Un bioadhésif à base de venin de serpent coagule le sang en quelques secondes

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| Pixabay
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Le venin de l’espèce Fer de lance commun (Bothrops atrox) — l’un des serpents les plus venimeux d’Amérique du Sud — contient une enzyme de coagulation du sang, la batroxobine (aussi connue sous le nom de reptilase). Des chercheurs canadiens de la Western University ont mis au point un nouvel adhésif pour tissus corporels reposant sur cette enzyme : cette « super colle », associée à une source de lumière visible, permet de souder les tissus lésés en moins d’une minute !

Si le venin des animaux est souvent dangereux pour l’Homme, certains sont au contraire d’un grand intérêt thérapeutique. Une étude a par exemple montré que le venin d’abeille avait des vertus anticancéreuses, tandis qu’une autre met en avant le venin d’ornithorynque comme traitement potentiel du diabète. Ici, il s’agit d’exploiter le venin du Fer de lance commun pour stopper les hémorragies le plus rapidement possible.

Kibret Mequanint, bio-ingénieur à la Western University, et ses collaborateurs ont ainsi mis au point une super-colle capable de refermer les plaies — même profondes — de la peau et des tissus, telles que des ruptures de l’aorte ou des saignements du foie. « Nous prévoyons que cette « super-colle » sera utilisée pour sauver des vies sur le champ de bataille, ou pour d’autres traumatismes accidentels comme les accidents de voiture », a déclaré Mequanint.

Une colle dix fois plus résistante

L’intérêt des adhésifs tissulaires par rapport aux sutures traditionnelles est qu’ils réduisent le temps opératoire et limitent les complications chirurgicales. Tandis que les adhésifs synthétiques, tels que les cyanoacrylates, peuvent être optimisés pour obtenir les propriétés souhaitées, leur biocompatibilité et leur toxicité suscitent des inquiétudes (leur dégradation peut en effet libérer des composants histotoxiques).

Les bioadhésifs naturels, comme la colle de fibrine, affichent quant à eux une excellente biocompatibilité, mais ils ont souvent une intégrité mécanique et une adhérence faibles : lorsqu’il y a trop de sang, leur force d’adhérence est parfois compromise. C’est pourquoi Mequanint et son équipe ont eu l’idée d’exploiter les propriétés de coagulation sanguine du venin de serpent pour mettre au point un nouveau type d’adhésif hémostatique induit par la lumière visible (noté HAD).

L’enzyme procoagulante contenue dans le venin de serpent, appelée reptilase, a la capacité de transformer rapidement le fibrinogène — une protéine du plasma sanguin qui intervient dans la coagulation — en fibrine, une protéine filamenteuse qui participe à la réparation des vaisseaux sanguins et des tissus cutanés. Dans la nature, le venin du serpent provoque une coagulation excessive du sang de sa proie, jusqu’à ce que l’organisme de celle-ci épuise sa capacité à coaguler, puis finisse par saigner excessivement à la place (un phénomène appelé coagulopathie de consommation).

Le bioadhésif conçu à partir de cette enzyme prend la forme d’une gélatine modifiée, qui peut être conditionnée dans un petit tube pour faciliter le transport et l’application. « Pendant les traumatismes, les blessures et les saignements d’urgence, cette « super colle » peut être appliquée en pressant simplement le tube et en projetant une lumière visible, comme un pointeur laser, dessus pendant quelques secondes. Même une lampe de poche pour smartphone fera l’affaire », détaille Mequanint. Selon ces concepteurs, le produit pourrait même être utilisé pour refermer les tissus après une opération, et sans suture additionnelle.

Une coagulation ultra rapide, même pour des plaies artérielles

Le produit a été testé avec succès sur des rats, plus précisément sur des plaies au niveau de la peau, de la queue et du foie, ainsi qu’au niveau de l’aorte abdominale. Dans chaque cas, la propriété de gélification rapide a permis de sceller rapidement et efficacement les tissus blessés. Un test d’adhérence bout à bout a par ailleurs été réalisé sur de la peau de porc : la force d’adhérence s’élevait à environ 35 kPa (contre près de 3 kPa pour la colle de fibrine).

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Fermeture d’une plaie cutanée sur le rat, avec différents traitements. (A) Illustration schématique de l’incision cutanée. (B) Photographies de l’incision aux jours 0, 3, 5 et 20. (C) Coloration de la plaie aux jours 5 et 20 ; le profil de la plaie est représenté par les lignes jaunes en pointillés. © Y. Guo et al.

Comparé à la colle de fibrine — largement utilisée aujourd’hui par les chirurgiens pour réduire les saignements locaux pendant une intervention —, ce nouveau produit possède une force adhésive dix fois supérieure, qui résiste au détachement ou au lessivage dû au saignement. Le temps de coagulation du sang s’avère également beaucoup plus court, passant de 90 secondes pour la colle de fibrine à 45 secondes seulement pour cette colle à base de venin. Un temps record qui réduit considérablement les pertes de sang en cas de blessure grave.

Par ailleurs, si d’autres produits scellants tissulaires réticulables à la lumière ultraviolette ont été conçus pour la réparation des plaies, la réticulation UV in situ peut causer des dommages oxydatifs à l’ADN des tissus. La lumière visible utilisée ici permet de réduire les dommages tissulaires et d’améliorer la viabilité cellulaire ; en outre, elle peut pénétrer plus profondément dans les tissus avec une énergie plus faible.

Dans l’ensemble, les résultats de l’étude suggèrent fortement que l’HAD peut être un adhésif/scellant tissulaire hémostatique efficace, en particulier dans les tissus hémorragiques non compressibles, tels que les hémorragies traumatiques diffuses lourdes et les saignements artériels qui entraînent une mortalité considérable. Le traitement doit à présent passer des essais cliniques avant d’envisager son utilisation sur l’Homme.

Sources : Western University & Science Advances, Y. Guo et al.

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