Le concept d’interface cerveau-machine (ICM) remonte aux années 70. Il faudra attendre le milieu des années 90 pour que se tiennent les premiers essais sur l’Homme. Depuis, ces systèmes automatisés ne cessent de se perfectionner et d’offrir toujours plus d’autonomie aux personnes présentant un handicap les privant de leurs capacités motrices. Aujourd’hui, une équipe de chercheurs américains rapporte qu’elle a pu rendre le sens du toucher à un patient atteint d’une grave lésion de la moelle épinière, grâce à un nouveau type d’ICM.
Comme son nom l’indique, une interface cerveau-machine (ICM) est un dispositif qui établit une liaison directe entre le cerveau et un ordinateur, de manière à ce qu’un individu puisse réaliser une tâche sans utiliser son système nerveux périphérique et ses muscles. Ainsi, les personnes souffrant d’une paralysie totale ou partielle peuvent contrôler par la pensée une prothèse, voire un exosquelette, ou tout autre système automatisé pour pallier leur handicap. Mais pour restaurer la fonction des membres, le rétablissement du sens du toucher est primordial.
C’est pourquoi une équipe de chercheurs issus du Battelle Memorial Institute et du Centre médical universitaire Wexner de l’état de l’Ohio, a mis au point une nouvelle technologie permettant de restaurer efficacement ces sensations tactiles. Le système exploite des signaux neuronaux si minuscules qu’ils ne peuvent pas être perçus et les améliore via une rétroaction sensorielle artificielle renvoyée au patient. En d’autres termes, cette technologie amplifie la perception tactile ou plus exactement, le signal neuronal qui y est associé et qui remonte au cerveau. Ainsi, la fonction motrice est grandement enrichie.
Une fonction motrice restaurée, mais pas de sensation tactile
Le participant à cette étude est Ian Burkhart, un homme de 28 ans, ayant subi une blessure à la moelle épinière lors d’un accident de plongée en 2010. Depuis 2014, Burkhart collabore avec les scientifiques autour d’un projet d’implant cérébral baptisé NeuroLife, qui vise à restaurer la fonction de son bras droit. L’appareil qu’ils ont développé fonctionne grâce à un système d’électrodes positionnées sur la peau et une petite puce informatique implantée dans son cortex moteur : les signaux liés aux mouvements contournent ainsi la moelle épinière, et transitent par des fils électriques du cerveau vers les muscles. Burkhart a ainsi retrouvé suffisamment de contrôle sur son bras et sa main pour soulever une tasse de café, glisser une carte de crédit dans un lecteur ou encore, jouer à Guitar Hero, tel qu’on peut le voir dans la vidéo suivante.
Bien que les progrès soient déjà conséquents, le dispositif n’est pas encore optimal ; son usage demande en effet beaucoup de concentration, car les sensations au niveau de la main ne sont pas du tout les mêmes. « Jusqu’à présent, Ian a parfois eu l’impression que sa main était étrangère en raison du manque de rétroaction sensorielle », explique Patrick Ganzer, chercheur à Battelle et auteur principal de l’étude. « Il a également du mal à contrôler sa main à moins qu’il ne surveille attentivement ses mouvements. Cela nécessite beaucoup de concentration et rend le multitâche simple – comme boire un soda tout en regardant la télévision – presque impossible ». L’équipe a donc entrepris d’améliorer cette sensation tactile.
Il se trouve que, bien que Burkhart ne ressente aucune sensation dans la main, les chercheurs ont découvert que lorsqu’ils touchaient sa peau, un signal neuronal atteignait toujours son cerveau. En effet, Ganzer explique que même chez les personnes comportant de graves lésions médullaires, il reste toujours quelques brins intacts de fibres nerveuses. Problème : ce signal était si faible que son cerveau était incapable de le percevoir. L’équipe a donc tenté d’amplifier ces signaux dans la région cérébrale concernée. Leurs résultats viennent d’être publiés dans la revue Cell.
Simuler le sens du toucher par rétroaction haptique
Pour ce faire, les signaux tactiles ont été artificiellement renvoyés au cerveau de Burkhart en utilisant une rétroaction haptique. La technologie haptique permet de communiquer avec un utilisateur par le toucher ; c’est, par exemple, la vibration que vous ressentez lorsque vous pressez une touche de votre téléphone mobile, ou la vibration d’une manette de jeu vidéo pendant une certaine action. Ce sont des petits signaux qui permettent à l’utilisateur de sentir que quelque chose se passe. Le nouveau système conçu par l’équipe de Ganzer permet aux signaux tactiles sous-perceptuels provenant de la peau de Burkhart de retourner dans son cerveau grâce à une rétroaction haptique artificielle qu’il peut percevoir.
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Cette fonctionnalité ajoutée à l’ICM est très importante, car elle apporte des améliorations essentielles au quotidien. Tout d’abord, le patient pourra détecter de manière fiable un objet par le seul sens du toucher ; il pourra notamment trouver et ramasser un objet sans même le voir. Ensuite, ce nouveau système confère un plus grand sentiment de contrôle et permet de faire les choses plus rapidement ; il s’agit finalement de la première ICM qui permet de restaurer à la fois le mouvement et le toucher. Enfin, cette technologie permet de doser la pression à utiliser lors de la prise en main ou de la manipulation d’un objet (plutôt légère pour un objet fragile et plus ferme pour quelque chose de lourd).
L’objectif de l’équipe à long terme est de développer une ICM du même genre, que chaque personne handicapée pourrait aisément utiliser à domicile. Ils travaillent ainsi à la création d’un manchon de nouvelle génération, contenant les électrodes et les capteurs nécessaires, qui pourrait être facilement enfilé et retiré. Ils envisagent également de développer un système qui pourrait être contrôlé avec une tablette plutôt qu’avec un ordinateur, le rendant plus petit et plus portable.