Le café, l’une des boissons les plus consommées au monde, est depuis peu exploré en neurobiologie pour ses vertus neuroprotectrices. De récentes expériences in vitro révèlent que l’expresso en particulier (café très corsé avec un fort arôme) est un puissant inhibiteur de l’agrégation de la protéine tau — une caractéristique clé de la maladie d’Alzheimer. Alors que le café contient un grand nombre de molécules actives, les meilleurs résultats ont été observés avec des extraits complets particulièrement concentrés d’expresso.
Pendant de nombreuses années, le café a été associé à différents risques pour la santé, tels que les maladies cardiovasculaires. Cependant, de récentes études lui ont suggéré des effets neuroprotecteurs contre les pathologies neurodégénératives telles que Parkinson et Alzheimer, malgré les effets néfastes à haute dose rapportés par d’autres recherches. Ces avantages seraient conférés par une large gamme de molécules bioactives, dont la plus connue est la caféine. Des analyses épidémiologiques ont rapporté des améliorations de la fonction cognitive et de la mémoire, mais les effets au niveau moléculaire sont encore largement méconnus.
Les recherches actuelles s’orientent vers l’exploration des avantages du café sur les caractéristiques biomoléculaires de la neurodégénérescence, tels que l’agrégation de la protéine amyloïde et de la protéine tau. Celles liées à la protéine tau sont appelées tauopathies et incluent Alzheimer, dont la prévalence mondiale est de 50 millions de personnes. Bien que les mécanismes de la maladie sont encore incompris, les neuroscientifiques estiment que l’accumulation anormale de protéines tau en est une caractéristique clé et constituerait ainsi une cible thérapeutique prometteuse, malgré les études contestant ce fait.
Dans une nouvelle étude publiée dans la revue Journal of Agricultural and Food Chemistry, des scientifiques de l’Université de Vérone (en Italie) ont évalué le potentiel de l’expresso à empêcher l’agrégation de la protéine tau. Les résultats semblent confirmer les hypothèses précédemment avancées, suggérant notamment des vertus neuroprotectrices du café corsé et autres boissons dérivées.
De meilleurs résultats avec l’extrait complet
Chez les personnes en bonne santé, la protéine tau se lie aux microtubules afin de soutenir la croissance et l’intégrité structurelle des axones. Elle est exprimée sous la forme de six isoformes, dont la plus abondante comporte 441 acides aminés. Il s’agit de protéines normalement désordonnées, hautement solubles et ayant très peu tendance à s’agglutiner. En cas de tauopathie cependant, les protéines tau se dissocient des microtubules et se mettent à prendre la forme de fibrilles puis à s’agréger entre elles. Les agrégats résultants sont neurotoxiques et induisent des symptômes de démence.
Il convient de rappeler que ces maladies sont actuellement incurables. De ce fait, les nutraceutiques (ou alicaments) pourraient constituer des moyens de prévention thérapeutiques intéressants. Dans cette optique, les chercheurs italiens ont opté pour l’expresso, dont la technique de préparation permet d’obtenir une forte concentration de molécules actives de grande pureté.
Dans le cadre de leur expérience, les chercheurs ont d’abord effectué une caractérisation moléculaire RMN de l’extrait de café afin d’y identifier les molécules bioactives potentiellement prometteuses. Il s’agit d’une technique visant à caractériser le contenu d’un échantillon à l’échelle sub-moléculaire. Pour ce faire, les expressos ont été préparés à partir de mélanges de 15 grammes de café arabica et robusta moulu et torréfié, pour un volume final de 80 millilitres par tasse. Chaque préparation a duré 30 secondes avec une température de l’eau de 80 °C.
Les molécules actives isolées incluaient la caféine, la génistéine et la théobromine (également présente dans le cacao), toutes à 99% de pureté. Les chercheurs ont ensuite évalué leur capacité, ainsi que celle de l’extrait entier, à empêcher l’agrégation de protéines tau.
Après une exposition in vitro de 40 heures de cellules isolées exprimant tau, il a été constaté que les molécules actives pouvaient se lier aux fibrilles préformées et les empêchaient de devenir toxiques. À mesure que les concentrations des extraits augmentaient, les fibrilles se raccourcissaient et ne formaient pas de plus grandes structures. Les effets les plus spectaculaires ont été observés avec l’extrait complet d’expresso.
« Ces résultats apportent des informations précieuses sur le potentiel neuroprotecteur du café expresso et suggèrent des échafaudages moléculaires candidats pour la conception de thérapies ciblant les formes monomères ou fibrillées de la protéine tau », concluent les chercheurs dans leur étude.
Ces résultats complètent ceux d’une étude antérieure révélant la capacité des extraits de café vert et torréfié à cibler les oligomères Aβ, également impliqués dans la maladie d’Alzheimer. Par ailleurs, des essais in vivo ont montré un gain de flexibilité neuroépigénétique avec la caféine. Chez les animaux consommant régulièrement de la caféine, l’activité transcriptionnelle traduisant l’apprentissage au niveau de l’hippocampe aurait été fortement augmentée.