Si les cauchemars réveillent près de la moitié des enfants (surtout au cours de la petite enfance) durant leur phase de sommeil paradoxal, leur fréquence diminue progressivement jusqu’à l’âge adulte. Même si des différences individuelles persistent, comment expliquer cette réalité ? Développement psychologique, incompréhensions du quotidien, élaboration de la réflexion… autant d’éléments qui se répercutent jusque dans les rêves et les cauchemars des enfants, lesquels sont essentiels pour sa construction.
Les cauchemars et les mauvais rêves impliquent tous deux des rêves marqués par des images perturbantes, d’intenses émotions négatives et dont les thèmes sont le plus souvent centrés sur des menaces physiques ou psychologiques. Si les cauchemars réveillent le dormeur contrairement aux mauvais rêves, la plupart des études ne les distinguent pas et les regroupent sous le terme de « rêves perturbants ».
Par ailleurs, il ne faut pas confondre les cauchemars avec les terreurs nocturnes, qui se produisent en début de nuit, pendant le stade de sommeil lent profond. Elles peuvent apparaître dès l’âge de 6 mois — pour atteindre un pic de fréquence entre 3 et 4 ans —, tandis que les cauchemars commencent dès 2 ans ; ils ont lieu en deuxième moitié de nuit et pendant le stade de sommeil paradoxal.
D’un point de vue statistique, les enfants sont bien plus sujets aux cauchemars que les adultes. Une étude canadienne s’est alors intéressée à la prévalence des rêves perturbants chez l’enfant et à leurs possibles causes. En compilant les données d’études précédentes, les chercheurs rapportent que la moitié des enfants âgés de 4 à 9 ans fait des cauchemars. La fréquence monte à 72% pour les mauvais rêves chez des enfants entre 8 ans et demi et 11 ans. La fréquence des cauchemars diminue globalement avec l’âge de l’enfant, mais des divergences sont observées selon que la déclaration soit faite par les parents ou par l’enfant lui-même.
Cauchemars et rêves font partie du développement psychologique de l’enfant
« En fait, le cauchemar survient quand le rêve n’a pas réussi à remplir sa fonction de protecteur et de gardien du sommeil : le scénario fabriqué échoue à canaliser et neutraliser les angoisses du petit dormeur », explique Lyliane Nemet-Pier, psychologue et psychanalyste spécialisée dans les troubles du sommeil. « Celles-ci l’inondent, le submergent et le réveillent brutalement. Il est alors dans un état de frayeur bien réel, dans la mesure où, jusqu’à 3 ou 4 ans, il a encore du mal à distinguer parfaitement la réalité de l’imaginaire ».
Les cauchemars et les rêves font partie du développement psychologique de l’enfant et lui permettent aussi d’exprimer ses frustrations et ses envies, de manière inconsciente. En particulier, les cauchemars « expriment nos émotions, souvent celles vécues dans la journée même », écrit dans son livre Stephan Valentin, docteur en psychologie et spécialiste de la petite enfance. « C’est parce que nos défenses psychiques sont plus relâchées que les émotions peuvent y faire plus facilement surface ». Les cauchemars joueraient même un rôle dans la régulation de l’émotion et serviraient à neutraliser les angoisses de la journée. Comme le cauchemar est lié au langage et à son apprentissage, plus les enfants grandissent, plus ils peuvent mettre des mots sur leurs émotions, et moins ils font de cauchemars.
Il faut noter que, dans la majorité des cas, les enfants se souviennent davantage de leurs cauchemars que de leurs rêves agréables ou neutres. Le contenu des cauchemars s’élabore généralement comme cela : à 2 ans : peur d’être mordu, mangé ou attaqué ; de 3 à 5 ans : présence d’animaux puissants et méchants (très pratiques à imaginer car à la fois familiers et différents de l’humain pour garder de la distance) ; de 6 à 12 ans : figures humaines menaçantes, étrangers malveillants, bêtes étranges et dangereuses ; de 13 à 16 ans : des scénarios reflétant le rejet, le ridicule, le découragement, le manque d’estime de soi, l’emprise et même la dépression. Il est donc logique qu’en grandissant les adultes fassent moins de cauchemars, car globalement moins sujets à ces angoisses.
Par ailleurs, les enfants vivent davantage d’évènements qu’ils ne comprennent pas encore et qui réapparaissent dans leurs cauchemars, sous une forme ou une autre. Par exemple lors de l’apprentissage scolaire ou si un changement a lieu dans sa famille (déménagement, divorce, arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur, etc.). Ils peuvent également être plus impressionnés par des images vues à la télévision ou par des histoires perturbantes.
De 7 à 12 ans, l’enfant vit une « période de latence » pendant laquelle il réfrène ses pulsions sexuelles et se consacre à l’apprentissage et au développement intellectuel. Il possède également une imagination débordante, peut-être bien plus importante que celle de l’adulte. Certains avancent que c’est à cette période où se construit la réflexion et où se développe un certain esprit critico-rationnel que la fréquence des cauchemars serait la plus importante. Le cerveau de l’enfant ne cesse de se construire et cela a certainement des répercussions sur ses rêves et cauchemars.
Enfin, si les enfants et adolescents font plus de cauchemars que les adultes, c’est certainement parce qu’ils sont soumis à davantage de règles auxquelles ils s’opposent. Les « interdits » des adultes (ne pas taper, obéir aux parents…) et les règles de la société (vivre avec les autres, obéir…) représentent autant de conflits majeurs qui s’expriment de manière inconsciente pendant les cauchemars et qui se dissipent normalement à l’âge adulte.
Les cauchemars peuvent être déclenchés par le stress ou des évènements traumatiques, chez l’enfant comme chez l’adulte
Comme pour les adultes, les cauchemars des enfants peuvent également être liés à l’anxiété, au stress, à des problèmes comportementaux, ainsi qu’à des sources externes comme l’exposition à de la violence à la télévision. L’étude canadienne révèle qu’il existe une association positive significative entre la fréquence des rêves perturbants et les « problèmes » de comportement chez l’enfant (timidité, anxiété, dépression, problèmes sociaux, d’attention, de délinquance et d’agressivité) ; l’association étant la plus forte entre les cauchemars et les troubles émotionnels. Une autre étude a montré que les cauchemars étaient associés à des difficultés scolaires.
« Chez les adultes, les cauchemars sont fortement associés au trouble de stress post-traumatique ainsi qu’à diverses expériences traumatiques », écrivent les chercheurs canadiens. « Une relation tout aussi forte existe chez les enfants. Par exemple, une étude portant sur des personnes âgées de 15 ans ayant vécu un événement traumatique majeur a révélé que, même six mois après l’événement, 100% d’entre eux rapportaient des rêves perturbants récurrents liés à leur traumatisme ».