La Terre, contrairement à ses voisines, abrite une multitude de formes de vie aussi complexes les unes que les autres. Pourtant, leur origine est encore un mystère. De nombreuses études supposent que la vie sur Terre est issue d’une « soupe » moléculaire primordiale. Découlant de cet amas, tout être vivant sur Terre est composé de biomolécules, dont de nombreuses protéines. Mais on ne sait pas encore si ces clusters de molécules, qui ont donné naissance à la vie, se sont formés sur Terre ou non. Pour tenter d’élucider le mystère, des chercheurs ont identifié et étudié des indices concernant une possible origine extraterrestre de ces molécules organiques. Les résultats montrent notamment qu’elles auraient pu se former dans des conditions cosmiques, à très basse température, sans eau ni irradiation, grâce à l’effet tunnel de la mécanique quantique.
Publiée dans Nature Astronomy, l’étude a été menée par des chercheurs de l’Université de Jena et de l’Institut d’Astronomie Max Planck. Les expériences menées ont révélé que des peptides, ces chaînons découlant des blocs d’acides aminés (qui donnent lieu aux protéines), peuvent se former dans les nuages moléculaires cosmiques. Il s’agit d’amas de poussière et de gaz largement présents dans l’espace extra-atmosphérique, où naissent les étoiles.
Les peptides constituent une très grande famille de molécules, et composent essentiellement toute forme de vie sur Terre, autant structurellement que fonctionnellement. Tous sont nés des mêmes bases, mais l’agencement lors de la polymérisation définit le devenir de chacun d’entre eux. Certains composent les échafaudages qui forment les cellules, tandis que d’autres véhiculent des substances ou induisent des réactions physiologiques (comme les enzymes).
L’emboîtement des acides aminés et la polymérisation des peptides qui en découlent se produisent dans des conditions très précises pour permettre cette très grande polyvalence. Comprendre la naissance de ces biomolécules serait la clé de l’origine de la vie sur Terre. Car si auparavant l’on pensait que ces précieuses conditions ne pouvaient se produire que sur notre planète, cette nouvelle étude démontre le contraire. Mais alors, d’où venons-nous réellement ?
Créer des peptides sans eau
De nombreuses recherches scientifiques laissaient entendre que les peptides avaient besoin d’eau pour donner naissance à des formes de vie complexes. Il s’agit en effet du processus de base selon lequel les acides aminés se lient pour former une chaîne peptidique. La glycine par exemple, peut être obtenue à partir d’un précurseur chimique nommé aminocétène, en se liant avec une molécule d’eau. Ensuite, pour qu’il y ait liaison avec l’acide aminé suivant, il faut que la molécule d’eau soit à nouveau retirée.
« Nos calculs de chimie quantique ont maintenant montré que l’acide aminé glycine peut être formé par un précurseur chimique – appelé aminocétène – se combinant avec une molécule d’eau. En termes simples : dans ce cas, de l’eau doit être ajoutée pour la première étape de réaction, et de l’eau doit être retirée pour la seconde », explique dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, Serge Krasnokutski, de l’Université de Jena et du groupe de recherche du laboratoire d’astrophysique de l’Institut d’astronomie Max Planck.
Dans leurs expériences, le groupe de chercheurs a alors tenté de sauter l’étape nécessitant de l’eau, pour passer directement des aminocétènes à la polyglycine peptidique. En plus de l’absence d’eau, ils ont aussi simulé d’autres conditions cosmiques des nuages moléculaires, en ajoutant notamment du carbone, de l’ammoniac et du monoxyde de carbone. Ces éléments ont ensuite été placés dans une chambre ultravide à environ un quadrillionième de la pression atmosphérique terrestre et à une température de -263 °C.
Résultat surprenant et inattendu, la glycine pu se polymériser dans ces conditions extrêmes. Les chaînes peptidiques sont même allées jusqu’à 11 unités d’acides aminés ! La fameuse aminocétène a également été détectée. « Le fait que la réaction puisse avoir lieu à des températures aussi basses est dû au fait que les molécules d’aminocétène sont extrêmement réactives », explique Krasnokutski.
Puisqu’ils peuvent se former dans l’espace, les peptides pourraient alors provenir de comètes ou de météorites de passage, avant d’arriver sur Terre. Cette découverte, qui pourrait bien remettre en question des sujets existentiels sensibles, offre aussi d’autres perspectives de recherche concernant l’origine de la vie sur Terre, mais aussi concernant les exoplanètes.
L’effet tunnel est peut-être la clé
Pour que les peptides essentiels à la vie puissent se former dans les conditions extrêmes du vide cosmique, une barrière énergétique doit être franchie. Pour que les liaisons se produisent, il faut que des atomes d’hydrogène se déplacent. Cependant, ils sont si légers et si petits, qu’en tant que particules quantiques, ils ne peuvent franchir la barrière énergétique que grâce à l’effet tunnel. Grâce à ce phénomène du domaine de la mécanique quantique, ils seraient capables de franchir cette barrière potentielle critique même si leurs énergies sont inférieures à l’énergie minimale requise.