Une personne sur cinq recevra un diagnostic de cancer au cours de sa vie, faisant de cette maladie un véritable fardeau pour la société. Récemment, le duo de chercheurs derrière l’un des vaccins à ARN contre la COVID-19 a déclaré que cette technologie pourrait être réutilisée afin qu’elle incite le système immunitaire à attaquer les cellules cancéreuses. Selon eux, les vaccins contre le cancer seront ainsi accessibles aux patients au cours de la prochaine décennie.
Le cancer est une maladie dévastatrice et reste un énorme fardeau dans le monde, représentant près de 10 millions de décès en 2020 selon l’Organisation mondiale de la santé. Sans compter que ces chiffres sont en hausse, chez les moins de 50 ans. Le cancer est le résultat d’une transformation de cellules saines en cellules malignes au cours d’un processus en plusieurs étapes. Ce changement résulte d’une interaction complexe entre les facteurs environnementaux et la constitution génétique du patient.
Récemment, interviewés par Laura Kuenssberg de la BBC, Ugur Sahin et Olem Türeci, les co-fondateurs de BioNTech, la société allemande qui a collaboré avec Pfizer pour développer un vaccin ARNm COVID-19, ont déclaré qu’ils avaient fait des percées qui ont alimenté leur optimisme pour les vaccins contre le cancer dans les années à venir.
Des traitements anticancer sur mesure ?
BioNTech, fondée en 2008 à Mayence, en Allemagne, a longtemps travaillé pour lancer des immunothérapies anticancéreuses adaptées aux patients individuels. Néanmoins, alors que la tumeur de chaque patient a une composition unique, elles peuvent partager certains ensembles de marqueurs, appelés antigènes. Ces marqueurs sont cohérents au sein de types de cancer spécifiques et sont souvent exprimés chez de nombreux patients atteints du même type de cancer, mais ne se trouvent pas dans les cellules saines du corps.
Comme les cellules cancéreuses ont développé des mécanismes pour éviter la détection par le système immunitaire, le défi dans le traitement du cancer repose sur le fait que le système immunitaire ne reconnaît pas les cellules cancéreuses comme des cellules malignes et ne déclenche donc pas de réponse immunitaire pour attaquer et vaincre cet ennemi.
En présentant au système immunitaire le bon ensemble d’antigènes pour chaque type de cancer, il est possible d’activer les cellules immunitaires qui reconnaissent les antigènes spécifiques du cancer et les retourner contre les cellules cancéreuses. C’est sur cette idée que sont développés les vaccins ARNm contre le cancer.
Plus précisément, le vaccin serait une combinaison fixe d’antigènes tumoraux codés par ARNm, partagés dans des types de cancer spécifiques, visant à déclencher une réponse immunitaire forte et précise contre les cellules cancéreuses exprimant l’antigène respectif, comme l’explique BioNTech. Il viserait les tumeurs solides, y compris le mélanome, le cancer de la prostate, le cancer de la tête et du cou, le cancer de l’ovaire et le cancer du poumon.
La pandémie au service du cancer
Ugur Sahin et Olem Türeci déclarent, lors de l’interview, que le développement et le succès du vaccin Pfizer/BioNTech contre la COVID-19, qui a été largement déployé pendant la pandémie, « actualisent notre travail sur le cancer ». D’ailleurs, leur utilisation de la technologie ARNm a pris tout son sens durant la pandémie, et le couple a déclaré, sans surprise, que l’expérience avait contribué à stimuler leur travail.
Alors que les vaccins conventionnels sont produits à partir de formes affaiblies d’un virus, les ARNm n’utilisent que le code génétique d’un virus. Un vaccin à ARNm est injecté dans le corps, où il pénètre dans les cellules et leur « dit de créer » des antigènes qui sont ensuite reconnus par le système immunitaire et le préparent à combattre la maladie.
Interrogé sur la date à laquelle de nombreux patients dans le monde pourraient accéder aux vaccins contre le cancer, le professeur Sahin a déclaré que cela pourrait se produire « avant 2030 ».
Le professeur Tureci souligne à Laura Kuenssberg : « Ce que nous avons fait au fil des décennies pour le développement d’un vaccin contre le cancer a été le vent arrière pour développer le vaccin Covid-19, et maintenant, le vaccin Covid-19 ainsi que notre expérience dans son développement redonnent du souffle à notre travail sur le cancer. Nous avons appris à mieux fabriquer des vaccins et plus rapidement. Nous avons appris chez un grand nombre de personnes comment le système immunitaire réagit à l’ARNm ».
Elle a déclaré que les développements ont également aidé les régulateurs à en savoir plus sur les vaccins à ARNm et sur la manière de les gérer, ce qui aidera de manière certaine le développement et la diffusion de futurs vaccins contre le cancer. Le professeur Tureci conclut : « En tant que scientifiques, nous hésitons toujours à dire que nous aurons un remède contre le cancer. Nous avons un certain nombre de percées et nous continuerons à y travailler ».
Histoire de brevet avec Moderna
En aout dernier, le fabricant de vaccins Moderna a déclaré poursuivre Pfizer et BioNTech, affirmant que le vaccin COVID-19 de ses rivaux copiait la technologie révolutionnaire que Moderna avait développée des années avant la pandémie.
Cette allégation de contrefaçon de brevet risque de devenir une bataille juridique longue et coûteuse entre ces entreprises. Cependant, les experts ont déclaré que le litige de Moderna, quel que soit son résultat, était peu susceptible d’entraver l’accès aux vaccins COVID-19 ou de freiner le développement de produits d’ARNm. Dans un article du New York Times, Ameet Sarpatwari, expert en politique et droit pharmaceutiques à la Harvard Medical School, explique : « La bataille est vraiment de savoir qui sera, à l’avenir, la source incontournable auprès de laquelle d’autres entreprises pourraient avoir à obtenir une licence ».
Questionné à ce sujet, lors de l’interview à la BBC, le couple de chercheurs a répondu : « Nos innovations sont originales. Nous avons passé 20 ans de recherche à développer ce type de traitement et bien sûr nous nous battrons pour notre propriété intellectuelle ».