Après la révélation, plus tôt cette année, du risque accru de cancers lié à la consommation d’édulcorant, des chercheurs américains viennent de démontrer un autre impact négatif sur notre santé. Ils ont établi un lien entre l’aspartame, un édulcorant artificiel présent dans près de 5000 aliments et boissons diététiques, et un comportement anxieux chez la souris, détectable sur les deux générations suivantes. Un coup dur pour l’industrie agroalimentaire.
L’aspartame est un édulcorant artificiel largement utilisé dans les aliments et les boissons hypocaloriques, mais aussi dans plus de 600 médicaments. Son pouvoir sucrant est environ 200 fois supérieur à celui du saccharose. Depuis son approbation en 1981 par la FDA (Food and Drug Administration), son utilisation n’a cessé d’augmenter parallèlement à la controverse concernant ses effets indésirables potentiels. En France, l’aspartame a été autorisé en 1988 et son emploi en tant qu’édulcorant alimentaire en 1994.
En mars dernier, afin d’évaluer le risque de cancer lié aux édulcorants, des chercheurs de l’Inserm, de INRAE, de l’Université Sorbonne Paris Nord et du Cnam ont analysé les données de santé et de consommation d’édulcorants de 102 865 adultes français participant à l’étude de cohorte NutriNet-Santé. Les résultats ont suggéré une association entre la consommation d’édulcorants et un risque accru de cancer.
Récemment, une équipe de chercheurs de l’Université de Floride a tenté de comprendre l’effet de cet édulcorant sur les générations suivantes. Cela fait suite à des recherches antérieures du même laboratoire sur les effets à long terme de la nicotine. Si les parents en consomment régulièrement, les impacts se retrouveront-ils également chez les générations suivantes ? Leurs découvertes sur l’aspartame sont publiées dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
Des effets anxiogènes induits par l’aspartame
Aujourd’hui, l’aspartame est présent dans près de 5000 produits alimentaires consommés par les hommes, les femmes — y compris les femmes enceintes — et les enfants, et sa production annuelle est de 3000 à 5000 tonnes métriques dans le monde.
Il faut savoir que lors de la consommation orale, l’aspartame est décomposé en acide aspartique (phénylalanine et méthanol), qui peut avoir des effets puissants sur le système nerveux central. C’est pourquoi les chercheurs ont voulu déterminer les impacts réels d’une consommation régulière chez la souris.
De manière concrète, ils ont fourni aux souris de l’eau potable contenant de l’aspartame à environ 15% de l’apport humain quotidien maximal recommandé par la FDA — l’équivalent de six à huit canettes de soda light par jour — pendant 12 semaines. L’étude s’est étalée sur quatre ans.
Un comportement anxieux prononcé a été observé chez les souris à travers une variété de tests de labyrinthe. L’aspartame a perturbé la signalisation des neurotransmetteurs et l’expression des gènes dans l’amygdale, une région du cerveau associée à la régulation des réponses d’anxiété et de peur.
Plus précisément, le séquençage de l’ARN a mis en évidence des changements significatifs dans l’expression des gènes associés à la signalisation des récepteurs glutamatergiques et GABA dans l’amygdale. L’édulcorant a déplacé l’équilibre excitation-inhibition dans l’amygdale vers l’excitation et induit le comportement anxieux.
Sara Jones, auteure principale et doctorante au sein de l’Université de Floride, déclare dans un communiqué : « C’était un trait semblable à l’anxiété si marquant qu’aucun d’entre nous ne s’y attendait. C’était complètement inattendu. Habituellement, il y a des changements subtils ».
Un effet durable à travers les générations
En plus de cet effet favorisant l’anxiété, les chercheurs ont démontré sa persistance sur deux générations de souris. Comme mentionné précédemment, l’étude est en partie due à des recherches antérieures sur les effets transgénérationnels de la nicotine sur les souris.
La recherche a montré des changements temporaires ou épigénétiques dans les spermatozoïdes de souris. Contrairement aux changements génétiques (mutations), les changements épigénétiques sont réversibles et ne modifient pas la séquence d’ADN ; cependant, ils peuvent changer la façon dont le corps lit une séquence d’ADN. Le co-auteur, Pradeep Bhide, explique : « Nous travaillions sur les effets de la nicotine sur le même type de modèle. Le père fume. Qu’est-il arrivé aux enfants ? ».
Enfin, l’administration du diazépam (un médicament utilisé pour traiter les troubles anxieux chez l’Homme) aux souris de toutes les générations a permis de stopper ce type de comportement.
Les chercheurs prévoient une publication supplémentaire de cette étude axée sur la façon dont l’aspartame affecte la mémoire. Les recherches futures identifieront les mécanismes moléculaires qui influencent la transmission de l’effet de l’aspartame à travers les générations.
L’extrapolation des résultats aux humains suggère que la consommation d’aspartame à des doses inférieures à l’apport quotidien maximal recommandé par la FDA peut produire des changements neurocomportementaux chez les personnes consommant de l’aspartame et leurs descendants.
Pradeep Bhide conclut : « Ce que cette étude montre, c’est que nous devons étudier les facteurs environnementaux, car ce que nous voyons aujourd’hui n’est pas seulement ce qui se passe aujourd’hui, mais ce qui s’est passé il y a deux générations et peut-être même plus ». Ainsi, la proportion de la population humaine exposée aux effets potentiels de l’aspartame sur la santé mentale peut être bien plus importante que les estimations actuelles, qui n’incluent que les personnes consommant directement de l’aspartame.