La crise de COVID-19 a redessiné de manière accélérée les contours du travail ordinaire. Le télétravail est devenu la norme pour certains, quand d’autres se détournaient de la technologie pour revenir à des essentiels. Néanmoins, cette crise a laissé entrevoir l’avenir de nos emplois à travers le prisme des nouvelles technologies et de l’automatisation. Aurons-nous les capacités nécessaires afin de prétendre à l’emploi de notre choix d’ici 2060-2080 ? Ou les robots occuperont-ils tous les postes clés ?
Selon l’OCDE, près de 14% des emplois seront susceptibles d’être automatisés, tandis que 32% supplémentaires risquent fort d’être partiellement automatisés. Les jeunes et les personnes peu qualifiées sont les plus à risque, mais les nouveaux développements technologiques affectent désormais également les emplois des personnes hautement qualifiées. À mesure que la technologie d’automatisation continue d’évoluer, elle s’insinue dans toutes les sphères du travail.
L’automatisation, en particulier l’intelligence artificielle, joue un rôle central dans le débat sur l’avenir du travail. On prétend qu’elle affecte la société plus profondément que les précédentes révolutions technologiques, telles que l’électricité et le moteur à combustion, car elle remplace les tâches cognitives plutôt que d’améliorer les capacités manuelles.
Pour exemple, le déclin des emplois à salaire moyen depuis les années 1980 aux États-Unis, et en Europe, est lié à l’émergence des technologies numériques qui ont réduit la demande de travail routinier. Outre cet impact négatif, les nouvelles technologies créent de nouveaux emplois hautement qualifiés.
Les futurs travailleurs vont devoir faire évoluer leurs compétences. Mais évoluer vers quel avenir ? Que seront ces futurs métiers ? Les robots pourront-ils remplacer les humains dans toutes les tâches ?
Tous les métiers ne disparaitront pas !
Par définition, le travail est composé de différentes tâches. Les progrès technologiques permettent d’automatiser de plus en plus de ces tâches au fil du temps. Cependant, les humains sont toujours meilleurs que les ordinateurs pour en effectuer un certain nombre, pérennisant de fait beaucoup de métiers, selon l’OCDE, qui a développé un algorithme permettant de savoir si un travail disparaitra dans les années à venir.
Dans un premier temps, les humains sont bien meilleurs que les robots dans des environnements de travail non structurés, par exemple une maison où il y a de nombreux objets différents et irréguliers et où l’espace peut être encombré. Les robots ont besoin de structure pour naviguer et mieux travailler dans des environnements tels que les supermarchés, les usines ou les entrepôts.
Dans un second temps, les robots ont du mal à effectuer certaines tâches de manipulation, comme travailler avec des objets irréguliers, planifier le meilleur plan d’action pour déplacer des objets ou identifier les erreurs lors de l’assemblage d’éléments. Leurs manipulateurs sont moins sensibles au feedback que les mains ou les bras humains, ce qui limite leur utilisation. Un travail nécessitant de réagir à de petites variations et d’être précis avec les mains et les doigts ne peut pas être facilement automatisé.
Dans un troisième temps, l’intelligence artificielle à ce jour manque d’intelligence créative, malgré des efforts dans ce domaine, à l’image de la production d’oeuvres d’art ou d’articles scientifiques par IA. L’intelligence créative signifie utiliser son imagination et proposer des idées, des approches et des produits nouveaux et significatifs. Ce processus ne peut donc pas encore être codifié de manière convaincante dans les algorithmes utilisés pour faire fonctionner des robots. Sans compter que le coût de mise en place pour remplacer un humain est bien trop grand actuellement.
Enfin, alors que les robots s’améliorent dans la production de certains aspects de l’interaction sociale humaine, ils ne parviennent pas à saisir ses subtilités. Pour une interaction sociale réussie, les humains analysent et « naviguent » entre les émotions de chacun en temps réel. Si le travail consiste à interagir avec les autres dans le but de négocier, de persuader, d’aider ou de prendre soin de quelqu’un, il sera extrêmement difficile de l’automatiser.
C’est pourquoi les compétences qui seront demandées à l’avenir seront souvent présentées en matière de perfectionnement de la main-d’œuvre. L’argument repose sur le postulat qu’à mesure que les emplois augmentent en automatisant les tâches structurées, il ne reste que des tâches difficiles à coder dans des algorithmes, telles que la créativité et l’intuition ; le jugement moral et critique et la capacité d’adaptation ; la perception, la manipulation (physique) et l’intelligence sociale.
Étonnamment, à long terme, les femmes pourraient en fait mieux s’en tirer avec le changement technologique. Un rapport récent de PriceWaterhouseCoopers a révélé qu’une plus grande proportion d’emplois masculins que féminins sont à risque d’automatisation, en particulier ceux des hommes ayant un faible niveau d’éducation. Car malgré une proportion réduite de filles se dirigeant vers des études technologiques et de l’informatique, qui sont susceptibles d’être les domaines dans lesquels les emplois se développeront, elles sont très présentes au niveau des métiers des soins aux personnes, dont les tâches sont difficilement automatisables.
Le développement de l’IA donne le rythme du changement
Dans un nouveau livre sur la façon dont la technologie affectera les travailleurs, les experts du MIT expliquent comment l’intelligence artificielle est loin de remplacer les humains bien qu’elle change la plupart des professions. Depuis 2018, un groupe de travail est chargé de comprendre les relations entre les technologies émergentes et le travail, en aidant à façonner des attentes réalistes de la technologie et l’exploration de stratégies pour un avenir partagé.
La première étape consiste à comprendre les technologies émergentes, notamment l’intelligence artificielle, qui est au cœur à la fois de l’inquiétude et de l’enthousiasme suscités par l’avenir du travail. L’automatisation du travail ne se fera pas de façon abrupte. En effet, lorsque les chercheurs examinent les modèles historiques, ils trouvent souvent de longues périodes de gestation avant les accélérations apparentes, souvent trois ou quatre décennies.
Erik Brynjolfsson, membre du groupe de travail, appelle ce phénomène une « courbe en J », suggérant que la voie de l’acceptation technologique est lente et progressive au début, puis s’accélère pour atteindre une large acceptation, du moins pour les technologies à usage général comme l’informatique. Une chronologie de ce type reflète une combinaison de perfectionnement et de maturation de nouvelles technologies, les coûts d’intégration et d’adoption managériale, puis des transformations fondamentales.
Comme le soulignent les auteurs : « Bien qu’approximative, quatre décennies est une période utile à garder à l’esprit lorsque nous évaluons la relation entre le changement technologique et l’avenir du travail ».
Sans compter que les systèmes d’IA spécialisés présentent des soucis de robustesse. Bien que s’appuyant sur des données largement générées par l’homme, ils excellent à produire des comportements qui imitent le comportement humain dans des tâches définies, ils intègrent des préjugés humains et présentent un manque de capacités à fonctionner de manière cohérente dans des circonstances changeantes (y compris le bruit introduit intentionnellement dans les données).
Les auteurs expliquent : « En raison de leur manque de robustesse, de nombreux réseaux de neurones profonds fonctionnent ‘la plupart du temps’, ce qui n’est pas acceptable dans les applications critiques ». Le problème de confiance est exacerbé par le problème d’explicabilité, car les systèmes d’IA spécialisés d’aujourd’hui ne sont pas en mesure de révéler aux humains comment ils prennent leurs décisions.
Du point de vue du travail, les systèmes d’IA spécialisés ont tendance à être axés sur les tâches ; c’est-à-dire qu’ils exécutent des ensembles limités de tâches, plus que l’ensemble complet des activités constituant une profession.
L’intelligence générale artificielle, l’idée d’un cerveau humain véritablement artificiel, reste un sujet d’intérêt de recherche profond, mais constitue un objectif qui selon les experts se situe dans un avenir lointain. Elle sera soumise à de strictes règles d’éthique et de morale quant à son utilisation, ceci afin d’éviter des dérives dangereuses voire « la fin de l’humanité » selon Elon Musk.
Finalement, selon un rapport McKinsey, il y a cinq grands facteurs affectant le rythme et l’étendue de l’adoption de l’automatisation et de l’IA : (1) la faisabilité technique — la technologie doit être inventée, intégrée et adaptée dans des solutions pour des cas spécifiques — ; (2) les coûts de développement et de déploiement de solutions (matériel et logiciels) ; (3) la dynamique du marché du travail — l’offre, la demande et les coûts du travail humain affectent les activités qui seront automatisées ; (4) les avantages économiques incluant un débit plus élevé et une qualité accrue, ainsi que des économies de coûts de main-d’œuvre ; (5) l’acceptation réglementaire et sociale — même lorsque l’automatisation a un sens commercial, l’adoption peut prendre du temps.
Un partenariat de sécurité entre l’IA et l’Homme
L’IA, l’automatisation et les systèmes d’ingénierie avancés, promettent des améliorations en matière de sécurité, une simplification des tâches de routine et des niveaux de productivité plus élevés dans toutes les organisations.
En effet, dans un article de Forbes, Antonio Visconti, PDG de SOBEREYE, explique qu’il utilise l’intelligence artificielle pour améliorer la sécurité au travail, en fournissant un autotest d’une minute qui vérifie le regard des employés pour détecter une déficience de toute cause, comme la fatigue, l’effet de médicaments ou de drogues, etc.
Il déclare : « Les erreurs humaines sont une cause contributive dans 90% des accidents. Un défi majeur pour les professionnels de la sécurité est de comprendre comment les réduire, mais trop souvent, ils abandonnent et acceptent d’être impuissants face à un problème qui contribue grandement aux blessures et aux décès au travail. Détecter les facultés affaiblies et empêcher une personne aux facultés affaiblies de travailler dans des conditions dangereuses est le moyen le plus efficace de réduire les accidents et de sauver des vies ».
L’utilisation de l’IA va de pair avec une augmentation de l’utilisation de l’automatisation. D’ailleurs, le rapport McKinsey mentionné précédemment révèle que seulement 5% des emplois sont entièrement automatisables (du moins à moyen terme) et que les humains joueront toujours un rôle essentiel sur le lieu de travail.
Car ce n’est pas le métier tout entier qui sera automatisable, mais seulement des tâches répétitives qui induisent de facto un nombre d’erreurs élevé par manque d’attention chez l’Homme, ce qui est limité avec un robot. Sans compter que toutes ces technologies devront être gérées, ouvrant la possibilité à de nouveaux emplois.
Un problème de valeurs au travail
Il ressort d’une étude récente que l’un des principaux défis à cette évolution des métiers, outre le fait que les emplois disparaissent tout simplement, est que la mutation des tâches et des compétences requises va déstabiliser l’équilibre souvent précaire que l’employé peut avoir avec son emploi.
Concrètement, un travail qui requiert des tâches identiques selon une routine établie est souvent occupé par des personnes ayant des valeurs de sécurité, de continuité et peu d’entrain au changement. L’automatisation de ces tâches va les pousser à développer d’autres compétences, à faire évoluer leur travail, sur une voie n’étant plus en adéquation avec leur valeur, comme l’autonomie et la prise de décision.
Ce désalignement entre le travailleur et son nouvel environnement de travail et ces nouvelles tâches peut engendrer une insatisfaction grandissante, donc un travail de moindre qualité, et une population présentant des signes de mal-être, et réfractaire au changement. Selon une enquête PWC de 2021, 60% des employés américains pensent que les développements technologiques amélioreront leurs perspectives d’emploi. À l’échelle mondiale, 61% pensent que l’automatisation met en péril l’emploi de nombreuses personnes.
C’est pourquoi les autorités politiques et économiques doivent devenir proactives dans la mutation professionnelle qui se dessine. Apporter tous les outils à la transition de chaque sphère vers le travail du futur est un point clé pour l’avenir de la société.
Finalement, peu importe la probabilité qu’un travail change, ce sera une transition progressive. Ce n’est pas parce qu’il peut être techniquement possible d’automatiser certains aspects d’un travail que ces changements vont se produire immédiatement et que les robots remplaceront l’humain dans cet emploi. La mutation qui s’amorce doit être anticipée par tous les acteurs du monde économique, politique et sociétal, afin que l’avenir soit partagé en toute intelligence, les tâches automatisées complétant les tâches humaines. Les emplois du futur se baseront sur les compétences de l’IA, tant que cette dernière reste dans les règles d’éthique et de morale.