Cigarette électronique et e-liquides : la grande mise au point

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Le débat, parfois passionné, souvent houleux, autour du rapport bénéfices-risques de la cigarette électronique, semble parti pour durer. Depuis son invention voilà une vingtaine d’années, le vapotage est loin de susciter l’unanimité des autorités de santé. Il faut dire que les arguments des partisans et des détracteurs des e-liquides chauffés restent légitimes. Décryptage…

Une vingtaine d’années après son invention, la cigarette électronique n’a pas réussi à obtenir l’aval du ministère de la Santé en tant qu’outil d’aide au sevrage tabagique. Pourtant, les gouvernements qui se sont succédés, depuis le début des années 1980, n’ont pas lésiné sur les moyens pour débarrasser la France de son surnom peu flatteur de « Cheminée de l’Europe ». En cause : un manque de données flagrantes sur l’impact du vapotage sur le long terme, mais aussi une crainte de voir la cigarette électronique servir de passerelle vers le tabagisme des plus jeunes. Il faut dire que les parfums et autres arômes proposés par les fabricants peuvent séduire une cible qui n’était pas forcément prédisposée à subir l’addiction à la nicotine.

Cigarette électronique et sevrage tabagique : le contexte français

Cela étant dit, des voix s’élèvent pour prôner une politique de « moindre mal », et là aussi, les arguments sont légitimes. Selon une étude publiée par Santé publique France le 26 juin 2019 (voir l’article du Figaro à ce sujet), l’e-cigarette a aidé quelque 700 000 Français à décrocher du tabac entre 2012 et 2019. Une performance qui dépasse, de loin, celle des substituts nicotiniques classiques comme les patchs et les gommes. L’Académie nationale de médecine, qui se prévaut d’une approche empirique, n’hésite pas aujourd’hui à encourager le vapotage dans le cadre du sevrage tabagique. La Haute Autorité de Santé (HAS), plus prudente, « ne recommande pas la cigarette électronique », mais estime que son utilisation chez les fumeurs qui souhaitent arrêter « ne doit pas être découragée ».

Éviter l’usage récréatif : le défi des autorités sanitaires

Les acteurs de la santé qui ne sont pas foncièrement « anti-vapotage » s’accordent sur une position : la cigarette électronique ne peut être envisagée que dans le cadre du sevrage tabagique. L’utilisation d’un dispositif de vapotage chez le fumeur doit impérativement induire, si ce n’est un arrêt total, une baisse significative de la consommation de tabac. Cumuler cigarette électronique et tabac sans opérer une baisse drastique induirait une exacerbation, puis une aggravation de l’addiction.

Partant de ce constat, la cigarette électronique ne doit en aucun cas être envisagée comme un objet récréatif pour les non-fumeurs. Pour prolonger le propos, les acteurs de la santé qui ne nient pas l’intérêt de l’e-cigarette dans la lutte contre le tabagisme sont de facto contre les e-liquides aromatisés, qui augmentent le risque d’une utilisation récréative. En effet, seul l’arôme tabac serait « légitime », à la fois pour favoriser un sevrage progressif, mais aussi pour limiter le risque d’une utilisation récréative motivée par l’essai des arômes et des parfums proposés sur le marché.

Un discours « moins virulent » de la part du ministère de la Santé

Quoi qu’il en soit, et en dépit d’une tendance à la dédiabolisation de la cigarette électronique en tant qu’outil de sevrage tabagique, le ministère de la Santé n’intègre pas la cigarette électronique dans son arsenal de lutte contre le tabagisme, qui reste porté par les campagnes de sensibilisation, le remboursement des substituts nicotiniques « homologués », l’augmentation progressive du prix du paquet de cigarettes et l’interdiction de fumer dans les espaces publics.

Néanmoins, on peut observer ici aussi chez le ministère un discours de moins en moins virulent. « Entre 1,1 et 1,9 million de personnes utiliseraient quotidiennement la cigarette électronique en France : il s’agit dans 67 % des cas de fumeurs de tabac, qui s’en servent majoritairement pour arrêter ou réduire leur consommation quotidienne, et donc potentiellement les risques sanitaires associés au tabagisme », peut-on lire sur la page « La cigarette électronique » du ministère de la Santé.

L’e-liquide : l’objet de toutes les discordes

Dans la cigarette classique, l’essentiel de la nocivité résulte de la combustion du tabac. C’est en effet ce phénomène qui est responsable de l’inhalation par le fumeur de substances toxiques et potentiellement cancérigènes comme le monoxyde de carbone (CO), des composés organiques volatils (cétones, aldéhydes, ammoniac, hydrocarbures), le goudron (benzopyrènes et anthracènes principalement), et d’autres particules problématiques comme les dérivés de nitrates, les métaux lourds (cadmium notamment), des radicaux libres et même des produits radioactifs (sous forme de traces).

L’e-liquide est à la cigarette électronique ce que le tabac est à la cigarette classique. C’est donc tout naturellement que les principales craintes sur la nocivité du dispositif de vapotage soient dirigées vers ce liquide. L’enjeu majeur ici est d’évaluer le plus précisément possible le ratio bénéfices-risques du e-liquide chauffé dans le dispositif de vapotage. Pour que l’analyse ne soit pas biaisée, il faut garder en tête qu’il s’agit d’un travail comparatif, où les bénéfices et les risques du e-liquide chauffé sont systématiquement mis en perspective avec les effets du tabac brûlé. Pour bien comprendre les positions des uns et des autres sur la question, il faut explorer les propriétés du e-liquide chauffé, ses « avantages » sur le tabac, mais aussi les risques qui lui sont propres.

E-liquide : une composition chimique moins inquiétante que le tabac

C’est en tout cas ce qui ressort du dossier de presse réalisé par l’Agence nationale de la sécurité des aliments, du travail et de l’environnement (ANSES). On y apprend par exemple que 75 % des e-liquides commercialisés dans l’Hexagone sont de fabrication française ou européenne. L’agence, qui propose une liste de référence inédite recensant la composition chimique de TOUS les e-liquides commercialisés en France, livre les conclusions suivantes :

  • La majorité des e-liquides à vapoter commercialisés en France contiennent un support de dilution (propylène glycol et/ou glycérine végétale), de la nicotine avec concentration moyenne de 6 mg/ml et des substances aromatisantes (15 au maximum).
  • Certains e-liquides commercialisés en France contiennent des sucres et édulcorants, des extraits de plante et des acides.

L’Anses se contente d’analyser la composition des e-liquides à froid. Pour aller plus loin, nous avons consulté les données de l’étude réalisée par le Centre de recherche et d’innovation pour la vape (CRIVAPE). Les e-liquides chauffés contiennent, en moyenne, quelques microgrammes de substances cancérigènes pour 200 bouffées, une valeur largement en dessous des normes expérimentales françaises de l’Association Française de Normalisation (AFNOR). En comparaison, une étude de l’Office Français de la prévention du Tabagisme estime à 3 mg par paquet de cigarettes la concentration du formol (seul). Rappelons que la fumée du tabac est composée de plusieurs milliers de substances chimiques, dont plus d’une cinquantaine sont classées « cancérogènes ». En réalité, la composition chimique exhaustive de la fumée du tabac n’est pas encore connue avec exactitude.

Aussi, l’avis rendu par l’Institut National de Recherche et de Sécurité sur le propylène glycol, omniprésent dans la composition des e-liquides, abonde dans le même sens. L’Institut, qui rappelle que cette substance est également présente dans certains aliments, médicaments et produits cosmétiques, la juge « non toxique ». En conséquence, l’approche du « moindre mal » prônée par « Les Sages » de l’Académie nationale de médecine semble légitime. Concrètement, et si l’on se base sur une simple substitution du tabac par l’e-cigarette, même en l’absence d’une volonté d’arrêt de l’inhalation de la nicotine, le vapoteur est de facto épargné par le goudron, le monoxyde de carbone et autres substances cancérigènes présentes dans la fumée du tabac. En revanche, et comme vous allez pouvoir le constater, le terrain peut connaître d’autres réalités…

E-liquide : un risque latent de mésusage et de péremption

Pour bien mesurer ce risque, nous vous proposons l’étude d’un cas concret. En septembre 2019, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) américains ont alerté sur l’apparition d’une épidémie à l’échelle nationale, avec un foyer dans l’État de New York, d’une maladie pulmonaire grave, avec des patients qui se présentent généralement quelques jours à quelques semaines suivant l’apparition de symptômes respiratoires. Tous les cas de cette maladie qualifiée de « mystérieuse » dans les médias impliquaient des patients ayant des antécédents d’utilisation de la cigarette électronique ou d’autres produits de vapotage. Au 4 février 2020, 2 758 cas de cette pathologie rétrospectivement appelée « Evali » ont été recensés aux États-Unis, avec 64 décès confirmés.

Des enquêtes poussées des autorités sanitaires fédérales ont permis de définir avec précision la cause de cette pneumopathie grave. L’écrasante majorité des patients admis en hospitalisation avaient vapoté des e-liquides frelatés et/ou contenant du tétrahydrocannabinol (THC), principale molécule active du cannabis. Notons que cette substance « bénéficie » d’une faille dans le code de santé publique français, la rendant théoriquement légale depuis 2007. Le rapport final des CDC américains explique que « les dernières découvertes nationales et étatiques suggèrent que les produits contenant du THC, en particulier provenant de sources informelles comme les amis, la famille ou les revendeurs, sont liés à la plupart des cas et jouent un rôle majeur dans l’épidémie ».

L’acétate de vitamine E, contenu dans les e-liquides vapotés par les patients, semble aussi jouer un rôle. Une conclusion que partage l’Académie nationale française de médecine dans sa communication du 12 décembre 2019 : « l’épidémie américaine d’atteintes pulmonaires est due à un détournement de l’usage [de la cigarette électronique], car après avoir mis en cause le vapotage en tant que tel, le Center for Disease Control and Prevention et la Food and Drug Administration reconnaissent que ce détournement est la cause principale de cette épidémie ». Et de poursuivre : « il ne faut pas accuser le contenant d’être nocif alors que c’est le contenu qui est en réalité nocif et responsable de l’alerte américaine ».

Si cette épidémie grave n’est pas consubstantielle au vapotage en tant que tel, elle souligne l’importance capitale de garantir aux consommateurs une traçabilité sans faille des e-liquides commercialisés. En somme, il s’agira de les outiller pour répondre à la question fatidique : de quoi sont composés les liquides pour cigarette électronique? C’est sans doute ce qui a poussé l’ANSES à mettre en place une base de données exhaustive et ouverte à tous, recensant la composition chimique de l’ensemble des e-liquides dont la commercialisation est autorisée en France.

Les vapoteurs français doivent donc faire un travail de recherche pour s’assurer de l’indexation des e-liquides avant achat. Cette mesure de précaution est d’autant plus impérative que l’ANSES rapporte des incohérences et des non-conformités entre la composition chimique réelle et celle qui figure sur les emballages et les fiches produits. « l’Agence a mis en évidence des non-conformités portant sur des émissions supérieures au seuil réglementaire pour certaines cigarettes ou une concentration trop élevée en nicotine de certains produits de vapotage ».

L’inconnue de l’équation : l’impact sanitaire sur le long terme

Les études qui se sont penchées sur l’impact de la cigarette électronique sur le long terme présentent généralement deux faiblesses :

  • Elles s’étendent sur des plages temporelles insuffisantes, dépassant rarement les deux années ;
  • Et surtout, elles portent sur des vapoteurs qui affichent un long historique de consommation de tabac, voire qui continuent à fumer du tabac concomitamment à l’usage de la vaporette, ce qui rend impossible l’attribution des effets secondaires détectés.

Pour certains professionnels de santé, la question de l’impact sanitaire sur le long terme ne doit pas être surévaluée. En effet, la cigarette électronique doit être exclusivement envisagée en tant que dispositif de sevrage tabagique temporaire qui accompagne le fumeur dans sa quête d’une vie sans tabac et sans nicotine. Le dispositif de vapotage n’a donc pas à être évalué sur la durée. Reste à savoir si l’utilisation temporaire de la cigarette électronique ne se traduit pas par des effets sanitaires graves plusieurs années après la consommation effective.

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