Des bactéries génétiquement modifiées jouent au morpion avec des scientifiques

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Les bactéries ont été cultivées dans des compartiments pour former une grille de morpion. | Alfonso Jaramillo et al.
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Des bactéries qui jouent au morpion, cela semble plutôt improbable. Pourtant, des scientifiques ont rendu cela possible en modifiant des bactéries Escherichia Coli. Elles ont ainsi été « ajustées » pour se comporter à la façon de composants électroniques et agir comme un réseau neuronal, une forme d’intelligence artificielle capable d’apprendre.

« Nous proposons une stratégie évolutive pour concevoir des circuits génétiques capables d’apprendre de manière autonome la prise de décision dans des environnements complexes », résument les chercheurs en une phrase dans leur rapport de recherche prépublié sur bioRxiv. Pour le moment, la « prise de décision » en question consiste à faire le bon choix dans un jeu de morpion : quelle case ? Pas si étrange, puisque ce test est fréquemment utilisé pour tester des systèmes d’intelligence artificielle.

Tout a commencé en 2019, avec les travaux d’une autre équipe de recherche. Une souche d’une bactérie particulière, Escherichia Coli, a été génétiquement modifiée pour pouvoir percevoir 12 produits chimiques différents, et réagir en fonction en altérant l’activité de certains gènes. Cette souche a été surnommée « Marionnette ».

L’équipe de chercheurs a repris ce travail et appliqué d’autres modifications. Ils y ont intégré de nombreuses copies de deux morceaux d’ADN circulaires, appelés « plasmides ». Chacun de ces plasmides « code » une protéine fluorescente différente. L’une rouge, l’autre verte. Le ratio de ces deux plasmides présents dans les bactéries, et par conséquent leur couleur finale, n’est pas déterminé à l’avance : il est lui aussi influencé par les 12 produits chimiques différents, mais également par certains antibiotiques. Si aucune modification de cette sorte n’est appliquée, le ratio reste constant. En quelque sorte, la composition de l’ADN forme donc une sorte de « mémoire », figée jusqu’à la prochaine modification.

Lorsque, au contraire, une nouvelle « donnée » est entrée, via les produits chimiques ou les antibiotiques, le ratio (et donc la couleur) évolue, mais en tenant compte de la configuration précédente. Cela signifie qu’une certaine mémoire est conservée, et donc qu’une forme d’apprentissage est possible. Ce comportement est similaire à celui d’un composant électronique appelé « memristor ». Ce nouveau « composant » biologique a donc été nommé « memregulons » par les scientifiques.

Des memristors biologiques

Un memristor, en effet, est un composant similaire à un transistor, qui peut non seulement traiter, mais aussi stocker des données dans sa mémoire interne. C’est un composant qui est notamment utilisé pour créer ce qu’on appelle des « réseaux neuronaux ». En effet, dans bien des cas aujourd’hui, ce qu’on nomme « l’intelligence artificielle » consiste en un système qui est « nourri » d’une grande quantité de données pour « apprendre » et extraire des connexions logiques en vue d’un objectif donné. Reconnaître des visages, des textes… OU jouer au morpion… Ces méthodes d’apprentissage sont inspirées du fonctionnement des neurones biologiques. Aujourd’hui, elles se sont rapprochées des méthodes statistiques. On parle donc de « réseau neuronal artificiel ». Les données envoyées circulent dans une « grille » artificielle de neurones, généralement virtuels. Ce sont en réalité des points dans le réseau, « liés » entre eux par du code informatique. Ce réseau reçoit donc une information entrante, les données d’apprentissage, et émet une information sortante.

À partir du moment où les bactéries sont capables de prendre une donnée entrante (le produit chimique ou antibiotique), de transmettre un « résultat » (modification de l’ADN et donc de la couleur), tout en conservant en mémoire les données précédentes, on peut comprendre la comparaison qui est faite. De la même façon, les scientifiques ont donc entrepris de créer un « réseau neuronal » avec ces bactéries.

Cela a donné un système capable de s’adapter en apprenant de son comportement antérieur, de se reprogrammer lui-même — comme une IA qui apprend, en somme. Dans l’exemple du morpion, voici comment les scientifiques ont procédé : un peu comme pour « dresser » les bactéries, ils ont appliqué un apprentissage par « renforcement », c’est-à-dire avec un système de récompense et de punition selon si l’action était suffisamment stratégique ou non.

Ces bactéries ont été cultivées dans des compartiments correspondants à une grille de morpion. À chaque fois que l’humain joue, la bactérie en est « informée » par l’ajout d’un produit chimique dans le compartiment, chaque produit correspondant à un emplacement. Si, au début, la bactérie « jouait » son mouvement suivant de façon aléatoire, elle a fini par apprendre grâce à la méthode de renforcement, en étant « punie », par l’ajout d’antibiotiques lorsque l’action de jeu était mauvaise. Pas si simple, cependant : une partie a pris plusieurs jours pour se jouer.

La démonstration porte sur un morpion, ce qui est plutôt anodin. Selon les scientifiques, les possibilités de leurs recherches sont pourtant très étendues. « Des circuits de gènes modifiés pourraient doter les cellules vivantes de capacités de prise de décision », affirment-ils ainsi. Elles pourraient devenir capables de se « reprogrammer » dans des contextes de décisions bien plus complexes.

Source bioRxiv

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