Le réchauffement climatique est bien réel, les événements climatiques extrêmes se multiplient, à l’image des températures record enregistrées la semaine dernière aux deux pôles de la Terre. La température dans l’est de l’Antarctique a atteint moins 11,8 degrés Celsius, soit plus de 40 degrés Celsius de plus que la normale saisonnière. Après seulement quelques jours, l’imagerie satellite a capturé, le 15 mars, la fin dramatique d’une grande plateforme de glace dans cette région de l’Antarctique, la barrière « Conger ». Illustration de ce que nous réserve notre futur.
Les plates-formes glaciaires (en anglais ice shelves), ou barrières de glace, sont une particularité de l’Antarctique, bien qu’on en trouve également au Groenland et au Canada. Il s’agit de banquises (eau de mer gelée) sur lesquelles se sont établis des glaciers par compactage de la neige. En se rompant, elles donnent naissance à des icebergs plats. Ainsi, elles sont des extensions de calottes glaciaires qui flottent au-dessus de l’océan, jouant un rôle important dans la retenue de la glace intérieure.
Andrew Mackintosh, expert de la calotte glaciaire et directeur de l’école de la Terre, de l’Atmosphère et de l’Environnement à l’Université Monash en Australie, explique : « Si elles s’effondrent, le flux de glace de l’intérieur des terres s’accélère et entraîne une élévation du niveau de la mer ».
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La plate-forme de glace Conger, qui se trouvait au large de la côte est de l’Antarctique à côté de la (beaucoup plus grande) plateforme de Shackleton — nommée ainsi en hommage à Ernest Shackleton —, a complètement disparu le 15 mars. Elle faisait environ 1200 kilomètres carrés, soit à peine plus petite que Los Angeles et environ un tiers de la taille de la banquise Larsen B, qui s’est désintégrée en 2002.
Disparition inédite, dramatique et rapide
L’effondrement a été capturé par imagerie satellite et partagé sur les réseaux sociaux par le Dr Catherine Colello Walker, scientifique à la Nasa et à la Woods Hole Oceanographic Institution. Les images montrent que la plate-forme est restée intacte pendant une période de trois mois en janvier 2022 et s’est brisée comme un morceau de verre dans les deux dernières images, qui ont été prises à peine à une semaine d’intervalle en mars 2022. Selon le National Ice Center, agence américaine surveillant les plates-formes, la désintégration de la banquise a donné naissance à un iceberg de près de 30 km de long sur 18 km de large, baptisé C-38, qui s’est ensuite brisé en deux morceaux.
Certes, ce n’est pas la première fois que le continent voit une banquise se désintégrer. En 2002, la banquise Larsen B, stable depuis plus de 10 000 ans, s’est effondrée. Néanmoins, ce qui rend l’effondrement récent significatif, c’est que la plate-forme Conger est située dans la partie orientale de l’Antarctique, une région considérée jusqu’à présent comme un bloc de glace massif, immobile et froid, par les chercheurs. C. Walker déclare que bien que la plate-forme de glace Conger soit relativement petite, « c’est l’un des événements d’effondrement les plus importants de l’Antarctique depuis le début des années 2000 lorsque la banquise Larsen B s’est désintégrée ».
La banquise Conger rétrécit progressivement depuis le milieu des années 2000. Au 4 mars de cette année, la banquise semblait avoir perdu plus de la moitié de sa superficie par rapport aux mesures de janvier.
Cependant, le Dr Catherine Colello Walker souligne : « Cela n’aura probablement pas d’effets énormes, mais c’est un signe de ce qui pourrait arriver ». En effet, la température moyenne à la surface de la Terre a augmenté d’un degré Celsius depuis le XIXe siècle en raison du changement climatique, suffisamment pour augmenter l’intensité des sécheresses, des vagues de chaleur et des cyclones tropicaux. Et de manière générale, les pôles se réchauffent plus vite.
Une vague de chaleur responsable de l’effondrement ?
Comme mentionné plus haut, l’Antarctique a récemment connu une chaleur extrême inhabituelle, de 30 à 40 °C de plus que la moyenne ordinaire à cette période de l’année. La chaleur était provoquée par une « rivière atmosphérique », un énorme courant d’air chaud traversant la région. Ce phénomène atmosphérique correspond à des couloirs aériens transportant de grandes quantités de vapeur sur de longues distances, qui a donc emprisonné la chaleur sur le continent.
Il reste cependant difficile de savoir si les températures élevées de l’Antarctique ont entraîné l’effondrement de la banquise, mais les scientifiques devront examiner comment les températures extrêmes ont modifié l’environnement autour de Conger. A. Mackintosh déclare : « Nous devons mieux comprendre comment la période chaude a influencé la fonte le long de tout ce secteur de l’Antarctique oriental ».
La recherche antarctique s’est principalement concentrée sur l’Antarctique occidental, car il est beaucoup plus accessible et a fait l’objet d’expéditions bien financées des divisions antarctiques américaine et britannique. Mais le réchauffement extrême du mois de mars a mis l’Antarctique oriental sur le devant de la scène et a révélé la nécessité de mieux comprendre la région et sa réponse au changement climatique induit par l’homme.
D’autres effondrements à venir
Helen Amanda Fricker, professeur de glaciologie au Scripps Polar Center, a déclaré que trois événements de vêlage — lorsque des morceaux de glace se détachent du bord d’un glacier — s’étaient produits dans l’Antarctique oriental en mars. En plus de l’effondrement de la plateforme Conger, il y a eu de plus petits événements de vêlage du glacier Totten et de la plateforme de glace Glenzer. Elle déclare : « Une grande partie de l’Antarctique de l’Est est restreinte par des plates-formes de glace, nous devons donc garder un œil sur toutes les plates-formes de glace là-bas ».
Matt King, du Centre australien d’excellence pour les sciences de l’Antarctique, affirme : « Nous verrons plus de plates-formes de glace se briser à l’avenir avec le réchauffement climatique ». Elles seront bien plus grandes que celle de Conger, retenant beaucoup de glace et donc faisant monter sérieusement le niveau mondial de la mer. En effet, les scientifiques sont particulièrement préoccupés par l’avenir du glacier Thwaites, qui fait la taille de la Floride — surnommé le « glacier apocalyptique » —, soit environ 100 fois plus grand que Larsen B et qui contient suffisamment d’eau pour élever le niveau de la mer à l’échelle mondiale de plus d’un demi-mètre.
M. King conclut : « La rapidité de la rupture de la banquise [Conger] nous rappelle que les choses peuvent changer rapidement. Nos émissions de carbone auront un impact sur l’Antarctique, et l’Antarctique reviendra mordre le reste des côtes du monde, et cela pourrait arriver plus vite que nous ne le pensons ».
Même si les preuves formelles de l’implication de la vague de chaleur sur l’effondrement de la plateforme Conger ne sont pas encore là, l’urgence climatique n’est plus à démontrer et notre avenir semble compromis dans des délais bien plus courts que prévu.