La majorité des écosystèmes marins nécessitent des pH finement équilibrés afin d’évoluer et se pérenniser. Des variations de pH peuvent ainsi être destructrices et entraîner la disparition de plusieurs biotopes. Au cours du dernier siècle, les activités humaines ont été la cause d’une augmentation massive de l’acidification des océans. C’est particulièrement le cas des entreprises produisant des combustibles. Une nouvelle étude montre en effet que 20 sociétés sont responsables à elles seules d’un cinquième de l’acidification des océans depuis 1965.
Les océans s’acidifient à un rythme jamais vu depuis 66 millions d’années. Ils sont maintenant 26% plus acides par rapport à 1880, ce qui change profondément les écosystèmes et a un impact sur les populations humaines dépendant de la pêche, partout dans le monde. Cela menace non seulement d’innombrables emplois, dont 4.3 millions de moyens de subsistance tributaires des récifs du Triangle de corail et plus de 200’000 emplois dans le secteur de la pêche en Europe, mais aussi la sécurité alimentaire.
Une nouvelle étude montre exactement qui est à blâmer. Seulement vingt entreprises ont causé plus d’un cinquième de l’acidification des océans depuis 1965. Elles comprennent Exxon, Chevron, BP, Shell et Saudi Aramco.
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La climatologue Rachel Licker de l’Union of Concerned Scientists (UCS) et ses collègues ont montré que les 88 plus grands producteurs de gaz, de pétrole, de charbon et de cimentiers, sont responsables de plus de la moitié de l’acidification des océans depuis 1880.
« Nous savons depuis plusieurs décennies que la combustion de combustibles fossiles est de loin le principal moteur de l’acidification des océans, mais nous n’avons pas été capables de déterminer dans quelle mesure une entreprise de combustibles fossiles a contribué au problème, et de quelle manière. Les scientifiques peuvent désormais quantifier à quel point l’océan est devenu plus acide grâce aux produits de chaque entreprise de combustibles fossiles » déclare Licker.
Acidification océanique : la diminution des carbonates menace de nombreux écosystèmes marins
L’acidification des océans se produit lorsque l’excès de CO2 se dissout dans l’eau de mer, produisant une série de réactions chimiques qui conduisent à plus d’ions hydrogène, augmentant l’acidité de l’eau. Cette altération de la chimie des océans a déjà entraîné une diminution de 10% des concentrations d’ions carbonate depuis l’industrialisation.
Moins d’ions carbonate signifie qu’il est plus difficile pour le carbonate de calcium de se former ; il s’agit d’une molécule vitale pour la plupart des animaux marins, car elle fait partie de leurs coquilles et exosquelettes.
Et si la concentration d’ions carbonate chute trop bas, le carbonate de calcium se dissout. Il a été démontré qu’une acidification accrue réduit la survie du krill et d’autres crustacés et modifie le comportement des poissons de manière à les rendre plus vulnérables à la prédation. L’acidification des océans se produit indépendamment du changement climatique, mais en combinaison avec ce dernier, les effets de chacun font qu’ils s’aggravent mutuellement.
Comme les vagues de chaleur exacerbées par le changement climatique provoquent le blanchissement des coraux, la capacité des coraux à récupérer est entravée par une acidité accrue, ralentissant leur croissance, dépendante du carbonate de calcium, et réduisant leur reproduction.
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Le rôle des entreprises de combustibles fossiles dans l’acidification des océans
En s’appuyant sur des méthodes qui ont lié la température et l’élévation du niveau de la mer avec des entreprises responsables en 2017, Licker et ses collègues ont calculé la quantité d’acidification des océans causée par les combustibles fossiles lors de l’extraction, du raffinement et de l’utilisation sur deux périodes.
Parce que le CO2 s’accumule dans l’atmosphère au fil du temps, ils ont examiné les effets des émissions cumulatives depuis que les industries ont commencé à émettre en 1880, jusqu’en 2015. Les chercheurs ont également identifié certaines régions qui sont disproportionnellement plus touchées par l’augmentation de l’acidité, notamment le Triangle de corail, le courant de Humboldt et le courant de Californie.
Switching emissions analysis from nations to companies can inform societal consideration of carbon producer responsibility for current & near-term risks of further loss & damage to human communities dependent on marine ecosystems & fisheries vulnerable to ocean #acidification pic.twitter.com/DCIAz7Vk7D
— Scott Doney (@ScottDoney1) December 11, 2019
Un jour seulement après la publication de ce rapport, Saudi Aramco, en tête des contributions à l’acidification des océans, est devenue la société cotée la plus rentable de l’histoire. Bien qu’ils disposent de vastes ressources, aucun de ces grands pollueurs de carbone ne montre le moindre signe de changement de comportement. Ils prévoient toujours des augmentations massives de la production de combustibles fossiles, tout en canalisant plusieurs millions de dollars.
« Les entreprises auraient pu agir de manière responsable pour informer le public des risques et prendre des mesures pour réduire les émissions. Elles ont plutôt choisi de désinformer et de retarder. En posant ces chiffres sur les contributions des entreprises de combustibles fossiles à l’acidification perturbatrice des océans, notre étude peut éclairer les décisions concernant leurs responsabilités en matière de dommages qui auraient pu – et auraient dû – être évités » indique Peter Frumhoff, chercheur à l’UCS.