transmettant des messages entre le cerveau et le reste du corps pour le mouvement et les sensations, descend à travers un canal au centre des vertèbres. La lésion médullaire aiguë (SCI) est due à une blessure traumatique qui ecchymose, déchire partiellement ou complètement la moelle épinière. Ces lésions sont une cause fréquente d’invalidité permanente et de décès chez les enfants et les adultes. Les symptômes peuvent varier considérablement. En effet, l’emplacement de la blessure sur la moelle épinière détermine quelle partie du corps est touchée et la gravité des symptômes. Généralement, on admet que plus la blessure se situe en haut sur la moelle épinière, plus les symptômes sont importants. Par exemple, une blessure au cou, aux premières et deuxièmes vertèbres de la colonne vertébrale ou aux vertèbres mi-cervicales affecte les muscles respiratoires et la capacité à respirer. Une blessure inférieure, dans les vertèbres lombaires, peut affecter le contrôle nerveux et musculaire de la vessie, de l’intestin et des jambes.
Dans leur majorité, ces lésions sont dues à des causes évitables, comme les accidents de la circulation, les chutes ou la violence. Malheureusement, il n’existe actuellement aucun moyen de réparer une moelle épinière endommagée ou meurtrie. Une intervention chirurgicale est parfois nécessaire pour évaluer la moelle épinière blessée, stabiliser la colonne vertébrale fracturée, relâcher la pression de la zone blessée et gérer toute autre blessure pouvant résulter de l’accident.
Néanmoins, de premiers essais prometteurs chez la souris pourraient permettre l’avènement d’un traitement de ces lésions et donc d’inverser la paralysie chez l’Homme, selon une étude publiée récemment dans Science. Ces travaux sont menés par une équipe de l’Université Northwestern de Chicago.
Prouesses techniques et molécules « dansantes »
En novembre 2021, nous vous rapportions que le traitement avait fait ses preuves chez les souris, ayant retrouvé leur capacité à marcher quatre semaines après une seule injection du nouveau traitement expérimental. Ce dernier contient des molécules modifiées permettant de créer des nanofibres. Une partie essentielle de cette recherche a été menée à l’Advanced Photon Source (APS) — installation du Bureau des sciences du Département américain de l’énergie (DOE) au Laboratoire national d’Argonne. Là, les scientifiques ont utilisé des faisceaux de rayons X ultra-brillants pour étudier la structure des molécules modifiées et la façon dont elles se comportaient ensemble dans une solution injectable.
C’est ainsi qu’injectées sous forme liquide, les molécules se sont associées, dans la solution, pour former de minuscules structures, les nanofibres, entourant la moelle épinière. Les chercheurs ont découvert que le mouvement des molécules dans les nanofibres pouvait être contrôlé en modifiant leur structure chimique. Or, il s’est avéré que les molécules qui se déplaçaient le plus, étaient plus susceptibles d’être repérées par un récepteur cellulaire. Ce dernier active la régénérescence des autres cellules de la moelle épinière et induit donc la réparation des neurones endommagés. C’est ainsi que les scientifiques, travaillant sous rayons X ultra-brillants, ont pu sélectionner les molécules les plus dynamiques, pour le traitement le plus efficace par la suite.
Stupp, directeur et fondateur du Simpson Querrey Institute for BioNanotechnology de l’université de Northwestern, déclare dans un communiqué : « Les récepteurs des neurones et d’autres cellules se déplacent constamment. L’innovation clé de notre recherche, qui n’a jamais été réalisée auparavant, est de contrôler le mouvement collectif de plus de 100 000 molécules au sein de nos nanofibres. En faisant bouger les molécules […] elles sont capables de se connecter plus efficacement aux récepteurs ».
Steven Weigand, scientifique de l’Université de Northwestern et auteur de l’étude, explique : « L’APS est un outil important pour ce type de recherche. Sans l’APS, vous devriez être plus restrictif sur les échantillons que vous pouvez analyser, et vous risquez de manquer ce qui est important ». En effet, les chercheurs peuvent observer simultanément des molécules sur une large gamme d’échelles, allant de centaines de nanomètres à moins de 10. Notons, pour l’échelle, qu’une feuille de papier a une épaisseur d’environ 100 000 nanomètres.
Plusieurs types de lésions traitées
Chez la souris, ce nouveau traitement a réparé les lésions de la moelle épinière de cinq manières : (1) les extensions sectionnées des neurones (axones) se sont régénérées ; (2) il y a eu une diminution significative du tissu cicatriciel, donc moins d’obstacles à la régénération et à la réparation ; (3) la myéline — couche isolante d’axones essentielle à la transmission efficace des signaux électriques — s’est reformée autour des cellules ; (4) des vaisseaux sanguins se sont formés pour fournir des nutriments aux cellules sur le site de la blessure ; et (5) plus de motoneurones ont survécu.
Une fois la thérapie terminée, les matériaux se biodégradent en nutriments pour les cellules dans les 12 semaines, puis disparaissent du corps sans effets secondaires notables, selon les auteurs de l’étude. Ces résultats nécessitent d’être reproduits chez l’Homme.
Une demande d’essai clinique pleine d’espoir
Près de 300 000 personnes aux États-Unis vivent avec une lésion de la moelle épinière, selon le National Spinal Cord Injury Statistical Center. Moins de 3% des personnes atteintes d’une lésion totale de la moelle épinière récupèrent les fonctions physiques de base. De plus, environ 30% sont à nouveau hospitalisés, au moins une fois au cours d’une année, après la blessure initiale, ce qui entraîne des millions de dollars en soins de santé, à vie, par patient. D’ailleurs, l’OMS estime que 20 à 30% des personnes souffrant de lésions médullaires présentent des signes cliniques importants de dépression qui, à son tour, peut avoir des répercussions négatives sur l’état fonctionnel et la santé en général.
De surcroît, l’espérance de vie des personnes atteintes de lésions médullaires est nettement inférieure à celle des personnes sans lésions médullaires et ne s’est pas améliorée depuis les années 1980. Selon l’OMS, le risque de mortalité est maximal au cours de la première année suivant la survenue de la lésion et reste élevé par rapport au reste de la population. Les personnes atteintes ont une probabilité deux à cinq fois plus grande de décéder prématurément que les autres. Même si on ne dispose pas d’estimations fiables de la prévalence mondiale, l’OMS évalue que l’incidence annuelle mondiale va de 40 à 80 cas par million d’habitants. Jusqu’à 90% de ces cas sont dus à des causes traumatiques, bien que la proportion des lésions d’origine non traumatique semble croître (maladies des motoneurones telle que la sclérose latérale amyotrophique ; myélopathies ; maladies dégénératives, etc.).
Stupp déclare : « Actuellement, il n’y a pas de traitement qui déclenche la régénération de la moelle épinière. Je voulais faire une différence sur les résultats des lésions de la moelle épinière et m’attaquer à ce problème, étant donné l’impact énorme qu’il pourrait avoir sur la vie des patients. De plus, une nouvelle science pour traiter les lésions de la moelle épinière pourrait avoir un impact sur les stratégies pour les maladies neurodégénératives et les accidents vasculaires cérébraux ».
L’équipe de recherche prévoit de demander l’approbation de la Food and Drug Administration des États-Unis pour que le traitement puisse être utilisé chez l’homme. Stupp conclut : « Notre recherche vise à trouver une thérapie qui peut empêcher les individus de se retrouver paralysés après un traumatisme majeur ou une maladie ».