À l’origine de près de 10 millions de décès en 2020, soit presque un décès sur six selon l’OMS, le cancer est l’une des principales causes de mortalité dans le monde. C’est un fardeau pour la santé publique. Récemment, des chercheurs donnent l’alerte en révélant qu’au cours des dernières décennies, de plus en plus d’adultes de moins de 50 ans développent un cancer. Les chercheurs identifient les facteurs de risque et les tendances à l’origine d’une incidence croissante de cancers précoces dans le monde, donnant alors les grandes lignes pour les futures recherches et les plans de prévention.
Le cancer est une maladie multifactorielle qui touche le plus souvent les personnes de plus de 50 ans. Cependant, des preuves indiquent que l’incidence des cancers de divers organes (sein, colon, endomètre, œsophage, voies biliaires extrahépatiques, vésicule biliaire, tête et cou, reins, foie, moelle osseuse (myélome multiple), pancréas, prostate, estomac et thyroïde) a augmenté chez les adultes de moins de 50 ans dans de nombreuses régions du monde.
L’utilisation accrue des programmes de dépistage a contribué dans une certaine mesure à ce phénomène, bien qu’une véritable augmentation de l’incidence des formes précoces de plusieurs types de cancer semble également avoir émergé. En raison de ce fardeau croissant du cancer chez les jeunes adultes, appelé « l’épidémie de cancer précoce », le National Cancer Institute des États-Unis a classé ce phénomène comme une priorité de recherche.
D’ailleurs, c’est une étude menée par des chercheurs du Brigham and Women’s Hospital, membre fondateur de Mass General Brigham, qui a révélé cette incidence croissante des cancers à début précoce. Cette augmentation drastique commençant vers 1990. Dans un effort pour comprendre cette « épidémie de cancer précoce », les scientifiques ont mené des analyses approfondies des données disponibles dans la littérature et en ligne, y compris des informations sur les expositions précoces qui auraient pu contribuer à cette tendance. Les résultats sont publiés dans la revue Nature Reviews Clinical Oncology.
Une enquête révélant un problème de générations
Pour mener leur étude, Shuji Ogino et l’auteur principal Tomotaka Ugai, collègues au Département de pathologie du Brigham, ont d’abord analysé les données mondiales décrivant l’incidence de 14 types de cancers différents, qui ont montré une incidence accrue chez les adultes avant l’âge de 50 ans de 2000 à 2012.
Ensuite, l’équipe a recherché les études disponibles qui examinaient les tendances des facteurs de risque possibles, y compris les expositions précoces dans la population générale. Enfin, l’équipe a examiné la littérature décrivant les caractéristiques tumorales cliniques et biologiques des cancers précoces par rapport aux cancers tardifs diagnostiqués après 50 ans.
Shuji Ogino explique dans un communiqué : « À partir de nos données, nous avons observé ce qu’on appelle l’effet de cohorte de naissance. Cet effet montre que chaque groupe successif de personnes nées plus tard (par exemple, une décennie plus tard) a un risque plus élevé de développer un cancer plus tard dans la vie, probablement en raison de facteurs de risque auxquels ils ont été exposés à un jeune âge. Nous avons constaté que ce risque augmente avec chaque génération. Par exemple, les personnes nées en 1960 présentaient un risque de cancer plus élevé avant d’avoir 50 ans que les personnes nées en 1950 et nous prévoyons que ce niveau de risque continuera d’augmenter au fil des générations ».
En effet, depuis le milieu du 20e siècle, des changements multigénérationnels substantiels dans l’exposome se sont produits. Il faut savoir que l’exposome est un concept correspondant à la totalité des expositions à des facteurs environnementaux que subit un organisme humain de sa conception à sa fin de vie, en passant par le développement in utero, complétant l’effet du génome. Dans cette étude, les principaux changements multigénérationnels comprennent des changements dans le régime alimentaire, le mode de vie, l’obésité, l’environnement et le microbiome, qui pourraient tous interagir avec les susceptibilités génomiques et/ou génétiques.
Des facteurs de risque clés identifiés
Ainsi, les auteurs ont émis l’hypothèse que des facteurs tels que le régime alimentaire et le mode de vie occidentalisé pourraient contribuer à « l’épidémie de cancer précoce ». Comme mentionné précédemment, l’équipe a reconnu que cette incidence accrue de certains types de cancer est, en partie, due aux programmes de dépistage précoce du cancer. Bien qu’ils n’aient pas pu mesurer avec précision quelle proportion pouvait uniquement être attribuée au dépistage, ils ont noté que l’augmentation de l’incidence de la majorité des 14 types de cancer est peu probable uniquement en raison de cette détection précoce.
De fait, selon les auteurs, les facteurs de risque probables de cancer précoce comprennent la consommation d’alcool, le tabagisme, l’obésité, la consommation d’aliments hautement transformés et de boissons sucrées, le diabète de type 2, le mode de vie sédentaire. Tous ces facteurs ont considérablement augmenté depuis les années 1950, ce qui, selon les chercheurs, a accompagné l’altération du microbiome.
Tomotaka Ugai souligne et explique alors : « Parmi les 14 types de cancers en recrudescence que nous avons étudiés, huit étaient liés au système digestif. La nourriture que nous consommons nourrit les micro-organismes de notre intestin. Le régime alimentaire affecte directement la composition du microbiome et, éventuellement, ces changements peuvent influencer le risque de maladie et les résultats ».
Étonnamment, les chercheurs ont découvert que même si la durée du sommeil des adultes n’a pas radicalement changé au cours des décennies, les enfants dorment beaucoup moins aujourd’hui qu’il y a des décennies, identifiant alors la privation de sommeil comme un facteur de risque de développer un cancer précoce.
Néanmoins, l’une des limites de cette étude est le manque de données provenant des pays à revenu faible ou intermédiaire pour identifier les tendances de l’incidence du cancer au fil des décennies. À l’avenir, Ogino et Ugai espèrent poursuivre cette recherche en collectant davantage de données et en collaborant avec des instituts de recherche internationaux pour mieux surveiller les tendances mondiales. Ils ont également expliqué l’importance de mener des études de cohorte longitudinales avec le consentement des parents pour inclure les jeunes enfants qui peuvent être suivis pendant plusieurs décennies.
Tomotaka Ugai conclut : « Sans de telles études, il est difficile d’identifier ce qu’une personne atteinte de cancer a fait il y a des décennies ou durant son enfance. […] Je pense que cela nous donnera des informations plus précises sur le risque de cancer pour les générations à venir ».
Finalement, des enquêtes approfondies sur les facteurs de risque et les caractéristiques moléculaires des tumeurs dans plusieurs types de cancers précoces pourraient également faire la lumière sur des étiologies communes plausibles. De plus, une meilleure connaissance de la pathogenèse peut éclairer les stratégies de prévention primaire, de détection précoce et de traitement.