Ces dix dernières années ont vu des avancées considérables dans l’immunothérapie en tant que stratégie anticancéreuse — une approche basée sur la stimulation du propre système immunitaire du patient. Malgré ces avancées, le domaine rencontre encore des défis, chaque forme de cancer ayant une grande diversité de mécanismes physiopathologiques, notamment relatifs à chaque patient. Une nouvelle étude de Stanford explore une nouvelle stratégie immunothérapeutique visant à transformer les cellules cancéreuses en cellules immunitaires. De cette manière, ces cellules modifiées entraînent les lymphocytes T du patient à reconnaître les cellules tumorales en tant que pathogènes, à l’instar d’un vaccin. Grâce à cette nouvelle stratégie, les chercheurs sont parvenus à éliminer la leucémie aiguë chez des souris.
Avant d’établir une stratégie immunothérapeutique, il est primordial de comprendre au préalable l’immunologie du cancer. Il est en effet important de le considérer non seulement selon un point de vue tumoral, mais également d’après son microenvironnement et des mécanismes immunitaires régissant ce dernier. L’influence des cellules tumorales sur ces points les rend souvent incontrôlables et leur permet de proliférer massivement dans tout l’organisme.
Le développement des tumeurs implique de profonds « remaniements génétiques » leur permettant de passer d’une caractéristique bénigne à maligne. En devenant malignes, elles se mettent à exprimer des antigènes spécifiques induisant des réponses immunitaires tout aussi spécifiques. Puis, en s’adaptant progressivement à leur environnement, ces antigènes cessent d’être exprimés, jusqu’à ce que l’organisme ne reconnaisse plus les cellules tumorales en tant que pathogènes, les confondant ainsi avec les cellules saines. De plus, le microenvironnement tumoral est généralement immunosuppresseur et entrave l’arrivée ou l’activation des lymphocytes T.
L’immunothérapie cancéreuse consiste à « réveiller » le système immunitaire de sorte qu’il recommence à reconnaître les cellules tumorales en tant que pathogènes et les élimine.
Des recherches antérieures ont déjà tenté une stimulation des lymphocytes T afin qu’ils reconnaissent les antigènes spécifiques au cancer. Parmi les stratégies explorant cette voie, figure par exemple la thérapie CAR T. Elle consiste à modifier génétiquement les cellules T d’un patient pour qu’elles expriment un récepteur spécifique qui reconnaît les antigènes tumoraux.
Ces stratégies restent cependant assez limitées, dans la mesure où les réponses aux thérapies peuvent considérablement varier d’un patient à l’autre. Cette variabilité serait notamment due au fait qu’il existe de nombreux antigènes cancéreux, et que les médecins doivent identifier lequel sélectionner et cibler pour chaque patient pour obtenir la meilleure réponse possible au traitement.
Dans le but d’essayer une autre approche potentiellement plus efficace, la nouvelle étude, parue dans la revue Cancer Discovery, vise à modifier génétiquement les cellules tumorales afin de leur conférer les mêmes propriétés que des cellules immunitaires pour ainsi inciter d’autres cellules à s’attaquer au cancer. Similaire à une stratégie vaccinale, « cette approche pourrait ouvrir une toute nouvelle voie thérapeutique pour le traitement du cancer », estime dans un communiqué Ravindra Majeti, professeure d’hématologie à l’Institut médical de Stanford et coauteure principale de l’étude.
Une réaction similaire à celle d’un vaccin
La stratégie des chercheurs de Stanford se base sur la capacité des cellules T à reconnaître les cellules tumorales en tant que pathogènes. Il s’agit de la même approche qu’un vaccin, qui « entraîne » les lymphocytes T à reconnaître un virus. Cette reconnaissance s’effectue par le biais de cellules présentatrices d’antigènes, rassemblant tous les marqueurs permettant de « démasquer » le pathogène à éliminer.
Les chercheurs de la nouvelle étude ont alors modifié les cellules tumorales pour qu’elles imitent des cellules présentatrices d’antigènes, ou macrophages. De cette manière, les lymphocytes T des patients sont capables de reconnaître un grand nombre d’antigènes cancéreux, contrairement aux techniques antérieures (dont la reconnaissance d’antigènes est limitée).
Au cours de leurs recherches, les scientifiques ont programmé des cellules leucémiques de souris pour les convertir en cellules présentatrices d’antigènes. Une fois injectées, ces cellules ont amorcé des réactions immunitaires permettant aux souris d’éliminer efficacement leur cancer. Testée in vitro sur des cellules humaines, la stratégie aurait également permis d’initier une réponse durable au niveau des lymphocytes T, pour l’élimination des cellules leucémiques.
Par ailleurs, une réponse « T mémoire » a également pu être observée chez les souris. Il s’agit notamment d’une réponse immunitaire de type T contre un antigène déjà rencontré, et sur laquelle se basent toutes les stratégies vaccinales. Après avoir ré-inoculé la leucémie aiguë chez les souris « vaccinées » 100 jours après l’inoculation initiale, une forte réponse immunitaire défensive a encore pu être observée. « À l’avenir, nous pourrons peut-être prélever des cellules tumorales, les transformer en cellules présentatrices d’antigènes et les redonner aux patients en tant que vaccin thérapeutique contre le cancer », suggère Majeti.
Les chercheurs ont également tenté leur approche sur des tumeurs solides, notamment sur le fibrosarcome et le cancer du sein. Malheureusement, la thérapie n’a pas été aussi efficace que sur la leucémie. Néanmoins, elle aurait permis d’augmenter la durée de vie des souris chez lesquelles l’on a inoculé ces deux formes de cancer. De façon optimiste, les chercheurs de la nouvelle étude estiment qu’un jour, nous pourrons peut-être injecter uniquement de l’ARN aux patients pour stimuler suffisamment les lymphocytes T afin qu’ils attaquent efficacement le cancer, à l’instar des vaccins à ARN.