L’augmentation de la longévité et l’inversion de l’âge biologique constituent un marché en plein essor estimé à ce jour à plusieurs milliards de dollars. Les stratégies proposées vont de simples changements de mode de vie à des protocoles ultrastricts combinant divers régimes et des interventions lourdes comme la thérapie génique. Dans quelle mesure ces stratégies permettent-elles d’inverser l’âge biologique et de vivre plus longtemps ? Faut-il forcément dépenser des centaines de milliers d’euros dans ces stratégies pour voir des résultats notables ?
Résumé des sections principales de l’article :
-
- Un régime strict et rigoureux réduisant en moyenne de 2,5 ans l’âge biologique
- Des traitements lourds allant au-delà d’un simple régime
- L’allongement de la vie en bonne santé est-il réservé aux millionnaires ?
Avec les progrès de la médecine moderne, l’espérance de vie mondiale ne cesse d’augmenter. Malgré des variations selon les pays ou les régions, elle est passée en moyenne de 58 à 71 ans entre 1971 et 2021, soit une augmentation d’environ 19 % en seulement 50 ans. Dans les pays très développés comme Hong Kong, le Japon et la Suisse, elle atteint 85, 83,7 et 83,4 ans, respectivement.
Cette augmentation de l’espérance de vie a donné naissance à un marché émergeant consacré à la longévité en bonne santé. En effet, bien que la survie ait considérablement augmenté, le vieillissement en bonne santé demeure pour le moment rare. En effet, le vieillissement s’accompagne presque inévitablement de conditions pathologiques invalidantes augmentant les charges médicales pour les retraités et leurs familles. Si l’espérance de vie est par exemple de 80 ans environ en Europe occidentale, l’espérance de vie en bonne santé n’est que de 65 ans. Nous passons ainsi environ 20 % de notre vie dans un état de santé médiocre.
Les entreprises et les centres de recherche dédiés à la longévité cherchent à inverser cette tendance en proposant des techniques parfois étonnantes. Le marché a récemment explosé, actuellement évalué à plus de 25 milliards de dollars. Il devrait atteindre 44 milliards de dollars d’ici 2030, soit une croissance annuelle fulgurante de 6 %.
Parmi les principaux investisseurs figurent les grandes fortunes telles que Jeff Bezoz, fondateur d’Amazon, Peter Thiel, fondateur d’eBay, Tobias Reichmuth, cofondateur de Crypto Finance AG ainsi que Bryan Johnson, fondateur et PDG de Kernel et de Braintree. Les entreprises, quant à elles, sont principalement basées ou délocalisées en Suisse, à la fois en raison du régime fiscal très avantageux et de la grande liberté pour la recherche scientifique.
En vue des progrès et des investissements massifs dans le secteur, on pourrait penser que la longévité en bonne santé est devenue plus accessible. Cependant, les résultats sont pour le moment mitigés pour la plupart et seuls quelques individus fortunés semblent réellement en profiter. Néanmoins, ces expérimentateurs volontaires pourraient constituer, s’ils réussissent, une preuve du concept de l’inversion de l’âge biologique.
Un régime strict et rigoureux réduisant en moyenne de 2,5 ans l’âge biologique
Le projet Blueprint de Bryan Johnson est intéressant dans la mesure où il englobe un large éventail de techniques pour inverser l’âge biologique. Le milliardaire est d’ailleurs célèbre pour son obsession pour la jeunesse éternelle, le poussant à des pratiques parfois extrêmes. Son traitement inclut une combinaison de compléments alimentaires, de régime hypocalorique, de médicaments sur ordonnance, d’exercices physiques réguliers et de diverses procédures médicales (parfois lourdes) de rajeunissement, sans oublier les produits cosmétiques. Ses données fonctionnelles sont surveillées en permanence par une équipe de plus de 30 médecins et différents algorithmes médicaux. Son but ultime est d’inverser le vieillissement de ses organes de sorte à retrouver un organisme aussi jeune que celui d’un adolescent de 18 ans.
Il suit un régime alimentaire très strict et rigoureux composé de plus d’une centaine de compléments alimentaires par jour et un menu quotidien fixe limité à seulement 1 977 calories (kcal) (contre 2 200 à 3 000 kcal pour l’apport normal journalier d’un homme adulte). Avant son petit-déjeuner, il effectue d’abord différentes analyses médicales et prend une soixantaine de pilules avec un smoothie à base de poudre de Chlorella, une microalgue d’eau douce riche en antioxydants. Il effectue ensuite une trentaine d’exercices intenses pendant une heure.
Vidéo montrant la routine matinale de Johnson selon le protocole Blueprint :
Pour ses repas, Johnson adopte un régime végétalien comprenant par exemple un mélange de brocoli, de chou-fleur, de champignons shiitake, de lentilles noires, de graines de chanvre, d’ail, de cumin, etc. Il agrémente le tout avec de l’huile d’olive et du chocolat noir. Pour le dessert, il mange souvent un pudding à base de noix de macadamia, des graines de lin, de la cannelle, des baies et du jus de grenade. Cela est accompagné des pilules de compléments alimentaires restantes que l’homme d’affaires ingurgite chaque jour.
Ces ingrédients sont principalement connus pour leurs effets anti-vieillissement ou antioxydants. À l’instar de la plupart des fruits rouges, la grenade contient par exemple de l’ellagitanine (un polyphénol) qui est transformé en urolithine A une fois dans l’organisme.
Une étude a montré que cette molécule favorise le renouvellement et le recyclage des mitochondries défectueuses — un processus naturellement enclenché lors de la pratique d’une activité physique. Stimuler ce processus permettrait de ralentir le déclin musculaire survenant avec le vieillissement (sarcopénie).
L’huile d’olive est également reconnue pour ses effets contre le vieillissement cérébral. Une étude suggère qu’une consommation quotidienne peut réduire le risque de décès par démence de 28 %. D’autre part, il a récemment été suggéré qu’en général, le régime végétalien ralentit le vieillissement. En se basant sur les mesures de la méthylation de l’ADN (un indicateur clé de l’horloge épigénétique), des chercheurs ont observé une réduction de l’estimation de l’âge biologique dès 8 semaines de régime. Lors d’expériences, une diminution significative de l’âge des organes et des systèmes inflammatoire et métabolique a aussi été observée chez les participants végétaliens.
Il est intéressant de noter que Johnson consomme tous les aliments de son régime avant 11 heures du matin, ce qui lui laisse une fenêtre de 18 heures pour le jeûne. Il a été suggéré que le jeûne intermittent améliore la durée de vie en modifiant l’activité génétique. Il pratique en outre une routine de sommeil à heure fixe (à 20h30 tapante), comprenant le port de lunettes anti-lumière bleue pendant deux heures avant de se coucher. Le protocole complet est détaillé sur le site web du projet.
Exemples de recettes proposées dans le protocole Blueprint :
Avec sa routine quotidienne, Johnson affirme avoir atteint une « vitesse » de vieillissement inférieure à 99 % des jeunes de 20 ans en seulement 3 ans. Son niveau d’inflammation systémique est 85 % inférieur à la moyenne des jeunes de 18 ans, tandis que sa densité minérale osseuse est supérieure de 0,2 % aux hommes de 30 ans. Quant à son âge biologique global, il aurait été reculé de 2,5 ans, soit une réduction de 5,5 %.
En essayant le protocole pendant un mois, Nick Tucker, un influenceur correspondant du podcast Hard Reset, a lui aussi vu son âge biologique passer de 36 à 33 ans, selon divers marqueurs. Il a notamment réduit son poids corporel de 9 kg, tandis que ses taux de triglycérides et de cholestérol ont chuté de 77 % et 27 % respectivement.
Des traitements lourds allant au-delà d’un simple régime
Le projet Blueprint va au-delà d’un simple régime et de la prise de compléments alimentaires. Johnson a entre autres essayé la transfusion de sang jeune en s’administrant celui de son fils de 17 ans. Des études ont notamment suggéré que cette méthode peut améliorer divers marqueurs du vieillissement, dont la régénération musculaire. Toutefois, il a affirmé avoir arrêté cette pratique faute de résultats probants.
À la place, l’entrepreneur s’essaye actuellement à la thérapie génique à base de follistatine (non approuvé par la FDA) en plus de sa routine quotidienne. Il s’agit d’une protéine bloquant la myostatine, un inhibiteur de croissance musculaire. Selon lui, cette thérapie se classerait au 7e rang des études sur le vieillissement. Elle a, dans le cadre d’essais, permis de prolonger la durée de vie de souris de plus de 30 %. Le traitement a également entraîné chez ces dernières une hypertrophie résultant en une augmentation de la masse et du tonus musculaires.
Chez des patients atteints de myosite à inclusion (une maladie inflammatoire dégénérative des muscles squelettiques), cette thérapie a augmenté la distance de marche parcourue en six minutes de 56 mètres par an. Ce qui est d’autant plus intéressant avec ce traitement, c’est que ses effets peuvent être instantanément suspendus (en cas d’effets secondaires par exemple) avec une injection de tétracycline (un antibiotique courant et bon marché).
Parmi les autres thérapies géniques antivieillissement proposées figurent notamment celles basées sur la télomérase transcriptase inverse (TERT). Il s’agit d’une enzyme responsable de l’extension et de l’intégrité des télomères, qui se raccourcissent à mesure que nous vieillissons. Chez les souris, un composé augmentant l’expression du gène codant pour sa production a significativement réduit l’inflammation liée à l’âge et amélioré les fonctions cérébrales et musculaires.
Une autre thérapie en cours d’essai agit sur l’α-Klotho, une protéine codée par un gène appelé « KL ». La mutation du gène KL provoque un vieillissement accéléré. Chez les modèles murins, l’amélioration de son expression augmente jusqu’à 30 % la durée de vie et la longévité en bonne santé.
L’allongement de la vie en bonne santé réservé aux millionnaires ?
Le régime et la routine proposés par Johnson sont à la fois coûteux et nécessitent une discipline très stricte, ce qui soulève même des questions sur sa qualité de vie. Le projet Blueprint a en effet nécessité plusieurs millions de dollars pour sa mise en place. Le régime végétalien proposé nécessite près de 300 dollars par mois, tandis que les compléments alimentaires coûtent environ 1 000 dollars par mois. L’homme d’affaires a par ailleurs déboursé 20 000 dollars pour s’offrir les deux injections de follistatine.
Cela signifie-t-il que l’augmentation de la longévité en bonne santé est réservée aux millionnaires ? Non, selon Tucker. Mis à part les fruits, les légumes et les noix qui peuvent être remplacés par des ingrédients bon marché disponibles selon les saisons et les régions, les compléments alimentaires peuvent aussi être suppléés par des alternatives moins onéreuses. Pour cela, l’influenceur propose par exemple la RESTORIN®, comprenant des sénolytiques et des composés stimulant la production de NAD+, une molécule antivieillissement. Elle pourrait remplacer une grande partie de ceux recommandés par Blueprint. La boîte de 60 capsules coûte environ 270 dollars cependant, ce qui reste élevé.
Le laboratoire NOVOS, fondé par l’entrepreneur new-yorkais Chris Mirabile, indique quant à lui que les compléments ne sont pas vraiment nécessaires tant que l’on conserve un mode de vie sain et équilibré — c’est-à-dire un bon régime alimentaire, de l’exercice physique régulier, pas d’alcool ni de tabac, etc. Il n’y aurait pas non plus besoin de sacrifier sa qualité de vie.
Le protocole de NOVOS aurait permis à Mirabile de réduire son âge biologique de 13,6 ans, soit une réduction de 36,6 %. Selon le test d’horloge épigénétique DunedinPACE — parmi les plus précis —, il vieillit 31 % plus lentement que la moyenne (contre 24 % pour Johnson). Des enquêtes menées auprès de personnes adoptant le protocole ont également montré que 73 % d’entre elles ont diminué leur taux de vieillissement biologique en 6 mois. Il est en outre possible d’acheter un kit standard de test d’âge biologique basé sur l’épigénétique pour environ 250 dollars.
Dans l’ensemble, les différents protocoles et régimes proposés incluent généralement des ingrédients disponibles et facilement accessibles. Leur point commun est de souligner l’importance d’un mode de vie sain pour une longévité en bonne santé. Les thérapies les plus onéreuses sont, quant à elles, principalement en cours d’essai ou n’offrent pour le moment que des résultats mitigés.