Le syndrome du côlon irritable (SCI), appelé aussi colopathie fonctionnelle, est un trouble sans gravité mais qui occasionne une gêne importante pour ceux qui en souffrent : inconfort, douleurs abdominales et troubles du transit font suite à chacun de leur repas. Des chercheurs de la KU Leuven affirment avoir identifié le mécanisme biologique responsable de ce trouble ; cette découverte pourrait mener au développement d’un traitement plus efficace pour soulager les patients.
On estime que 20% de la population mondiale (et 5% de la population française) souffre du syndrome du côlon irritable, une pathologie qui nuit véritablement à la qualité de vie et représente des coûts médicaux élevés. Les symptômes sont surtout ressentis suite à l’ingestion de certains aliments ; écarter les aliments responsables (quand on parvient à les identifier) permet donc de limiter les douleurs. Les régimes sans gluten, notamment, peuvent apporter un certain soulagement. Mais les raisons pour lesquelles ces régimes spécifiques offrent de bons résultats ne sont pas claires.
Les patients ne présentent en effet aucune allergie alimentaire avérée et ne souffrent pas de maladie cœliaque (intolérance au gluten). C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la pathologie n’est pas toujours reconnue par le corps médical, comme l’explique le professeur Guy Boeckxstaens, gastro-entérologue à la KU Leuven et auteur principal de la nouvelle recherche : « Très souvent, ces patients ne sont pas pris au sérieux par les médecins, et l’absence de réponse allergique est utilisée comme un argument selon lequel tout est dans l’esprit et qu’ils n’ont pas de problème avec leur physiologie intestinale ».
Un syndrome parfois provoqué par une infection
L’étude de Boeckxstaens et ses collaborateurs apporte aujourd’hui des preuves supplémentaires que le SCI est une véritable maladie. Leur découverte pourrait ainsi mettre fin à l’errance diagnostique à laquelle sont confrontés de nombreux patients atteints de cette pathologie. À travers plusieurs études cliniques et de laboratoires, ils ont notamment réussi à mettre en évidence que certains aliments activaient certaines cellules du système immunitaire — des mastocytes, qui font partie des globules blancs — libérant de l’histamine, qui provoque douleur et inconfort. Or, lors de recherches antérieures, l’équipe a montré que le blocage de la libération d’histamine permettait d’améliorer la qualité de vie des personnes atteintes du SCI.
Chez une personne non malade, le système immunitaire ne réagit pas à l’ingestion d’aliments ; les chercheurs ont donc commencé par identifier ce qui pouvait provoquer cette soudaine intolérance. La plupart des patients ont rapporté que leurs symptômes ont commencé après une infection gastro-intestinale, telle qu’une intoxication alimentaire. Les scientifiques ont donc émis l’hypothèse qu’une infection survenant alors qu’un aliment particulier est présent dans l’intestin pourrait en quelque sorte sensibiliser le système immunitaire à cet aliment.
Pour le vérifier, ils ont réalisé l’expérience suivante : ils ont infecté des souris avec une punaise gastrique, alors qu’ils les nourrissaient d’ovalbumine (la principale protéine du blanc d’œuf, utilisée couramment comme antigène alimentaire). Une fois les souris rétablies de l’infection, elles ont à nouveau été nourries d’ovalbumine afin d’observer comment se comportait leur système immunitaire. Il se trouve que cet aliment a immédiatement provoqué l’activation des mastocytes, la libération d’histamine et une intolérance digestive s’accompagnant de douleurs abdominales. Cette réaction n’a en revanche pas été observée chez les souris témoins, qui n’avaient pas été infectées au préalable.
L’histamine, présumée coupable
L’équipe de chercheurs a donc levé le voile sur la série d’événements à l’origine du SCI. À noter que la réponse immunitaire observée ne s’est produite que dans la partie de l’intestin infectée par les bactéries ; elle n’a pas engendré d’autres symptômes plus globaux typiques d’une allergie alimentaire par exemple. De ce fait, le professeur Boeckxstaens pense qu’il existe en réalité un large spectre de maladies immunitaires d’origine alimentaire, allant d’une réponse immunitaire très localisée — comme dans le cas du SCI — à une réaction généralisée, plus sévère, caractéristique de l’allergie ; cette dernière, entraînant parfois des difficultés respiratoires (asthme, œdème de Quincke) et/ou un choc anaphylactique.
Après leur expérimentation sur les souris, les chercheurs ont vérifié si les personnes atteintes du SCI réagissaient de la même manière. Pour ce faire, ils ont injecté des antigènes alimentaires généralement associés au SCI (gluten, blé, soja, lait de vache) dans la paroi intestinale de douze patients souffrant de ce trouble. Tous ont présenté des réactions immunitaires localisées similaires à celles observées chez les souris (un œdème local et une activation des mastocytes). A contrario, chez les volontaires sains, aucune réaction n’a été constatée.
Certes, le nombre de personnes impliquées dans l’étude est relativement restreint et d’autres analyses seront nécessaires pour confirmer le mécanisme identifié. Toutefois, elle corrobore parfaitement l’essai clinique réalisé précédemment par l’équipe, qui consistait à traiter les patients atteints du SCI avec des antihistaminiques : leur état s’était alors beaucoup amélioré. « C’est une preuve supplémentaire que le mécanisme que nous avons démêlé a une pertinence clinique », souligne le professeur Boeckxstaens. La libération d’histamine est bel et bien au cœur de l’apparition du syndrome.
Un essai clinique du traitement à base d’antihistaminiques impliquant davantage de patients est en cours. L’objectif est à présent de trouver le mécanisme exact qui est à l’origine de l’activation des mastocytes, afin de mettre au point de nouvelles thérapies pour les patients. En effet, les mastocytes sont des cellules du système immunitaire qui libèrent bien plus de médiateurs chimiques que l’histamine ; ils contiennent également de la sérotonine, de l’héparine ou de la tryptase par exemple. Par conséquent, les chercheurs pensent que bloquer complètement l’activation de ces cellules sera encore plus efficace que de bloquer l’histamine seule.