Adopter un animal de compagnie est une tendance qui ne faiblit pas. Qu’il s’agisse de chiens, de chats ou d’espèces plus insolites, ces compagnons jouent un rôle important dans la lutte contre la solitude, l’anxiété et le stress. Aujourd’hui, un foyer sur deux en France en héberge au moins un, et le pays compte au total plus de 70 millions d’animaux, qu’ils aient des poils, des plumes ou des écailles. À cette diversité d’animaux de compagnie pourrait bientôt s’ajouter une espèce modifiée inédite : le lapin fluorescent, fruit des expérimentations de la start-up californienne Los Angeles Project.
Les Français possèdent aujourd’hui près de 74 millions d’animaux de compagnie, avec une prédilection marquée pour les poissons (étonnamment). En juin 2024, ces derniers dominaient largement le marché avec 29,1 millions d’individus. Suivent les chats (14,9 millions), les chiens (7,6 millions) et les volailles d’agrément (11,2 millions).
Plus loin dans le classement figurent les oiseaux (5,8 millions), les petits mammifères (2,87 millions) et les animaux de terrarium (2,1 millions). C’est dans ce contexte que Josie Zayner, figure emblématique du biohacking, ambitionne d’introduire une nouvelle génération d’animaux de compagnie génétiquement modifiés. En tête de liste : des lapins fluorescents.
Docteure en biophysique à l’Université de Chicago, Zayner est une personnalité controversée du biohacking depuis plus d’une décennie. En 2016, elle a fondé The ODIN, une entreprise texane visant à démocratiser l’édition génétique en commercialisant des kits permettant d’altérer l’ADN à domicile. Expérimentatrice audacieuse, elle a manipulé la technologie CRISPR bien avant qu’elle ne devienne un outil de laboratoire répandu et s’est même administré son propre vaccin contre la COVID-19.
Plus récemment, elle s’est associée à Cathy Tie, entrepreneuse en biotechnologie et ancienne boursière du Thiel Fellowship, pour lancer The Los Angeles Project. Cette initiative californienne entend créer des animaux de compagnie génétiquement modifiés, que Zayner qualifie de « plus complexes, plus intéressants, plus beaux et plus uniques ». « Je pense qu’en tant qu’espèce humaine, nous avons une certaine prérogative morale à élever les animaux à un niveau supérieur », confiait-elle au magazine Wired.
Lancé en janvier 2024, le projet emploie aujourd’hui une équipe d’environ cinq personnes. Leurs premiers travaux ont porté sur des modifications génétiques discrètes sur des poissons, des grenouilles et des axolotls. Le choix de ces espèces s’explique par la nature de leur reproduction : leurs œufs transparents permettent d’observer facilement les effets des manipulations.
Les chercheurs ont recours à CRISPR pour modifier avec précision le génome, supprimant ou insérant des gènes spécifiques. Une autre méthode, plus ancienne et principalement utilisée chez certains amphibiens, dite d’intégration médiée par des enzymes de restriction (REMI), a également été explorée pour insérer de nouveaux fragments d’ADN dans les embryons. Ces techniques transforment ainsi la constitution biologique des animaux à naître. Bien que précises, elles ne sont cependant pas infaillibles et peuvent entraîner des mutations imprévues.
Plus tôt cette année, Los Angeles Project a amorcé ses premières expériences sur des lapins, en appliquant les mêmes principes. L’équipe a inséré un gène codant une protéine fluorescente verte (GFP) dans des embryons, qui seront implantés chez des lapines dans les jours à venir. Si tout se déroule comme prévu, les premiers lapins fluorescents devraient voir le jour d’ici un mois.
Une initiative qui suscite des préoccupations
Ce projet d’animaux de compagnie génétiquement modifiés, à visée commerciale et esthétique selon Andy Weissman, investisseur chez Union Square Ventures, suscite autant d’intérêt que de préoccupations. Il ravive des débats bioéthiques qui avaient émergé dès les débuts de CRISPR : la technologie présente des risques de mutations imprévues, pouvant induire des pathologies graves, telles que des cancers ou d’autres troubles de santé. Par ailleurs, les scientifiques ignorent encore le seuil de tolérance des organismes aux modifications génétiques avant que leur bien-être ne soit compromis.
Cathy Tie se veut néanmoins rassurante : « Nous ne voulons pas faire de mal aux animaux », affirme-t-elle. Une promesse qui interroge, alors que les conséquences de ces modifications sur le bien-être des animaux restent largement inconnues. L’équipe affirme néanmoins qu’aucun animal n’a été blessé ou sacrifié durant les expérimentations.
Les embryons sont conçus à partir d’ovules et de sperme collectés auprès de vétérinaires et d’animaux destinés à l’abattoir, par le biais de prélèvements post-mortem. Selon Zayner, de nouveaux traitements hormonaux et à base d’anticorps permettent d’obtenir un nombre élevé d’embryons viables. L’entreprise a également noué des partenariats avec des éleveurs afin de prélever des embryons sur des animaux destinés à l’abattoir, bien que le chiffre avancé de 10 000 embryons par semaine soulève des interrogations quant à sa faisabilité pour une start-up de cette taille.
Afin d’éviter toute propagation incontrôlée des modifications génétiques, les lapins conçus seront systématiquement stérilisés. Une précaution nécessaire, mais qui ne garantit pas totalement l’absence de fuites biologiques, comme l’ont montré d’autres expériences en biotechnologie.
Et après les lagomorphes fluorescents, l’ambition du projet ne faiblit pas : l’équipe souhaite développer des chats dépourvus de la protéine Fel d1 – responsable des allergies, et même de produire des créatures inspirées des légendes… Une approche qui interroge : la biotechnologie doit-elle être mise au service du divertissement et du marketing, au risque de dérives éthiques ? « Personnellement, je suis très intéressée par la licorne », conclut Tie.