S’il est certain qu’un sommeil perturbé affecte nos journées du lendemain, les preuves de changements de cognition et de comportement qui se produisent pendant l’éveil nocturne ne sont pas encore claires. Sur cette base, des chercheurs proposent une hypothèse afin de mettre en lumière les problèmes engendrés, et de favoriser d’autres études sur le sujet.
Baptisée « The Mind After Midnight » (l’esprit après minuit), l’hypothèse des chercheurs américains suggère que lorsque nous sommes éveillés pendant la phase de « nuit » du rythme circadien biologique (après minuit pour la plupart des gens), des changements neurophysiologiques se produisent dans le cerveau, favorisant la dysrégulation comportementale et les troubles psychiatriques.
En effet, certains chercheurs ont montré précédemment que les rythmes circadiens influençaient la physiologie et le comportement humains. Ces rythmes favorisent l’éveil et la cognition pendant la journée, tout en réduisant l’activité corticale pour le sommeil la nuit. Sans surprise, un sommeil perturbé augmente le risque d’apparition et d’aggravation des maladies psychiatriques, et ce risque peut découler en partie de l’éveil nocturne (pendant la « nuit circadienne »). Pendant la nuit biologique, la capacité cognitive et la régulation de l’humeur sont diminuées, probablement en raison des influences du rythme circadien.
Des comportements impulsifs et inadaptés majorés la nuit
« Il y a des millions de personnes qui sont réveillées au milieu de la nuit, et il y a des preuves assez solides que leur cerveau ne fonctionne pas aussi bien que pendant la journée », déclare dans un communiqué la neurologue Elizabeth Klerman, co-auteure de l’étude. D’après les chercheurs, les changements nocturnes favorisent les émotions négatives, mais également une augmentation des comportements impulsifs et inadaptés. Les données relatives à quatre de ces comportements ont été examinées : le suicide/l’automutilation, les crimes violents, la consommation d’alcool ou d’autres substances et le comportement alimentaire.
De précédentes recherches ont ainsi montré que les risques liés à ces comportements sont majorés pendant la nuit. « Par exemple, un usager d’héroïne auparavant abstinent qui réussit à gérer ses envies pendant la journée peut ressentir des envies plus fortes et une résistance moindre la nuit », rapportent les auteurs. « L’attrait de la consommation d’héroïne devient plus désirable et satisfaisant que les coûts potentiels, et une seule décision impulsive conduit à une rechute ». En 2020, des recherches menées dans un centre de consommation supervisée de drogues au Brésil ont ainsi révélé un risque d’overdose d’opioïdes 4,7 fois plus élevé la nuit.
Un autre exemple est celui d’un étudiant qui connaît des insomnies, ce qui l’amène à ruminer sur ses expériences relationnelles négatives antérieures. Au fur et à mesure que les nuits blanches s’accumulent, il peut éprouver un sentiment de désespoir et d’impuissance qui peut le conduire jusqu’au suicide. Certaines études font état d’un risque de suicide trois fois plus élevé entre minuit et 6 heures du matin, par rapport à tout autre moment de la journée.
Certains de ces comportements pourraient tout simplement s’expliquer par le manque de sommeil, mais des changements neurologiques nocturnes liés au rythme circadien sont probablement impliqués. En plus de l’affect négatif majoré la nuit, l’augmentation de la production de dopamine pendant cette période pourrait modifier le système de récompense et augmenter la probabilité d’adopter un comportement à risque.
Cette interprétation biaisée des informations est ensuite transmise aux parties du cerveau responsables de la prise de décision, lesquelles s’efforcent normalement de contrôler les distractions émotionnelles négatives et de se concentrer sur un comportement orienté vers un objectif.
Valider l’hypothèse pour aider les personnes concernées
Toutefois, l’hypothèse des chercheurs est basée sur de précédentes recherches, et vise à attirer l’attention sur une future validation empirique. « Pour tester l’hypothèse Mind after Midnight, les données doivent être collectées pendant la nuit biologique (y compris en utilisant des protocoles qui ne provoquent pas de perte de sommeil) », écrivent les auteurs. Les travaux futurs pourraient également permettre de distinguer les effets d’un éveil prolongé de ceux d’un réveil nocturne brutal, ainsi que les distinctions entre la perte de sommeil et les processus circadiens.
Les résultats de cette étude pourraient avoir des répercussions importantes sur les personnes qui travaillent de nuit, notamment les travailleurs de la santé et le personnel militaire. Il s’agirait également d’aider les personnes concernées à dormir toute la nuit, réduisant ainsi leur exposition aux périodes à risque élevé dû à un dérèglement du comportement.