Proposée initialement par les physiciens Theodor Kaluza et Oscar Klein dans leur tentative d’unifier l’électromagnétisme et la gravitation au début du 20ème siècle, l’hypothèse des dimensions supplémentaires a été reprise par de nombreuses théories récentes et est un sujet actif de recherche pour la physique moderne.
En s’inspirant de la théorie de Kaluza-Klein, les physiciens cordistes P. Horava et E. Witten ont été les premiers à introduire l’idée selon laquelle notre univers en 3+1 dimensions serait contenu dans une hypersurface, une « brane », elle-même contenue dans un univers de dimensions 4+1 (ou plus) appelé « bulk » (1).
En approfondissant les travaux d’Horava et Witten, les physiciens L. Randall et R. Sundrum ont montré que, contrairement à ce qu’affirmait O. Klein, les dimensions supplémentaires n’ont pas nécessairement besoin d’être compactées pour que les modèles théoriques restent valides (2). Les deux physiciens ont ainsi construit un modèle cosmologique branaire dans lequel la dimension supplémentaire du bulk est infinie et possède une constante cosmologique négative. En outre, l’existence de dimensions supplémentaires produirait nécessairement des effets observables (3).
Dimensions supplémentaires : des raccourcis spatio-temporels pour la gravité
Dans la majorité des théories impliquant des dimensions supplémentaires, la gravité est la seule interaction fondamentale à pouvoir se propager dans ces dimensions supplémentaires. Les autres interactions, ainsi que les champs de matière, restant « piégées » dans les 3+1 dimensions usuelles de notre espace-temps au sein de la brane.
S’appuyant sur ces hypothèses, de précédents travaux (4) ont montré que, dans un tel cadre, les ondes gravitationnelles peuvent emprunter des « raccourcis » dans l’espace-temps en passant par le bulk. Plus précisément, les ondes gravitationnelles ont la possibilité de voyager en suivant des géodésiques nulles passant à travers les dimensions supplémentaires, reliant ainsi causalement deux points A et B qui ne sont normalement pas connectés causalement dans l’espace-temps usuel.
Dans ce cas, et dans l’hypothèse de l’émission simultanée d’un signal lumineux et d’une onde gravitationnelle, tous deux possédant une vitesse identique, l’onde gravitationnelle devrait être détectée un peu avant le signal lumineux.
En effet, contrairement aux gravitons, les photons sont contraints de voyager le long des géodésiques nulles des 3+1 dimensions de la brane. Les physiciens R. Caldwell et D. Langlois ont ensuite amélioré et surtout rendue viable cette hypothèse en l’intégrant au modèle cosmologique standard ΛCDM (5).
La fusion d’étoiles à neutrons : un outil pour détecter les dimensions supplémentaires
Récemment, les collaborations LIGO et Virgo ont publié les données issues de l’observation de la fusion d’étoiles à neutrons GW170817 (6). En plus des ondes gravitationnelles émises durant le processus, un sursaut gamma, GW170817A, a également été détecté par le Fermi Gamma Ray Burst Monitor. Ces deux signaux, l’un étant gravitationnel et l’autre étant électromagnétique, ont donc été émis en même temps.
Bien que produits simultanément, ils n’ont cependant pas été détectés exactement au même moment. Les données montrent en effet un décalage de détection de 1.734±0.054 secondes entre les deux signaux. Ce décalage, extrêmement infime compte-tenu des distances impliquées, a été mis sur le compte de « bruits » astrophysiques.
Toutefois, ce décalage pourrait également s’expliquer par le fait que les ondes gravitationnelles aient pris un raccourci à travers une dimension supplémentaire, arrivant sur Terre environ 1.7 secondes avant le sursaut gamma. C’est l’hypothèse que proposent les physiciens Luca Visinelli (Université de Stockholm) et Nadia Bolis (Institut de Physique de République Tchèque) dans une étude publiée sur arXiv le 16 novembre 2017 (7).
Les deux auteurs se sont servis des données publiées par LIGO et Virgo pour poser une contrainte supérieure sur la taille que devrait avoir la dimension supplémentaire dans un modèle cosmologique à 5 dimensions (4+1). Plus particulièrement, les physiciens ont été capables de poser une limite supérieure sur le rayon de courbure de la dimension supplémentaire.
Pour ce faire, ils ont utilisé le décalage de 1.734±0.054 secondes entre la détection des ondes gravitationnelles et du sursaut gamma, ainsi que la distance de luminosité et le redshift de l’événement. En outre, ils ont fait l’hypothèse que l’espace-temps de notre brane est principalement euclidien, et que le bulk est globalement vide (ce qui est une approximation correcte au regard de la distance entre les branes).
Au terme de leurs calculs, en prenant comme base le modèle cosmologique standard ΛCDM et ses différents paramètres cosmologiques, les physiciens avancent une limite supérieure du rayon de courbure de la dimension supplémentaire : l ≤ 140 kpc (kiloparsec).
Pour conclure, les auteurs précisent que cette valeur reste tout de même approximative car elle découle de différents paramètres n’étant connus eux-mêmes qu’approximativement. Au-delà de ce résultat, le but de cette recherche est surtout de démontrer que l’étude des dimensions supplémentaires est réalisable au moyen de nombreux outils astrophysiques auxquels les chercheurs ont accès.