Lorsqu’un trou noir « dévore » une étoile, des événements de rupture par effet de marée (TDE) se produisent et des éjections de matière peuvent être observées durant quelques jours ou semaines. Une surveillance à long terme de 24 trous noirs révèle pour la première fois que près de la moitié se réactivent soudainement et « rotent » de la matière plusieurs années après la détection de leur TDE. Cette découverte souligne à quel point nous sommes loin d’avoir cerné le phénomène.
Lorsqu’une étoile s’aventure trop près d’un trou noir et s’approche suffisamment de l’horizon des événements, elle subit une telle force gravitationnelle qu’elle s’étire, se déchire puis est déchiquetée avant d’être avalée. Alors qu’une partie de la matière stellaire est repoussée loin du trou noir, celle restante s’étale autour du bord et forme le disque d’accrétion. Appelé événement de rupture par effet de marée (de l’anglais tidal disturbtion event ou TDE), ce phénomène transitoire est caractérisé par un jet de rayonnement cosmique hyperénergétique.
De manière conventionnelle, les TDE sont observés pendant quelques jours ou quelques semaines suivant leur découverte, les flux de rayonnement semblant s’estomper rapidement. Cependant, des TDE émettant des ondes radio tardivement par rapport à leur découverte optique ont récemment été détectés. L’un d’eux, baptisé ASASSN-15oi, a par exemple été identifié pour la première fois environ 180 jours après son observation optique, en montrant une luminosité allant crescendo, par rapport aux observations antérieures (à 8, 23 et 90 jours). Après 550 jours, l’émission radio s’est progressivement atténuée pour à nouveau se raviver de manière accélérée au 1400e jour d’observation — avec une luminosité surpassant le pic précédent. AT2018hyz, rapporté fin 2022, a également présenté un pic d’activité 1000 jours après sa détection initiale.
Au total, 4 TDE présentant d’étranges et tardifs pics d’activité ont été rapportés. « J’appelle cela un rot parce que nous avons une sorte de retard où ce matériau ne sort du disque d’accrétion que bien plus tard que ce que les hypothèses prévoyaient », indique Yvette Cendes, du centre d’astrophysique de Harvard-Smithsonian. Dans l’article en prépublication disponible sur le serveur arXiv, l’équipe de la chercheuse a effectué une surveillance à long terme d’un groupe de trous noirs impliqués dans des TDE, afin d’évaluer la prévalence du phénomène.
Une réactivation jusqu’à 6 ans après la détection initiale
Dans le cadre de l’étude, 24 TDE découverts entre janvier 2014 et octobre 2020 ont été optiquement sélectionnés. Alors que les émissions radio de certains de ces TDE ont culminé au bout de 2 à 4 ans d’observation, plus de la moitié montrait toujours une émission croissante. Au début du suivi, cette majorité n’émettait pas de niveau détectable d’ondes radio, puis les trous noirs se sont soudainement réactivés à un moment ultérieur. Pour 10 des 24 trous noirs concernés, la réactivation s’est produite entre 2 et 6 ans après la détection initiale des TDE.
Dans 2 des cas, les ondes radio émises par les trous noirs ont atteint un pic puis se sont estompées pour regagner à nouveau un second pic — un effet similaire à ASASSN-15oi et AT2018hyz. « Il y a eu un deuxième pic, les deux trous noirs se sont rééclairés, et c’est complètement nouveau et inattendu », explique Cendes. En effet, « les chercheurs pensaient jusqu’ici qu’il y avait une seule sortie », ajoute-t-elle. Dans leur ensemble, les données de Cendes et son équipe suggèrent qu’environ 40% des émissions radio de tous les TDE sont détectées des centaines voire des milliers de jours après leur découverte optique. De plus, ils seraient probablement plus fréquents que ceux présentant des émissions culminant à 100 jours.
Plusieurs théories ont été avancées pour expliquer l’émission radio tardive de cette population de TDE. L’une d’elles suggère une décélération d’un jet relativiste hors de son axe, tout au début de l’événement. Une autre estime que l’émission tardive de rayonnements est due à un déclenchement tardif de leur écoulement, résultant d’un état de transition du disque d’accrétion initial. Les chercheurs du Harvard-Smithsonian soutiennent cette dernière hypothèse et stipulent qu’il est très peu probable que le second jet de matière puisse provenir de l’intérieur du trou noir.
Afin de confirmer leur hypothèse, les chercheurs comptent poursuivre leur surveillance, d’autant plus que la luminosité de certains des TDE continue de croître de manière linéaire. Toutefois, les simulations informatiques modélisent généralement des événements s’estompant au bout de quelques semaines, suivant la destruction des étoiles. Ainsi, une mise à jour des modèles numériques est nécessaire pour pouvoir améliorer notre compréhension du véritable comportement des trous noirs.