Des tombes âgées de 4000 ans, mais aussi de la poterie néolithique ainsi que les vestiges d’une mystérieuse enceinte, voilà ce qu’ont découvert les archéologues près de Stonehenge. Tous ces éléments apportent de nouveaux indices sur le mode de vie des Hommes de cette époque, avant et après la construction du site mégalithique.
Fin 2020, le gouvernement britannique a approuvé un projet de construction d’un tunnel routier à proximité du célèbre site préhistorique de Stonehenge ; ce tunnel, qui doit passer à environ 200 mètres du site, vise à désengorger le trafic routier particulièrement intense dans cette région. Malgré les nombreuses protestations d’archéologues et de druides, les travaux de préparation à la construction ont débuté cette année. Et c’est lors des fouilles préliminaires que des archéologues ont fait ces impressionnantes découvertes.
Les experts pensent notamment que les restes de l’enceinte, en forme de C, délimitent une ancienne zone de manufacture : des traces de silex brûlé, relevées dans les fossés qui bordent cette enceinte, suggèrent en effet que des personnes y ont sans doute travaillé le métal ou le cuir, il y a quelques milliers d’années.
Des traces de vie quotidienne d’il y a plusieurs millénaires
Près de la future ouverture est du tunnel, les archéologues ont tout d’abord découvert de grandes quantités de déchets provenant de la fabrication d’outils en silex, ainsi que des fossés qui pourraient dater de l’âge du fer et pourraient être associés au camp de Vespasien, une colline fortifiée située non loin du site de Stonehenge.
Du côté de l’extrémité ouest, ce sont deux sépultures issues de la culture du Campaniforme (désignée par la Beaker culture en anglais) qui ont été découvertes. Les individus de la culture Beaker sont arrivés en Grande-Bretagne vers 2500 av. J.-C. ; cette époque fut ainsi nommée d’après les gobelets en céramique qu’ils utilisaient pour boire (ressemblant à des cloches à l’envers).
Parmi les deux sépultures, les archéologues ont identifié un adulte, recroquevillé sur lui-même ; à ses côtés se trouvait un gobelet, un poinçon de cuivre ou un fragment d’aiguille, ainsi qu’un petit objet cylindrique en schiste ; ce dernier n’avait jamais été trouvé auparavant dans les tombes de cette époque. De plus amples recherches seront menées pour découvrir de quoi il s’agit, mais les spécialistes pensent qu’il pourrait s’agir de la pointe d’un bâton ou d’une massue en bois de cérémonie.
Dans la même zone, les archéologues ont mis au jour une fosse datant elle aussi de l’époque de la culture Beaker, contenant les minuscules ossements de l’oreille d’un enfant, accompagné d’un pot très simple, qui suggère qu’il s’agit également d’une tombe. Habituellement, ces pots retrouvés dans les sépultures sont ornés, mais celui-ci est d’une apparence très sobre, probablement pour refléter l’âge du défunt.
L’enceinte en forme de C a été découverte un peu plus au sud et a elle aussi soulevé de nombreuses questions. « C’est un étrange modèle de fossé. Il est difficile de dire ce que c’était, mais nous savons quel âge il a parce que nous y avons trouvé un pot de l’âge du bronze presque complet », précise Matt Leivers, archéologue consultant en charge du projet de tunnel chez Wessex Archaeology.
Les archéologues ont également retrouvé une grande quantité de silex brûlé dans ces fossés, ce qui suggère que la zone avait peut-être une fonction manufacturière : « Cela pourrait être le travail du métal ou du cuir, la fabrication de poterie, la transformation des récoltes », précise Leivers. Juste au sud du Centre des visiteurs de Stonehenge, les archéologues ont par ailleurs mis au jour divers objets datant de la fin de la période néolithique (lorsque le cercle de pierre a été érigé) : de la poterie rainurée, un silex et des bois de cerf rouge.
Leivers se réjouit d’avoir découvert autant de vestiges du passé ; des indices qu’il juge très « intimes » sur les personnes qui ont vécu dans cette zone pendant des millénaires, tant sur leur vie quotidienne que sur leurs rites funéraires. « Chaque détail nous permet de comprendre ce qui se passait dans ce paysage avant et après la construction de Stonehenge. Chaque pièce apporte un peu plus de netteté au tableau », ajoute l’expert.
Un impact lourd sur les vestiges archéologiques
Cette découverte va-t-elle remettre en cause la construction du tunnel ? Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, le site de Stonehenge attire chaque année environ 1,6 million de visiteurs chaque année (du moins, hors pandémie). L’actuelle route qui permet de s’y rendre, l’A303, passe au plus près du cercle de pierres, à moins de 165 mètres ; elle apparaît aujourd’hui bien trop étroite pour soutenir le niveau de trafic actuel. Selon Highways England, la société chargée de construire le tunnel, l’ouvrage de 3,3 kilomètres de long environ sera situé à 200 mètres du site en son point le plus proche (soit plus éloigné que la route actuelle).
Mais le projet, estimé à 1,7 milliard de livres sterling, reste très controversé. Plusieurs experts ont souligné que la réalisation de ces travaux d’excavation particulièrement intrusifs causera nécessairement des dommages à l’un des sites antiques les plus précieux du patrimoine mondial. Ils évoquent notamment la perte de centaines de milliers d’artefacts.
L’équipe admet que tous les projets routiers ont forcément un impact sur l’archéologie d’une région. « Il n’y a pas une seule option qui permettrait un impact nul sur les vestiges archéologiques », reconnaît Andy Crockett, directeur du projet pour Wessex Archaeology. Il précise qu’en contrepartie, les véhicules roulant à proximité du site disparaîtraient de la vue des visiteurs. De son côté, Highways England souligne la quantité « sans précédent » de travaux d’enquête qui ont été menés en raison de l’importance du site. « Il y a eu un grand nombre d’enquêtes pour que cet itinéraire puisse être traversé de manière à déranger le moins possible », explique David Bullock, chef de projet de la société.
Les différents objets découverts sur le site de fouilles sont entreposés à Salisbury, et seront à terme exposés au musée de la ville. La prochaine phase de fouilles archéologiques, qui devrait durer environ 18 mois, est prévue plus tard cette année ; elle impliquera jusqu’à 150 archéologues. Les travaux de construction du tunnel devraient, quant à eux, démarrer en 2023.