Si la recherche française conserve toujours ses lettres de noblesse au niveau international, le niveau de ses chercheurs étant fréquemment salué par la communauté scientifique, le budget alloué à la recherche publique fait quant à lui l’objet de nombreuses et vives critiques depuis plusieurs années. C’est pourquoi le gouvernement a décidé d’augmenter ce budget de 25 milliards d’euros dans les 10 ans à venir, avec pour objectif d’atteindre 1% du PIB en matière de dépenses liées à la recherche. Une loi qui, si elle promet une augmentation conséquente du budget, n’éteint pas pour autant le mécontentement des chercheurs français, pour qui l’échéance est encore trop longue.
Le gouvernement français a dévoilé cette semaine un projet de loi scientifique qui promet d’augmenter les dépenses publiques de recherche de 25 milliards d’euros supplémentaires au cours des 10 prochaines années. La ministre française de la Recherche, Frédérique Vidal, qui a présenté le projet de loi au Conseil des ministres le 22 juillet, a déclaré que cet argent répond à un besoin urgent de « refinancer en profondeur la recherche ».
« Il y avait une vraie demande pour cette loi dans la communauté académique », explique Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développement. Le nouveau financement représenterait « un certain progrès. Paradoxalement, la déception est immense car les besoins étaient si grands et nous savons maintenant qu’à priori, pendant 10 ans, nous n’aurons rien de mieux ».
Un objectif de 1% du PIB en matière de dépenses liées à la recherche publique
En plus de présenter pour la première fois un plan de financement à 10 ans, le projet de loi augmenterait les salaires des scientifiques et introduirait des postes menant à la permanence, une nouveauté en France. Le gouvernement affirme que ces mesures rendront les carrières de la recherche plus attractives tout en rendant la science française plus compétitive. Mais de nombreux scientifiques considèrent les changements d’emploi comme une menace pour la sécurité de l’emploi.
Le gouvernement a annoncé pour la première fois son intention d’adopter la loi en février 2019 et celle-ci a été rédigée après une consultation publique nationale. L’objectif est de faire passer les dépenses globales de R&D du pays de 2.2% du produit intérieur brut (PIB) à 3% d’ici 2030. Avec les 25 milliards d’euros supplémentaires, le projet de loi augmenterait lentement le budget global de la recherche d’environ 15 milliards d’euros par an à 20 milliards d’euros en 2030. Cela ferait passer la composante publique des dépenses de R&D de 0.8% du PIB à un objectif de 1%.
L’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance les chercheurs par appel à la concurrence, verrait son budget annuel augmenter de 1 milliard d’euros sur 7 ans pour atteindre environ 1.7 milliard d’euros en 2027. L’idée est de contribuer à faire passer le taux de réussite de ses subventions de 16% à un objectif de 30%. Les universités et autres organismes de recherche publics en bénéficieraient également, car la mesure ferait passer les frais généraux des subventions de 19% à 40% en 2030.
Une échéance trop longue et un risque d’instabilité de l’emploi
Pourtant, le financement proposé ne répond pas aux attentes de nombreux scientifiques. Plus tôt ce mois-ci, l’Académie française des sciences a appelé à augmenter beaucoup plus rapidement le budget scientifique public annuel, atteignant 1% du PIB en 5 ans. Dans un communiqué, l’académie affirme que répartir le coup de pouce sur une période plus longue « dilue non seulement l’effort mais aussi, en raison de l’inflation, diminue fortement son impact ».
Certains scientifiques craignent également que la plupart des augmentations ne soient laissées aux futures administrations. « Si ce gouvernement voulait vraiment investir massivement dans la recherche, c’est dans les premières années qu’il concentrerait l’essentiel de ses efforts », explique Patrick Monfort, écologiste microbien à l’Université de Montpellier et responsable d’un syndicat de chercheurs .
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Le projet de loi s’engage également à allouer 2.5 milliards d’euros au cours des 7 prochaines années pour augmenter les salaires du personnel des universités et des organismes de recherche publics. Le projet de loi prévoit des postes menant à la permanence, qui compléteraient les postes permanents de niveau d’entrée traditionnellement offerts par le système français. Ces « professeurs juniors » pourraient bénéficier d’un budget de recherche moyen de 200’000 € et disposer de jusqu’à 6 ans pour obtenir leur mandat.
Bien que l’académie considère les postes menant à la permanence comme un moyen de créer plus d’emplois universitaires, Monfort y voit une autre forme d’instabilité de l’emploi. Les carrières scientifiques françaises sont attrayantes précisément parce que les chercheurs peuvent décrocher un poste permanent à un plus jeune âge que dans d’autres pays.
Depuis le début de 2020, les syndicats de la recherche protestent contre ce qu’ils considèrent comme l’érosion des pierres angulaires traditionnelles de la science française : financement institutionnel stable, emploi permanent et liberté académique. Ils ont également critiqué ce qu’ils considèrent comme l’adoption forcée de la loi. Le Parlement devrait maintenant adopter la loi dans les mois à venir, dans le cadre d’une procédure accélérée.