Une équipe de chercheurs de l’Université Johns Hopkins a mis au point un nouveau matériau capable d’absorber les chocs, aussi résistant que le métal, mais ultraléger. Fabriqué à partir d’élastomères à cristaux liquides, ce matériau semblable à de la mousse serait idéal pour créer des équipements de protection portatifs (dans le domaine du sport ou le secteur de la défense par exemple), ou encore des pièces automobiles alliant résistance et légèreté.
Les matériaux absorbant l’énergie sont utilisés dans de nombreuses situations, tant pour l’isolement des vibrations (par exemple, dans les équipements sportifs et les supports de moteur) que pour la protection contre les chocs (dans les casques ou les armures). La plupart des matériaux existants dissipent l’énergie du choc via des mécanismes dits inélastiques (déformation plastique, fracture ou fragmentation) ; dans ce cas, l’énergie cinétique est convertie en énergie interne, elle n’est pas conservée. Les matériaux sont ainsi endommagés après un choc et ne peuvent être réutilisés (ou peu de fois).
Il existe néanmoins des matériaux architecturés (ou métamatériaux) capables de piéger l’énergie par flambage — qui désigne le fait que le matériau exploite un mode de déformation non sollicité pour pouvoir soutenir une charge importante. Cette déformation est réversible, ce qui rend ces métamatériaux réutilisables. Mais leur capacité d’absorption d’énergie est limitée et ils s’avèrent de ce fait peu efficaces à des vitesses de déformation élevées. Face à ce constat, des chercheurs ont entrepris d’augmenter cette capacité d’absorption en incorporant un mécanisme de dissipation du matériau dépendant de la vitesse. Pour ce faire, ils se sont tournés vers les élastomères à cristaux liquides (ECL).
Une capacité d’absorption d’énergie extrême
Les ECL sont des réseaux de polymères à cristaux liquides légèrement réticulés ; ils combinent ainsi l’élasticité d’un élastomère avec la capacité d’auto-organisation de la phase cristalline liquide. Ils sont déjà utilisés aujourd’hui dans le secteur de la robotique, pour concevoir les muscles artificiels des robots mous.
Les chercheurs ont créé des structures constituées de cellules unitaires faites de segments en ECL inclinés, disposés symétriquement entre deux supports horizontaux rigides. Ces cellules unitaires étaient répétées sur plusieurs couches — des simulations préalables avaient montré en effet que la densité d’absorption d’énergie augmentait avec le nombre d’empilements, de par un flambage non uniforme des couches.
Le matériau mis au point affiche une capacité d’absorption d’énergie extrême : des tests de compression ont montré que la cellule unitaire à base d’ECL était capable d’absorber une plus grande quantité d’énergie qu’une structure élastomère standard, à une vitesse de déformation supérieure à 1,5 x 10-3 s-1. Sur la gamme des taux de déformation effectifs de 6 × 10-4 s-1 à 6 × 102 s-1, la densité d’absorption d’énergie de la cellule a augmenté de plus de deux ordres de grandeur. Pour une vitesse de déformation de 600 s-1, les chercheurs rapportent une densité d’absorption pouvant atteindre 5 MJ/m3, une valeur « comparable à la dissipation due à la déformation plastique irréversible présentée par des métaux plus denses », précisent-ils dans la revue Advanced Materials.
Ce matériau innovant serait donc particulièrement adapté aux casques de protection, aux gilets pare-balles, aux pare-chocs ou autres pièces automobiles ou aéronautiques. Non seulement il offre une protection contre un large éventail d’impacts, mais grâce à sa légèreté, il permettrait de réduire la consommation de carburant et l’impact environnemental des véhicules tout en étant plus confortable pour les porteurs d’équipements de protection, souligne Sung Hoon Kang, professeur adjoint de génie mécanique à l’Université Johns Hopkins et co-auteur de l’étude.
Des performances qui augmentent avec la vitesse de déformation
Au cours d’une série d’expériences visant à tester la capacité du nouveau matériau à résister aux chocs, celui-ci a résisté à des objets pesant entre 1,8 et 6,8 kg, se déplaçant à des vitesses allant jusqu’à près de 35 km/h ! Les machines d’essai étant limitées, il n’a pas été possible de tester des vitesses supérieures, mais l’équipe demeure convaincue que leur matériau pourrait absorber en toute sécurité des impacts encore plus importants.
Les chercheurs ont pu observer que les performances du matériau augmentaient avec le nombre de couches. « Le flambage non uniforme des différentes couches produit une dissipation viscoélastique supplémentaire. Cette interaction synergique entre la dissipation viscoélastique et le flambage non uniforme fait que la densité d’absorption d’énergie augmente avec le nombre de couches », expliquent les chercheurs. Une structure à quatre couches, par exemple, présentait une densité d’absorption d’énergie presque deux fois supérieure à de celle d’une structure monocouche.
Ils se sont néanmoins aperçus qu’avec plus de trois couches, la déformation devenait plus uniforme, provoquant la saturation de la densité d’absorption. Pour pallier le problème, ils ont donc introduit une gradation spatiale de l’épaisseur des segments d’ECL ; ceci a permis d’assurer le flambage séquentiel des différentes couches et donc d’améliorer la densité d’absorption d’énergie.
L’équipe espère que ses résultats contribueront à la compréhension fondamentale des mécanismes d’absorption d’énergie non linéaires des structures ECL architecturées, et qu’ils seront exploités dans les cas où une absorption d’énergie légère et extrême est souhaitable. Une collaboration avec une société de casques destinés aux athlètes et aux militaires est d’ores et déjà prévue.