La Chine a lancé les douze premiers satellites de la mission « Space Computing Constellation 021 », amorçant la création d’un vaste réseau de supercalculateurs alimenté à l’IA en orbite. Ce projet, visant à réduire la dépendance du pays aux infrastructures terrestres, prévoit à terme le déploiement de 2 800 satellites, pour une capacité de calcul cumulée de 1 000 péta-opérations par seconde.
Qu’il s’agisse de systèmes de navigation, de télescopes ou de réseaux de télécommunication, les activités humaines s’appuient de plus en plus sur les infrastructures placées en orbite. Mais dans la plupart des cas, les données recueillies doivent être rapatriées vers des centres au sol pour y être traitées, une contrainte qui implique une forte dépendance aux bandes passantes terrestres et peut entraîner des pertes ou des délais dans certaines conditions.
Pour pallier ces limites, les acteurs du secteur s’orientent désormais vers le concept d’« edge computing », ou informatique en périphérie, une méthode consistant à traiter les données au plus près de leur source. Dans le contexte spatial, cela implique une première phase de traitement directement effectuée par des calculateurs embarqués, réduisant ainsi la quantité d’informations à transmettre vers la Terre. Cette stratégie se veut également plus économe en énergie, avec pour objectif de diminuer l’empreinte carbone des systèmes de traitement intensif, comme les centres de données consacrés à l’IA.
Les centres de données d’IA sont depuis plusieurs années pointés du doigt pour leur consommation énergétique toujours croissante. En 2022, l’intelligence artificielle et les cryptomonnaies représentaient à elles seules 2 % de la consommation mondiale en électricité. Selon Eric Schmidt, ancien président-directeur général de Google, les centres de données pourraient nécessiter 29 gigawatts d’électricité d’ici à 2027 et 67 gigawatts supplémentaires à l’horizon 2030.
Une capacité de 1 000 péta-opérations par seconde à terme
Dans cette optique, les entreprises chinoises ADA Space et Zhejiang Lab ont officiellement lancé, le 14 mai, la mission Space Computing Constellation 021, premier volet du projet baptisé « Constellation informatique à trois corps ». Si les États-Unis et l’Europe ont déjà procédé à des expérimentations en matière de centres de données basés en orbite, la Chine devient le premier pays à les déployer à une échelle opérationnelle.
« L’espace redevient un terrain de réflexion sur ce que nous pourrons accomplir dans dix, vingt ou cinquante ans », a déclaré Wang Jian, directeur du Zhejiang Lab, à l’occasion de la conférence Beyond Expo, organisée le 21 mai à Macao, selon le South China Morning Post. « Le moment est venu de penser à intégrer l’IA dans l’espace, et non plus seulement dans nos ordinateurs ou nos téléphones portables », a-t-il poursuivi.
Les douze satellites ont été lancés à bord d’une fusée Longue Marche 2D depuis le centre spatial de Jiuquan, dans le nord-ouest de la Chine. Selon un communiqué d’ADA Space, chacun de ces engins emporte un supercalculateur capable d’effectuer jusqu’à 744 téra-opérations par seconde. Ensemble, les douze dispositifs devraient atteindre une puissance combinée de 5 péta-opérations par seconde. Ce chiffre — en apparente contradiction avec le calcul théorique de 8,9 péta-opérations — pourrait refléter une performance mesurée dans des conditions d’usage spécifiques. La constellation complète de 2 800 satellites ambitionne, quant à elle, d’atteindre les 1 000 péta-opérations par seconde.
À titre de comparaison, les ordinateurs portables dotés de l’option AI Copilot+ de Microsoft peuvent traiter environ 40 téra-opérations par seconde, selon les spécifications des NPU les plus récents — une performance confirmée par les fabricants.
Une architecture spatiale interconnectée et autonome
Pour assurer l’échange de données entre satellites et réaliser des calculs coordonnés en orbite, chaque appareil est doté d’un système de communication laser, capable de transmettre jusqu’à 100 gigabits par seconde. Une fois interconnectés, ces dispositifs devraient former l’une des plus importantes puissances de calcul spatial en cours de déploiement, affirment les ingénieurs d’ADA Space.
Outre leur capacité de traitement, les satellites embarquent chacun un modèle d’IA de 8 milliards de paramètres, capable de mener différentes missions, telles que l’observation astronomique. Un polarimètre à rayons X permettra notamment l’étude de phénomènes cosmiques comme les sursauts gamma. Le vide spatial sera exploité comme système de refroidissement naturel, un avantage notable pour le fonctionnement de ces infrastructures à haute intensité énergétique.
Les satellites sont également équipés d’un système de télédétection terrestre. Combinée à la puissance de calcul embarquée, cette fonctionnalité permettra le traitement en temps réel des données de surveillance, directement en orbite. Une telle capacité devrait améliorer la rapidité d’analyse, réduire les coûts et limiter la charge des réseaux terrestres.
Le nom du projet, « Constellation informatique à trois corps », s’inspire d’un problème formulé par Isaac Newton pour prédire les trajectoires de trois objets soumis à leur attraction gravitationnelle mutuelle. Selon Wang Jian, cette référence symbolise la complexité de la coopération requise entre les différentes entités impliquées dans ce projet, et appelle à une collaboration scientifique internationale renforcée.