On estime en France le nombre de personnes atteintes d’Alzheimer entre 1,1 et 1,2 million. Il s’agit d’une pathologie neurodégénérative complexe qui entraîne un dysfonctionnement des connexions neuronales. Les causes de la plupart des cas d’Alzheimer sont actuellement inconnues, mais il existe de plus en plus de preuves suggérant que des organismes microbiens sont impliqués. Récemment, des chercheurs ont démontré que le fait de développer un zona pourrait réactiver l’herpès dormant dans les cellules nerveuses, et ainsi augmenter de façon indirecte le risque d’apparition d’Alzheimer. Les résultats devraient aider à entrevoir de nouvelles voies thérapeutiques utilisant des antiviraux appropriés, ou des stratégies de prévention basées sur la vaccination.
Aujourd’hui, la maladie d’Alzheimer est la plus fréquente des maladies neurodégénératives. Mais si la maladie frappe le plus souvent des personnes âgées (près de 15% des plus de 80 ans), elle peut aussi survenir beaucoup plus tôt. On estime à 33 000 le nombre de patients de moins de 60 ans atteints de la maladie d’Alzheimer en France, sachant que 225 000 personnes sont diagnostiquées par an, soit 1 nouveau cas toutes les 3 minutes.
D’un point de vue clinique, cette pathologie affecte progressivement et insidieusement les fonctions cognitives de l’individu (mémoire, langage, raisonnement, apprentissage, résolution de problèmes, prise de décision, perception, attention…) aboutissant in fine à une perte de l’autonomie. Les symptômes cliniques sont considérés comme étant liés à l’altération neuronale qui touche principalement l’hippocampe, siège de la mémoire, et les aires néocorticales, donnant à la maladie d’Alzheimer son surnom de « maladie de la mémoire ».
Néanmoins, les scientifiques débattent encore des mécanismes à l’origine de la maladie et les dernières avancées ne sont pas de nature à arrêter la controverse, entre la cascade amyloïde longtemps mise sur le devant de la scène, mais actuellement au cœur d’une fraude ; les gènes anormaux ; ou encore le rôle de certains virus communs.
Récemment, une équipe de scientifiques des Universités de Tufts (Manchester) et d’Oxford (Royaume-Uni) se sont intéressés à cette dernière hypothèse, à savoir que les virus de l’herpès (HSV-1), celui de la varicelle et du zona seraient des déclencheurs de la maladie d’Alzheimer. Leurs résultats sont publiés dans la revue Journal of Alzheimer’s Disease.
Un lien déjà suspecté, mais non confirmé jusqu’à présent
La professeur Ruth Itzhaki, actuellement à l’Université d’Oxford, étudie le rôle potentiel du HSV-1 dans la maladie d’Alzheimer depuis plus de 30 ans, ayant commencé à l’Université de Manchester, où son équipe a découvert que l’ADN du HSV-1 est présent dans le cerveau de nombreuses personnes âgées. Les chercheurs estiment que ce virus, lorsqu’il est dans le cerveau, en combinaison avec un facteur génétique spécifique, confère un risque élevé de développer la maladie d’Alzheimer.
Des études ultérieures ont révélé des liens majeurs entre les effets du virus et les caractéristiques d’Alzheimer, et ont également montré que le traitement de cellules infectées par le HSV-1 cultivées en laboratoire avec des antiviraux protégeait contre cette pathologie.
Sans compter que Dana Cairns, de la Tufts School of Engineering et co-auteur de l’étude, a apporté une preuve solide à cette hypothèse de lien causal entre la maladie et le virus de l’herpès, à l’aide d’un modèle de tissu cérébral humain 3D en bio-ingénierie. Cette étude a montré que l’infection par le HSV-1 de cellules souches neurales induites (cellules souches cultivées en laboratoire produites en « reprogrammant » d’autres cellules) provoquait des changements qui ressemblaient à ceux observés dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer : des formations de type plaque amyloïde (avec accumulation de protéines Aβ et P-tau), une gliose — prolifération des cellules gliales qui constituent le tissu de soutien du système nerveux central —, une neuroinflammation et une diminution de la fonctionnalité. Mais la compréhension du mécanisme sous-jacent était encore inconnue.
Une corrélation démontrée sur des neurones cultivés en laboratoire
Dans la présente étude, le professeur Itzhaki, conjointement avec des chercheurs de Tufts, a élargi l’étude des rôles viraux dans cette pathologie neurodégénérative pour inclure un autre type de virus de l’herpès, celui de la varicelle-zona. Ces deux virus peuvent rester dormants dans les cellules nerveuses pendant des années. Plus tard dans la vie, celui de la varicelle-zona peut être réactivé pour provoquer le zona, une maladie caractérisée par des cloques et des nodules cutanés en forme de bande, souvent très douloureux, pouvant durer des semaines voire des mois.
Il faut savoir que ce virus n’avait pas encore été réellement impliqué dans la recherche sur Alzheimer, car le zona ne se faisant remarquer qu’une ou deux fois dans la vie — une personne sur trois, porteuse du virus, développe un cas de zona au cours de sa vie. Les scientifiques ont toujours estimé qu’il n’avait pas le potentiel de provoquer cette pathologie. Effectivement, le co-auteur David Kaplan, de l’Université de Tufts, explique dans un communiqué : « Nous savons qu’il existe une corrélation entre le HSV-1 et la maladie d’Alzheimer, et une implication suggérée du virus de la varicelle-zona, mais ce que nous ne savions pas, c’est la séquence d’événements que les virus créent pour déclencher la maladie ».
De manière concrète, ils ont cherché à savoir si ce virus pouvait jouer un rôle similaire à celui du HSV-1, ce qui pourrait l’impliquer directement dans le développement d’Alzheimer, et confirmer de facto le lien entre cette famille de virus et la pathologie.
Pour tester leur hypothèse, ils ont recréé des environnements ressemblant à des cerveaux dans de petites éponges en forme de beignet de 6 millimètres de large, faites de protéines de soie et de collagène. Ils les ont peuplés de cellules souches neurales se développant pour devenir des neurones fonctionnels capables de se transmettre des signaux les uns aux autres dans un réseau, tout comme ils le font dans le cerveau. Certaines des cellules souches forment également des cellules gliales, aidant à maintenir les neurones en vie et à fonctionner.
Par suite, ils ont infecté ces « mini-cerveaux » par l’un des deux virus et/ou les deux. Ainsi, ils ont pu examiner, d’une part, si l’infection par le virus de la varicelle-zona provoquait les mêmes cascades d’effets que le virus de l’herpès HSV-1, et d’autre part, si les deux virus pouvaient être corrélés dans le développement de la maladie d’Alzheimer.
Étonnamment, ils ont découvert que l’infection par le virus de la varicelle-zona de ces réseaux neuronaux ne conduisait pas à l’accumulation de protéines Aβ et P-tau, comme HSV-1. Cependant, ils ont remarqué qu’elle entraînait à la fois une gliose et des niveaux accrus de cytokines pro-inflammatoires, suggérant que son action est indirecte sur le développement d’Alzheimer.
De manière surprenante, ils ont également constaté que lors de l’infection par le virus de la varicelle -zona de cellules contenant le HSV-1 latent — suite à une primo-infection par HSV-1 —, une réactivation de ce dernier s’est produite, accompagnée d’une augmentation spectaculaire des niveaux d’Aβ et de P-tau. Cette corrélation suggère qu’une infection grave par le virus de la varicelle-zona chez l’Homme, comme dans le cas du zona, pourrait réactiver le HSV-1 latent dans le cerveau, ce qui, à son tour, pourrait déclencher le développement de la pathologie d’Alzheimer.
Le professeur Itzhaki déclare dans un communiqué : « Ce résultat frappant semble confirmer que, chez l’Homme, des infections telles la varicelle-zona peuvent provoquer une augmentation de l’inflammation dans le cerveau, qui peut réactiver le HSV-1 dormant. Les dommages causés au cerveau par des infections répétées tout au long de la vie conduiraient éventuellement au développement de la maladie d’Alzheimer et de la démence ».
Enfin, les chercheurs ont également noté que les deux virus communs de la famille de l’herpès peuvent être réactivés après une infection COVID-19, induisant des effets neurologiques à long terme, notamment chez les personnes âgées.
La vaccination comme moyen de prévention ?
C’est pourquoi le professeur Itzhaki explique : « Cela signifierait que les vaccins pourraient jouer un rôle plus important que la simple protection contre une seule maladie, car ils pourraient aussi indirectement, en réduisant les infections, fournir une certaine protection contre la maladie d’Alzheimer ».
En effet, des chercheurs de l’Université de Manchester, dans une étude épidémiologique en collaboration avec le professeur Itzhaki, ont découvert que la vaccination contre le zona réduisait le risque de démence et notamment de développer la maladie d’Alzheimer.
Ces résultats confirment l’intérêt de la vaccination contre le zona, empêchant la réactivation de l’herpès de cette façon si la personne est porteuse, réduisant de fait le risque d’Alzheimer. Ce vaccin est recommandé en France chez les adultes âgés de 65 à 74 ans.