Des protéines fluorescentes transformées en qubits biologiques pour sonder les cellules à l’échelle quantique

« Exploiter la nature pour créer de puissantes familles de capteurs quantiques : telle est la nouvelle orientation. »

qubit biologique cellules
Les protéines converties en qubits biologiques sont produites par des organismes comme les méduses. Sur l'image, un Hydrozoaire observé à 1600m de profondeur à proximité d'un site hydrothermal. | Schimdt Ocean Institute
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Des chercheurs ont transformé des protéines fluorescentes produites par certains organismes, comme les méduses, en qubits biologiques fonctionnels – brouillant la frontière entre la physique quantique et la biologie. Ces qubits protéiques pourraient servir de détecteurs quantiques ultra-sensibles pour les processus à l’échelle nanométrique à l’intérieur des cellules. Ces travaux pourraient conduire à de nouvelles approches de détection biologique à l’échelle nanométrique et à des applications en technologies quantiques.

Contrairement aux bits classiques, les qubits (ou bits quantiques) peuvent exister simultanément dans deux états (superposition quantique), ce qui permettrait, en théorie, d’obtenir un gain de puissance de calcul notable. Cette caractéristique permet également de les manipuler et de les mesurer avec une grande précision.

Dans les applications de détection, ils sont utilisés comme des sondes nanométriques dont l’état quantique peut être contrôlé et mesuré, offrant ainsi une importante sensibilité. Les capteurs quantiques optiques sont par exemple utilisés pour mesurer des champs magnétiques nanométriques, des champs électriques et des infimes variations de températures dans des domaines tels que les sciences physiques et l’ingénierie.

Leur utilisation dans les sciences biologiques reste cependant limitée. En effet, si les plateformes de détection quantique actuelles offrent une sensibilité notable, elles sont généralement limitées par leur taille et leur chimie incompatible avec les techniques de manipulation génétique, entravant leur utilisation dans les mesures biologiques.

Un croisement complexe entre biologie et physique quantique

Les points quantiques (des nanostructures cristallines de semi-conducteurs contenant seulement quelques centaines ou quelques milliers d’atomes) sont par exemple considérés comme l’une des technologies d’imagerie à base de nanoparticules les plus avancées. Mais, malgré plus d’une décennie de développement, ils peinent encore aujourd’hui à marquer efficacement les structures et les processus intracellulaires in vivo.

D’autre part, des hypothèses suggèrent que l’application de la technologie quantique à la biologie est fondamentalement limitée car il s’agit de deux domaines techniquement incompatibles. Les technologies quantiques nécessitent des environnements très isolés (températures proches du zéro absolu, pas de variations électriques ou magnétiques, …) car les qubits sont extrêmement sensibles aux bruits environnementaux. Les systèmes biologiques évoluent en revanche au sein d’environnements chauds et naturellement bruyants.

Pour surmonter ces limites, des chercheurs de l’Université de Chicago (UChicago) proposent d’utiliser directement les protéines fluorescentes à l’intérieur des cellules comme qubits. « Plutôt que de prendre un capteur quantique classique et d’essayer de le camoufler pour pénétrer dans un système biologique, nous avons souhaité explorer l’idée d’utiliser un système biologique lui-même et de le transformer en qubit », explique dans un communiqué, David Awschalom, co-chercheur principal du projet, professeur d’ingénierie moléculaire au Pritzker School of Molecular Engineering de l’UChicago et directeur du Chicago Quantum Exchange (CQE). « Exploiter la nature pour créer de puissantes familles de capteurs quantiques : telle est la nouvelle orientation », ajoute-t-il.

Des protéines marines transformées en qubits

Les protéines fluorescentes sont naturellement produites par divers organismes marins, comme les méduses, les coraux et les algues, pour la bioluminescence. Pour ce faire, elles absorbent la lumière à une longueur d’onde donnée et l’émettent à une autre plus longue. Elles sont utilisées depuis des décennies par les biologistes pour marquer les cellules à l’aide du codage génétique ou de la fusion des protéines.

L’équipe de recherche utilise les fluorophores (responsables de la luminosité) de ces protéines comme qubits biologiques grâce à leur capacité à disposer d’un état triplet métastable (deux électrons non appariés dont les spins sont parallèles). Cet état est brièvement maintenu avant de s’éteindre. En tant que qubit biologique, la molécule présenterait ainsi plusieurs états simultanément jusqu’à ce qu’elle soit observée ou perturbée par un bruit extérieur.

qubit biologique
a. Concept d’une approche de détection basée sur l’EYFP. b. Diagramme des niveaux d’énergie de l’EYFP. c. La structure orbitale de transition naturelle pour l’état T1, calculée par des calculs ab initio. d. Signaux de photoluminescence (PL) bruts (en haut) et contraste PL (en bas) de la lecture de spin par OADF en fonction du temps après le début de l’impulsion laser. © Feder et al.

Pour exploiter cette propriété, les chercheurs ont développé un microscope confocal pour contrôler optiquement l’état de spin de la protéine fluorescente jaune modifiée (EYFP) et l’utiliser comme qubit dans une protéine purifiée d’une cellule rénale humaine et de bactéries Escherichia coli. Le microscope était constitué d’un système optique incluant un ensemble de lentilles et de miroirs utilisant un laser pour produire des images à haute résolution.

Le microscope a produit une impulsion laser de 488 nanomètres pour induire un état de spin dans l’EYFP. Une autre impulsion proche infrarouge a ensuite été utilisée pour effectuer une lecture de l’état de spin triplet. Cela aurait permis aux chercheurs d’observer suffisamment de différence dans les états de spin de la protéine pour en faire un qubit fonctionnel. D’après l’équipe, elle s’est comportée comme un qubit fonctionnel pendant environ 16 microsecondes avant que l’état triplet ne s’effondre — une durée relativement brève au regard d’autres plateformes quantiques, telles que les centres NV dans le diamant, dont la cohérence peut atteindre la milliseconde.

« C’est une évolution vraiment passionnante », affirme Benjamin Soloway, co-auteur principal de l’étude et doctorant en quantique au programme PME de l’UChicago. « Grâce à la microscopie à fluorescence, les scientifiques peuvent observer les processus biologiques, mais doivent déduire ce qui se passe à l’échelle nanométrique. Aujourd’hui, pour la première fois, nous pouvons mesurer directement les propriétés quantiques à l’intérieur des systèmes vivants », indique-t-il.

Un potentiel prometteur mais encore limité

Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il s’agit de résultats préliminaires et qu’un certain nombre de limites restent à surmonter avant de pouvoir envisager des applications pratiques. La protéine devait par exemple être refroidie à l’azote liquide afin de pouvoir manipuler efficacement l’état de spin. Bien que l’état de qubit ait été observé à température ambiante dans les cellules bactériennes, un effondrement rapide de l’état de spin a été détecté.

D’autre part, la sensibilité du qubit biologique en tant que capteur quantique était inférieure à celle des capteurs semi-conducteurs à base de défauts de diamant, d’après les résultats publiés dans la revue Nature. Néanmoins, « nos découvertes ouvrent non seulement de nouvelles perspectives pour la détection quantique au sein des systèmes vivants, mais introduisent également une approche radicalement différente de la conception des matériaux quantiques », conclut Peter Maurer, co-chercheur principal de l’étude et professeur adjoint de génie moléculaire à l’UChicago PME.

Source : Nature
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