Ces derniers mois, il est facile de s’y perdre dans le vocabulaire de virologie sur les réseaux sociaux : certaines personnes parlent de souches, d’autres de lignées, et d’autres encore de mutations… Comme toute autre entité biologique, le coronavirus SARS-CoV-2 possède un « arbre généalogique » retraçant son vécu. Connu uniquement depuis décembre 2019, le virus a muté plusieurs fois, avec différentes souches dominantes selon les zones géographiques. Mais les chercheurs arrivent à une conclusion qui se veut rassurante : le coronavirus mute lentement, ce qui pourrait permettre d’obtenir un vaccin efficace. Lumière sur l’histoire et l’évolution du nouveau coronavirus, et de ce qu’il en est réellement.
La première séquence complète du génome du SARS-CoV-2 a été obtenue chez un patient qui travaillait dans un marché de fruits de mer de la ville chinoise de Wuhan, et qui a été admis à l’hôpital le 26 décembre 2019 avec les symptômes de ce qui s’est avéré être une nouvelle maladie. Connue sous le nom de Wuhan-Hu-1, elle est un peu comme le spécimen type d’une espèce, la référence à laquelle toutes les autres sont comparées.
La plupart des informations que nous avons sur ce coronavirus proviennent de l’analyse génétique. Le premier séquençage génétique a montré que la nouvelle maladie était causée par un nouveau coronavirus étroitement lié à une espèce de chauves-souris. C’était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Les coronavirus sont des virus à ARN, qui ont généralement les taux de mutation les plus élevés de toutes les entités biologiques connues. Les virus à ARN mutent souvent et échappent ainsi aux médicaments et aux défenses immunitaires. Mais la plupart des coronavirus sont une exception, car leur enzyme copiant l’ARN a une fonction de correction. L’hypothèse était que le nouveau coronavirus suivrait cette règle et muterait rarement. Mais personne ne le savait.
Une mutation lente. Rassurant ?
Depuis, des dizaines de milliers de génomes du monde entier ont été séquencés et sont constamment insérés dans un arbre généalogique toujours plus vaste, dans le cadre du projet de suivi des agents pathogènes Nextstrain du Centre de recherche sur le cancer Fred Hutchinson, à Seattle.
Au départ, les séquences vues en Chine en décembre et début janvier se sont révélées identiques à la référence. De même que les premières séquences provenant de l’extérieur de la Chine — trois en Thaïlande et une au Népal —, qui ont été analysées début janvier.
Puis des mutations ont commencé à apparaître. La première a été collectée dans la province chinoise du Yunnan le 17 janvier 2020. Deux jours plus tard, une séquence identique est apparue aux États-Unis. Il ne s’agissait que de deux mutations éloignées du cas de référence, mais en virologie, cela suffit pour qu’elles soient considérées comme une nouvelle lignée. Les lignées, cependant, ne sont pas nécessairement différentes sur le plan biologique. Cela s’est avéré être le cas avec cette nouvelle lignée, qui n’a pas montré de différences en matière d’infectivité ou de virulence.
19B, la première variation officielle du SARS-CoV-2
La nouvelle lignée a commencé à circuler en Asie et a rapidement été assez commune pour être classée comme « clade », c’est-à-dire une lignée qui représente au moins 20% des cas dans sa branche de l’arbre généalogique. Au fur et à mesure de l’augmentation du nombre d’échantillons, il est devenu évident que ce nouveau clade était en fait apparu fin 2019. On lui a donc donné le nom de 19B, pour le distinguer du clade 19A original.
Pendant le reste de l’année 2019 et les premières semaines de 2020, ces deux clades (19A et 19B) se sont retrouvés seuls. Ils ont circulé en Asie et sont apparus sporadiquement en Amérique du Nord, en Europe et en Australie.
Fin janvier, une nouvelle lignée est apparue en Australie et en Europe. Elle était à quatre mutations du génome de référence, bien qu’une fois de plus, elle ne semblait pas biologiquement différente. Cette lignée a rapidement atteint le statut de clade, nommé 20A, et a dominé les épidémies européennes du début de l’année 2020. Elle a depuis divergé en deux autres clades : 20B, qui est apparu en Europe, et 20C, un clade à prédominance nord-américaine.
Dans les grandes lignes, voilà donc où nous en sommes… Ces cinq clades engendrent constamment de nouvelles lignées, mais aucune n’est encore assez commune pour devenir un clade. Toutes sont présentes dans le monde entier, bien que la 19A reste largement confinée en Asie. À un moment donné, un nouveau clade va émerger — le 20D si cela se produit cette année ou le 21A si cela se produit l’année prochaine.
Ce taux de divergence est plus faible que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre. Selon une analyse effectuée par une équipe du Walter Reed Army Institute of Research à Silver Spring, dans le Maryland, le virus a évolué à un degré « minimal » depuis décembre.
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« Le génome du coronavirus est exceptionnellement stable », déclare Samuel Díaz-Muñoz, virologue évolutionniste à l’université de Californie, à Davis. « Depuis le début de la pandémie, nous avons vu environ six mutations dans un génome de 30’000 bases. C’est une seule souche avec des variations mineures ».
Le risque de nouvelles souches émergentes est toujours présent
Cela est probablement dû à deux facteurs clés : un taux de mutation relativement lent et le fait que la plupart des mutations constituent une entrave au virus et sont donc éliminées. Il n’existe pas encore de preuve concluante que l’un des clades a progressé pour devenir ce que les virologistes appellent une « souche », c’est-à-dire une entité biologiquement différente, peut-être plus virulente.
Une mutation en particulier, la D614G, a attiré l’attention en mai après qu’une équipe internationale a averti qu’elle semblait se répandre rapidement, peut-être parce qu’elle était plus transmissible, mais peut-être moins mortelle. Cependant, cette affirmation n’a pas été prouvée. Selon l’équipe de Walter Reed, tous les virus actuellement en circulation sont suffisamment similaires pour qu’un vaccin efficace les immunise tous.
Mais à mesure que le virus se propage, des signes de l’apparition de différentes souches apparaissent. Trois cas de réinfection récemment signalés à Hong Kong, au Nevada et en Belgique, ont été causés par des mutants qui sont tous suffisamment différents pour échapper à la mémoire immunitaire des patients. Ces mutations pourraient constituer les premières nouvelles souches du SARS-CoV-2, et former des branches distinctes de son arbre généalogique. Mais seul l’avenir nous le dira.