À l’heure où les système de pompage-turbinage et les batteries de grande taille représentent les systèmes de stockage d’énergie majoritaires, les solutions de stockage low-cost ont du mal à se démarquer. Pourtant, c’est le pari effectué par l’entreprise suisse Energy Vault : stocker l’énergie renouvelable, éolienne ou solaire, par l’empilement de simples blocs de bétons.
La science à la base de la technologie d’Energy Vault est simple et utilise la transformation de l’énergie cinétique en énergie potentielle, et vice-versa. Parce que le béton est beaucoup plus dense que l’eau, soulever un bloc de béton nécessite (et peut donc stocker) beaucoup plus d’énergie qu’un réservoir d’eau de taille égale.
Une grue à six bras de 120 mètres de haut se dresse au centre du dispositif. À l’état neutre, les blocs de béton pesant 35 tonnes chacun sont soigneusement empilés autour de la grue. En cas d’excédent d’énergie solaire ou éolienne, un algorithme informatique demande à un ou plusieurs bras de grue de localiser un bloc de béton, à l’aide d’une caméra fixée au bras de la grue.
Des blocs de béton pour stocker et restituer l’énergie
Une fois que le bras de la grue a repéré et accroché un bloc de béton, un moteur démarre, alimenté par le surplus d’électricité du réseau, et soulève le bloc du sol. Le chariot de la grue est spécifiquement programmé pour contrer le mouvement des oscillations du vent. En conséquence, il peut soulever le bloc en douceur, puis le placer sur une autre pile de blocs, plus haut sur le sol.
Le système est « complètement chargé » lorsque la grue a créé une tour de blocs de béton tout autour de son pylône central. L’énergie totale pouvant être stockée dans la tour est de 20 mégawattheures (MWh), soit suffisamment pour alimenter 2000 foyers pendant une journée entière.
Lorsque la demande en électricité apparaît de nouveau, les moteurs se remettent en marche. Le moteur est entraîné en sens inverse par l’énergie gravitationnelle, les blocs sont redescendus et de l’électricité est ainsi générée par une turbine alimentée par la restitution de l’énergie cinétique des blocs.
L’efficacité du système, qui correspond à la quantité d’énergie récupérée pour chaque unité d’énergie utilisée pour lever les blocs, est d’environ 85% — comparable aux batteries lithium-ion qui en offrent jusqu’à 90%.
Stocker de l’énergie à faibles coûts
En tant que directeur de la technologie, Andrea Pedretti s’est principalement attaché à concevoir un logiciel permettant d’automatiser les opérations contextuelles, telles que l’accrochage et le décrochage de blocs de béton, et de contrecarrer les mouvements pendulaires lors de la levée et de la descente de ces blocs.
Energy Vault réduit les coûts, car il utilise du matériel commercial standard. Les blocs de béton pourraient en réalité s’avérer être la partie la plus coûteuse de la tour énergétique. Le béton coûte beaucoup moins cher qu’une batterie lithium-ion, mais Energy Vault aurait besoin d’une grande quantité pour construire des centaines de blocs de 35 m3.
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Alors Pedretti a trouvé une autre solution. Il a développé une machine capable de mélanger des éléments que les villes paient souvent pour s’en éliminer/traiter, tels que du gravier ou des déchets de construction, avec du ciment pour créer des blocs de béton à faible coût. Les économies de coûts résultent de l’utilisation d’un sixième seulement de la quantité de ciment qui aurait été nécessaire si le béton avait été utilisé pour la construction de bâtiments.
Les différentes solutions de stockage d’énergie
Les experts en stockage d’énergie classent généralement le stockage d’énergie en trois groupes, en fonction de la quantité d’énergie nécessaire au stockage, et du coût de stockage de cette énergie.
Premièrement, des technologies coûteuses, telles que les batteries lithium-ion, peuvent être utilisées pour stocker quelques heures d’énergie, de l’ordre de plusieurs dizaines ou centaines de MWh. Celles-ci peuvent être chargées pendant la journée, en utilisant des panneaux solaires par exemple, puis déchargées lorsque l’ensoleillement baisse. Mais les batteries lithium-ion pour les réseaux électriques coûtent actuellement entre 280 et 350 dollars par kWh.
Des technologies moins coûteuses, telles que les batteries à flux (qui utilisent des produits chimiques liquides à haute énergie) peuvent être utilisées pour stocker de l’énergie sur plusieurs semaines, de l’ordre de centaines ou de milliers de MWh. Cette deuxième catégorie de stockage d’énergie pourrait alors être utilisée, par exemple, lorsqu’il y a une accalmie dans la production d’énergie éolienne pendant une semaine ou deux.
La troisième catégorie n’existe pas encore. En théorie, les technologies ultra-peu coûteuse, encore à inventer, pourraient stocker des mois d’énergie — de l’ordre de dizaines ou de centaines de milliers de MWh — qui seraient utilisés pour faire face aux demandes intersaison. Par exemple, Mumbai (Inde) atteint son pic de consommation en été, lorsque les climatiseurs fonctionnent à plein régime, alors que Londres connaît un pic en hiver, en raison du chauffage domestique. Idéalement, l’énergie stockée au cours d’une saison pourrait être stockée pendant des mois au cours des saisons de faible utilisation, puis déployée plus tard au cours des saisons de forte utilisation.
Les avantages et inconvénients de la solution déployée par Energy Vault
Piconi estime qu’au moment où Energy Vault construira sa 10ème centrale d’une capacité d’environ 35 MWh, elle pourra ramener les coûts à environ 150$ par kWh. Cela signifie qu’il ne peut pas répondre aux besoins de la troisième catégorie d’utilisation du stockage de l’énergie ; pour ce faire, les coûts devraient être plus proches de 10 dollars par kWh. L’entreprise pourrait cependant concourir dans la seconde catégorie.
Cela étant dit, certains experts ont déclaré que le coût des batteries lithium-ion, la technologie de batterie actuellement dominante, pourrait chuter à environ 100 dollars par kWh, ce qui les rendrait moins chères qu’Energy Vault lorsqu’il s’agit de stocker de l’énergie pendant des jours ou des semaines. Et parce que les batteries sont compactes, elles peuvent être transportées sur de grandes distances. La plupart des batteries lithium-ion des smartphones utilisés partout dans le monde, par exemple, sont fabriquées en Asie de l’Est.
Les blocs de béton d’Energy Vault devront être construits sur place, et chaque système de 35 MWh nécessitera une surface de terrain circulaire d’environ 100 mètres de diamètre. Les batteries ont besoin d’une fraction de cet espace pour stocker la même quantité d’énergie.
Par contre, les batteries ont certaines limites. La durée de vie maximale des batteries lithium-ion, par exemple, est d’environ 20 ans. Elles perdent également leur capacité à stocker de l’énergie au fil du temps. Et il n’existe pas encore de moyens fiables de les recycler.
L’usine d’Energy Vault peut fonctionner pendant 30 ans avec peu d’entretien et une perte de capacité presque nulle. Ses blocs de béton utilisent également des déchets. Piconi est donc convaincu qu’Energy Vault peut encore occuper un créneau : des lieux offrant un accès abondant à la terre et aux matériaux de construction, combinés au désir de disposer de technologies de stockage capables de durer des décennies, sans perte de capacité.